PORT-AU-PRINCE, jeudi 25 avril 2024– D’après le rapport annuel 2023 du Département d’État américain sur les droits de l’Homme en Haïti, malgré l’interdiction constitutionnelle de telles pratiques, des rapports crédibles provenant d’organisations non gouvernementales (ONG) suggèrent que des agents de la Police Nationale Haïtienne (PNH) ont occasionnellement battu ou maltraité des détenus et des suspects.
Le BINUH et le Bureau de la Protection des Citoyens (OPC), un médiateur gouvernemental indépendant, ont documenté des cas de mauvais traitements dans les prisons.
Selon le document, l’impunité demeure un problème significatif au sein de la PNH. Les représentants de la société civile ont allégué une impunité généralisée parmi les agents de police, largement due à une formation insuffisante et à un manque de professionnalisme, ainsi qu’à des éléments marginaux au sein de la PNH qui entretiennent des liens avec des gangs.
Selon le rapport, les conditions carcérales étaient rudes et mettaient la vie en danger en raison d’un surpeuplement sévère, de pénuries alimentaires et de soins médicaux inadéquats.
‘‘Le surpeuplement dans les prisons et les centres de détention était sévère. Selon les estimations du BINUH, le taux d’occupation des cellules à l’échelle nationale était de 331 % au-dessus de la capacité prévue.’’
L’administration pénitentiaire a rapporté que la plupart des prisonniers ne recevaient qu’un repas par jour, de qualité nutritionnelle médiocre. Les détenus ont signalé qu’en l’absence de soutien financier ou de membres de la famille leur apportant de la nourriture, ils n’avaient rien à manger.
Les soins médicaux aux prisonniers étaient presque exclusivement assurés par l’ONG Health Through Walls, qui avait une capacité limitée pour traiter les affections graves et mettant la vie en danger.
Les soins médicaux étaient insuffisants pour enrayer la propagation d’infections telles que la tuberculose ou la gale. L’administration pénitentiaire a rapporté qu’au 11 septembre, 200 prisonniers étaient morts de maladies dues à la pénurie alimentaire et d’autres causes depuis janvier.
Le rapport indique que dans de nombreuses prisons et centres de détention, y compris la Prison Nationale à Port-au-Prince, les prisonniers n’avaient pas accès régulier à des installations sanitaires et étaient contraints de se soulager dans des sacs en plastique qu’ils devaient acheter.
Les prisonniers à la Prison Nationale et à Les Cayes avaient des opportunités extrêmement limitées de quitter leurs cellules. La société civile et les représentants des droits de l’homme ont allégué que les membres de gangs et les personnes aisées recevaient un traitement spécial en détention et étaient parfois libérés sans motif valable.
Les représentants de l’OPC visitaient régulièrement les prisons et les centres de détention, ce qui leur permettait d’enquêter sur des allégations crédibles de conditions inhumaines dans les prisons et de formuler des recommandations aux autorités gouvernementales.
L’administration pénitentiaire permettait aux Nations Unies, aux ONG locales de défense des droits de l’homme, au Comité International de la Croix-Rouge et à d’autres organisations de surveiller les conditions carcérales.
Le rapport rappelle que la loi interdisait les arrestations ou détentions arbitraires et garantissait le droit à toute personne de contester la légalité de son arrestation ou de sa détention devant un tribunal. ‘‘Le gouvernement n’observait généralement pas ces exigences’’, souligne le gouvernement.
Le document souligne que la constitution stipulait que les autorités ne pouvaient arrêter une personne que si celle-ci était en train de commettre un crime ou si l’arrestation était basée sur un mandat délivré par un officiel compétent tel qu’un juge de paix ou un magistrat. Les autorités étaient tenues de présenter le détenu devant un juge dans les 48 heures suivant son arrestation. L’OPC a déclaré que les autorités ne respectaient généralement pas la règle des 48 heures.
Selon le rapport, bien que les autorités reconnaissent généralement le droit à un avocat, la plupart des détenus ne pouvaient pas se permettre un avocat privé. Le Bureau d’Assistance Légale était tenu de fournir une assistance juridique gratuite à toute personne que le coordinateur du bureau déterminait incapable de se permettre une telle assistance. Le personnel de l’OPC et les représentants des droits de l’homme ont cependant signalé que les pénuries de financement, le nombre limité d’avocats et le faible nombre d’audiences judiciaires entravaient l’efficacité du bureau.
‘‘Il existait une procédure de caution, mais elle était rarement utilisée. La loi exigeait que les procureurs visitent régulièrement les centres de détention et les postes de police pour garantir un traitement adéquat des détenus et le respect des procédures d’arrestation; le personnel de l’OPC a déclaré que ces visites étaient rares.’’
Le Département d’Etat rapporte que des observateurs indépendants ont confirmé des cas où la police arrêtait des individus sans mandat, même lorsque ces individus n’étaient pas appréhendés en train de commettre un crime, ou avec des mandats mal préparés. Les autorités détenaient fréquemment des personnes pour des charges non spécifiées. Des organisations de défense des droits de l’homme ont signalé que la police arrêtait parfois de grands groupes de personnes participant à des manifestations ou se trouvant à proximité de scènes de crime sans tenter de déterminer qui commettait un crime.
La société civile et les organisations de défense des droits de l’homme ont allégué que certains citoyens rapatriés étaient détenus après leur rapatriement malgré n’avoir commis aucun crime dans le pays. Ces organisations ont allégué que les individus étaient illégalement détenus par des fonctionnaires gouvernementaux qui cherchaient à obtenir des pots-de-vin en échange de leur libération.
La détention préventive illégale et prolongée était un problème en raison de l’application arbitraire des règles de la cour, de la discrétion judiciaire arbitraire, de la corruption et de la mauvaise tenue des registres. De nombreux prévenus n’ont jamais consulté d’avocat, comparu devant un juge ou reçu un calendrier de dossier. Dans certains cas, des détenus ont passé des années en détention sans comparaître devant un juge. Des groupes locaux de défense des droits de l’homme ont signalé que les prisonniers étaient souvent détenus même après avoir purgé leur peine, en raison de difficultés à obtenir des ordonnances de libération du bureau du procureur. Certains prisonniers étaient détenus plus longtemps en détention préventive que les peines obligatoires pour les crimes dont ils étaient accusés.
La loi prévoyait un pouvoir judiciaire indépendant ; cependant, le gouvernement ne respectait pas l’indépendance judiciaire et l’impartialité. L’indépendance judiciaire continuait de s’éroder, selon toutes les principales associations nationales de magistrats et de juges et les militants des droits de l’homme.
« Les hauts fonctionnaires de l’exécutif exerçaient une influence significative sur le pouvoir judiciaire et les forces de l’ordre, selon les organisations locales et internationales de défense des droits de l’homme. Les organisations alléguaient que les politiciens influençaient régulièrement les décisions judiciaires et utilisaient le système judiciaire pour cibler les opposants politiques », put-on lire dans le document.
Le rapport souligne que les détenus ont signalé des cas crédibles d’extorsion, de fausses accusations, de détention illégale, de violence physique par la police et de refus des fonctionnaires judiciaires de respecter les exigences fondamentales de la procédure régulière. L’exécutif avait le pouvoir de nommer et de révoquer les procureurs et les greffiers publics à sa guise. Les juges étaient moins directement sous pression de la part de l’exécutif car ils étaient nommés pour des mandats à durée fixe, mais les organisations de la société civile et les juges ont signalé une crainte de statuer contre des intérêts puissants en raison de la préoccupation pour la sécurité de l’emploi et la sécurité personnelle.
Le rapport informe que la loi exigeait que chacune des 18 juridictions du pays convoque deux fois par an des sessions de procès avec et sans jury, généralement en juillet et en décembre, pour les accusations de crimes majeurs et violents. En septembre, un juge de Port-au-Prince a signalé que les affaires sans jury avaient repris dans la ville pour la première fois depuis cinq ans.
Le Departement d’Etat fait remarquer que la corruption et le manque de supervision judiciaire entravaient gravement le droit à un procès équitable en public. Les organisations de défense des droits de l’homme ont signalé que plusieurs fonctionnaires judiciaires, y compris des juges et des greffiers, facturaient arbitrairement des frais pour engager des poursuites pénales. Les observateurs ont affirmé que les juges et les procureurs ignoraient les défendeurs qui ne payaient pas les frais.
Le rapport indique que des allégations crédibles ont été faites concernant des juges non qualifiés et non professionnels qui ont reçu des nominations judiciaires en tant que faveurs politiques. On a également accusé de manière persistante les doyens des tribunaux, responsables d’attribuer des affaires aux juges pour enquête et révision, d’attribuer parfois des affaires politiquement sensibles à des juges ayant des liens étroits avec les branches exécutive et législative.
De nombreux fonctionnaires judiciaires occupaient apparemment des emplois à temps plein en dehors des tribunaux, bien que la constitution interdise cette pratique sauf dans l’enseignement. En juin, le Conseil Judiciaire Supérieur a refusé de certifier 30 magistrats parce qu’ils avaient falsifié leurs titres, commis des actes de corruption ou commis d’autres violations du code de conduite. De ces magistrats non certifiés, cependant, un seul a été destitué de son poste.
Les juges étaient tenus d’ordonner un procès ou de rejeter l’affaire dans les six mois. Les juges et autres acteurs judiciaires ne respectaient pas fréquemment ce délai en raison de l’insécurité, de la corruption ou d’autres problèmes de non-conformité, entraînant une détention préventive illégale et prolongée pour de nombreux prévenus.
‘‘Des grèves persistantes des greffiers, avocats, juges et procureurs ont entravé la tenue des procès en temps opportun. Des grèves nationales des greffiers et des magistrats de mars à juin ont empêché la plupart des tribunaux de tenir des audiences pendant cette période’’, souligne le rapport.
Selon le rapport, l’absence d’un président élu depuis l’assassinat de Jovenel Moïse en 2021 et l’absence d’un parlement élu constituaient des obstacles majeurs à un fonctionnement judiciaire efficace. Des avocats, juges et greffiers individuels de la région de Port-au-Prince ont déclaré croire qu’ils étaient en danger en se rendant au travail, ce qui a entraîné des retards dans les procès et exacerbé la détention préventive. Les groupes de défense des droits de l’homme ont déclaré que la corruption et les demandes de pots-de-vin retardaient le processus judiciaire.
Le document indique que malgré le déménagement en juillet 2022 du Tribunal de Première Instance de Port-au-Prince au siège de l’OPC pour des raisons de sécurité, le tribunal ne disposait pas de mécanismes de sécurité adéquats, et des hommes armés ont cambriolé les nouveaux locaux le 24 mai. Bien que l’ancien procureur du tribunal ait déclaré qu’aucun document sensible n’avait été pris, les voleurs ont volé des armes, de l’argent et d’autres documents au tribunal.
La constitution garantissait le droit à un procès équitable et public, mais le pouvoir judiciaire n’appliquait pas uniformément ce droit. Les autorités ignoraient largement les droits constitutionnels à un procès régulier et au respect de la procédure régulière.
Le rapport note que les défendeurs avaient le droit à l’assistance d’un avocat de leur choix, mais les programmes d’aide juridique étaient limités et ceux qui ne pouvaient pas payer d’avocat n’en recevaient pas toujours un gratuitement. La loi ne prévoyait pas spécifiquement un délai pour que le défendeur prépare une défense adéquate. Les défendeurs avaient le droit de confronter des témoins hostiles et de présenter leurs propres témoins et preuves, mais les juges refusaient souvent ces droits. La perception d’une impunité généralisée dissuadait certains témoins de témoigner lors des procès.
« Bien que le français et le créole haïtien soient toutes deux des langues officielles, malgré que le créole haïtien soit la langue la plus couramment parlée, toutes les lois étaient rédigées et la plupart des procédures judiciaires étaient menées en français. Les observateurs ont noté que les juges veillaient généralement à ce que les défendeurs comprennent pleinement les procédures », précise le document.
D’après le rapport, le fonctionnement des tribunaux de justice de paix, les tribunaux les plus bas du système judiciaire, était insuffisant. Les juges présidaient en fonction de leur disponibilité personnelle et occupaient souvent des emplois à temps plein. Les autorités chargées de l’application de la loi ne maintenaient rarement l’ordre pendant les audiences judiciaires, et fréquemment, il n’y avait pas de greffier. Pour éviter de longues attentes, les défendeurs soudoyaient souvent les juges pour que leurs affaires soient entendues.
Le rapport souligne également que dans de nombreuses communautés, en particulier dans les zones rurales, les administrateurs communaux élus sans autorité judiciaire légale assument le rôle de juges d’État et revendiquent des pouvoirs d’arrestation, de détention et de prononcé de jugements légaux. Certains administrateurs communaux transformaient leurs bureaux en salles d’audience.