PORT-AU-PRINCE, mercredi 2 novembre 2024– Le contrôle de plus de 80 % de Port-au-Prince et de ses environs par des groupes criminels a plongé Haïti dans une crise humanitaire profonde. Selon Human Rights Watch, ces groupes utilisent de manière systématique la violence sexuelle comme une arme pour asseoir leur domination et semer la terreur dans les territoires rivaux. Les abus sexuels, qui étaient auparavant souvent associés aux conflits entre gangs, sont désormais devenus généralisés, avec des conséquences dramatiques pour les survivantes.
L’État de droit étant gravement affaibli, les membres de ces groupes agissent en toute impunité. « L’État de droit en Haïti est tellement défaillant que des membres de groupes criminels violent des filles ou des femmes sans craindre aucune conséquence », a affirmé Nathalye Cotrino, chercheuse auprès de la division Crises, conflits et armes à Human Rights Watch.
Le rapport révèle que près de 4 000 filles et femmes ont signalé des violences sexuelles entre janvier et octobre 2024. Cependant, selon des travailleurs humanitaires et des défenseurs des droits humains, ces chiffres ne reflètent qu’une petite partie de la réalité, car la majorité des cas ne sont pas signalés. Les survivantes craignent souvent des représailles de la part des agresseurs ou manquent de moyens pour accéder aux services d’aide.
Les femmes violées font face à d’importants obstacles pour accéder à des soins médicaux urgents. Les violences perpétrées par les gangs et l’effondrement des infrastructures de santé publique empêchent de nombreuses survivantes de recevoir des traitements critiques, comme la prophylaxie post-exposition au VIH et la contraception d’urgence, dans les 72 heures suivant l’agression. « Ces femmes sont extrêmement vulnérables », a souligné un professionnel de la santé international.
La pauvreté aggrave encore davantage la situation. En Haïti, plus de 64 % de la population vit avec moins de 3,65 dollars par jour, selon la Banque mondiale. Cette précarité laisse peu de moyens aux survivantes pour chercher une assistance médicale ou juridique. Une femme enceinte de neuf mois, mère de trois enfants, a raconté à Human Rights Watch : « Je vis dans la rue avec mes enfants. Parfois, nous restons trois ou quatre jours sans manger… Après qu’ils [les membres du groupe criminel G9] m’ont violée, j’étais dans un très mauvais état. J’ai eu une infection vaginale, mais je n’avais pas d’argent pour aller chez le médecin. »
La situation est exacerbée par l’effondrement des infrastructures de santé. Selon l’ancienne ministre de la Santé publique et de la Population, moins de 30 % des établissements de santé de la capitale sont encore opérationnels. Des organisations comme Médecins Sans Frontières (MSF), qui fournissaient des soins gratuits depuis plus de 30 ans, ont été contraintes de suspendre leurs activités en novembre 2024 à la suite d’attaques et de menaces visant leur personnel. Cette décision affecte gravement les survivantes, qui n’ont plus accès à une assistance médicale dans un contexte où les hôpitaux publics sont fermés et les services privés inaccessibles financièrement.
Human Rights Watch a également souligné l’impact dévastateur de l’interdiction totale de l’avortement en Haïti. « Les femmes et les filles haïtiennes confrontées à la pauvreté ont recours à des avortements illégaux à risque, au péril de leur vie », a déclaré Pascale Solages, directrice de l’organisation Nègès Mawon. « Les avortements à risque sont la troisième cause de mortalité maternelle. »
L’absence de sécurité de base dans le pays a aussi un impact majeur sur la capacité des organisations humanitaires et locales à fournir une aide essentielle. Plusieurs d’entre elles, opérant dans des zones sous contrôle gouvernemental, ont dû suspendre leurs activités en raison de l’intensification des violences. Par ailleurs, les autorités haïtiennes ont affaibli les institutions étatiques censées protéger les droits humains et offrir des services essentiels. Bien que le gouvernement de transition ait tenté de rouvrir des établissements de santé et d’améliorer l’accès à la justice, il manque cruellement de ressources pour mettre en œuvre ces initiatives.
Human Rights Watch appelle la communauté internationale à accroître de toute urgence le financement des programmes visant à soutenir les survivantes de violences sexuelles et à renforcer les capacités de la mission multinationale autorisée par les Nations Unies. En septembre 2024, l’ONU n’avait reçu que 17 % des 16 millions de dollars nécessaires pour améliorer l’accès aux services essentiels pour les femmes et les filles.
Selon Nathalye Cotrino, il est essentiel que les partenaires internationaux fournissent les ressources nécessaires pour rétablir l’État de droit en Haïti et reconstruire les systèmes de santé et de justice. « Les États-Unis, l’Union européenne, le Canada et d’autres gouvernements concernés en Amérique latine et au-delà devraient accroître leur soutien financier pour permettre au gouvernement et aux organisations humanitaires de répondre aux besoins des survivantes », a-t-elle ajouté.
Les survivantes de violences sexuelles en Haïti continuent de faire face à des défis accablants dans leur quête de protection et de soins essentiels. Alors que le pays est confronté à une crise humanitaire majeure alimentée par l’expansion des groupes criminels, l’accès aux services de santé et à la justice reste largement insuffisant pour répondre aux besoins urgents des victimes. Les viols, souvent utilisés comme arme de terreur par les groupes criminels, ciblent délibérément les filles et les femmes dans les zones sous leur contrôle, rendant ces populations vulnérables encore plus exposées à des abus systémiques.
Le système de santé publique haïtien, déjà affaibli par des décennies de sous-investissements, peine à répondre aux besoins des victimes. Avec seulement deux des cinq hôpitaux publics encore opérationnels et un nombre croissant de professionnels de santé fuyant le pays, les survivantes se retrouvent souvent sans ressources pour obtenir des soins médicaux, notamment dans les 72 heures critiques après une agression.
Les hôpitaux qui demeurent fonctionnels souffrent de pénuries chroniques de médicaments et d’équipements, limitant la capacité à fournir des services d’urgence essentiels. De nombreuses victimes, ne pouvant accéder à des soins de santé publics, s’appuient sur les organisations locales et internationales pour obtenir un soutien médical et psychologique, mais ces structures elles-mêmes sont débordées et manquent de ressources adéquates.
Les filles et les femmes déplacées à l’intérieur du pays en raison de la violence des gangs font face à des risques accrus de violence sexuelle dans les camps informels, où l’accès à l’assistance humanitaire est souvent contrôlé par les groupes armés. Cette dynamique contribue à l’aggravation de la crise, car les survivantes de violences sexuelles, déjà traumatisées, sont confrontées à des conditions de vie précaires qui compromettent leur rétablissement. Le manque de refuges et d’abris sûrs limite encore davantage leurs options. Bien que certaines organisations locales offrent des refuges temporaires, la demande dépasse largement l’offre, laissant de nombreuses femmes et filles sans protection adéquate.
Le système judiciaire, pratiquement paralysé dans les régions dominées par les gangs, est incapable de garantir justice et réparation pour les victimes. L’absence de tribunaux fonctionnels dans des zones clés comme Port-au-Prince et Croix-des-Bouquets entrave les enquêtes et les poursuites contre les auteurs de violences sexuelles, renforçant un climat d’impunité. Les organisations de défense des droits humains qui documentent les violations et assistent les victimes dans leurs démarches judiciaires dénoncent une quasi-inexistence de progrès, ce qui alimente le désespoir parmi les survivantes et leurs familles.
L’accès limité aux services de santé mentale est une autre lacune critique dans la réponse aux violences sexuelles en Haïti. Les survivantes, confrontées à des traumatismes profonds, développent fréquemment des symptômes de stress post-traumatique, d’anxiété et de dépression. Pourtant, les ressources pour le soutien psychologique sont rares, et les organisations locales peinent à répondre à la demande croissante. Les femmes qui tombent enceintes à la suite de viols font face à des défis supplémentaires, car l’accès à l’avortement reste criminalisé, et les soins prénatals pour celles qui choisissent ou sont contraintes de mener leur grossesse à terme sont souvent inaccessibles.
Les efforts internationaux pour coordonner une réponse à la crise rencontrent des obstacles liés à l’instabilité générale du pays. Bien que le sous-cluster sur les violences basées sur le genre ait mis en place des mécanismes de coordination, son efficacité est limitée par des problèmes de ressources et de communication entre les parties prenantes. Les promesses de financement international pour renforcer les capacités locales tardent à se concrétiser, retardant la mise en œuvre des programmes destinés à répondre aux besoins urgents des survivantes.
Face à cette situation, les appels à une mobilisation urgente de la communauté internationale pour soutenir Haïti se multiplient. L’accent est mis sur la nécessité de restaurer et de renforcer les infrastructures de santé publique, d’assurer une protection accrue pour les filles et les femmes dans les zones contrôlées par les gangs, et de garantir que les survivantes de violences sexuelles reçoivent l’aide médicale et psychologique dont elles ont besoin. Dans ce contexte, les organisations locales jouent un rôle crucial en fournissant des services directs et en plaidant pour une réponse plus robuste de la part du gouvernement et des acteurs internationaux.
L’urgence d’une action coordonnée pour mettre fin à la violence sexuelle et répondre aux besoins des survivantes en Haïti ne peut être sous-estimée. Cela nécessite une combinaison de mesures immédiates pour répondre à la crise humanitaire actuelle et de stratégies à long terme pour reconstruire les systèmes de santé et de justice du pays, tout en s’attaquant aux causes profondes de la violence.