PORT-AU-PRINCE, lundi 30 septembre 2024– Trente-trois (33) ans après le coup d’État militaire du 30 septembre 1991, Haïti demeure un pays plongé dans l’instabilité politique, les violences sociales et une crise institutionnelle profonde. Le renversement brutal de Jean-Bertrand Aristide, orchestré par le général Raoul Cédras et ses alliés, continue de hanter la société haïtienne. Les années de répression qui ont suivi, marquées par des milliers de morts, des violations systématiques des droits humains et la terreur exercée par les forces militaires et paramilitaires, ont laissé des cicatrices indélébiles.
Le 30 septembre 1991, Haïti, déjà fragilisée par des décennies de dictature et de pauvreté, voyait en l’élection de Jean-Bertrand Aristide en décembre 1990 un immense espoir de renouveau. Sa proximité avec les masses populaires et sa promesse de réformes sociales avaient suscité un enthousiasme général. Mais l’opposition des élites politiques et économiques, combinée à l’hostilité de l’armée, conduisit à un coup d’État sanglant, trois ans seulement après la chute du régime de Jean-Claude Duvalier. Ce retour à la répression militaire plongea le pays dans une spirale de violence dont il n’a jamais véritablement émergé.
Entre 1991 et 1994, plus de 5000 personnes furent tuées par les forces armées et les groupes paramilitaires, notamment le FRAPH dirigé par Emmanuel “Toto” Constant. Les massacres perpétrés dans des quartiers populaires tels que La Saline et Cité Soleil visaient à éliminer toute opposition au régime militaire. Des exécutions sommaires, des disparitions forcées et des viols de masse, utilisés comme armes de terreur, ont laissé des séquelles durables sur la population.
Les conséquences du coup d’État dépassèrent largement la répression physique. L’instabilité provoquée entraîna un déplacement interne massif, des dizaines de milliers de personnes fuyant la violence. En parallèle, un exode vers l’étranger, principalement vers les États-Unis, transforma Haïti en une terre de départ pour des réfugiés désespérés. Environ 60 000 Haïtiens tentèrent de traverser la mer sur des embarcations de fortune, dans l’une des plus grandes crises de réfugiés de l’hémisphère occidental.
La communauté internationale réagit d’abord par des sanctions économiques qui, tout en affaiblissant le régime, exacerbèrent la pauvreté. L’intervention militaire internationale de 1994, dirigée par les États-Unis, mit fin à la dictature et permit le retour de Jean-Bertrand Aristide. Cependant, ce retour au pouvoir n’a pas suffi à panser les plaies profondes causées par trois années de répression.
Aujourd’hui, Haïti souffre encore des conséquences directes de ce coup d’État. La militarisation de la société sous Raoul Cédras et l’impunité des crimes paramilitaires ont nourri une culture de violence persistante. Les groupes armés, autrefois incarnés par le FRAPH, ont évolué en gangs, qui contrôlent désormais de vastes portions du territoire haïtien, entravant tout espoir de stabilisation.
Les institutions haïtiennes, déjà fragiles avant 1991, n’ont jamais été réellement restaurées. Les crises politiques à répétition, avec des gouvernements de transition et des élections contestées, ont plongé le pays dans une ingouvernabilité chronique. L’absence de réforme véritable des forces armées après 1994 et l’impunité des responsables des crimes ont affaibli la légitimité de l’État. Ce vide institutionnel a permis aux gangs de s’imposer, exerçant aujourd’hui plus de contrôle que les autorités elles-mêmes dans certaines régions.
Trois décennies après le coup d’État, Haïti est toujours en proie à la misère et l’instabilité. Les espoirs de changement nés de l’élection de Jean-Bertrand Aristide se sont effondrés sous le poids des divisions internes, de la violence politique et de l’influence étrangère. La répression qui suivit le 30 septembre 1991 a non seulement brisé des vies, mais a aussi sapé les fondations de l’État haïtien, un État qui peine toujours à s’affirmer face aux défis économiques et sécuritaires.
Aujourd’hui, l’État haïtien est en pleine déroute, incapable d’assurer le minimum vital pour sa population. La sécurité, pourtant la première mission d’un État, est désormais un rêve inaccessible. Depuis plusieurs années, les gangs armés contrôlent de vastes zones de la région métropolitaine de Port-au-Prince, instaurant un climat de terreur inégalé. Des quartiers autrefois vivants sont devenus des prisons à ciel ouvert, où des milliers de citoyens vivent dans la peur quotidienne.
Les gangs, jouissant d’une impunité presque totale, imposent leur loi. Les assassinats, les enlèvements et les extorsions sont monnaie courante dans des quartiers comme Cité Soleil, Martissant ou Croix-des-Bouquets. Cette violence omniprésente rappelle les heures sombres qui ont suivi le coup d’État militaire de 1991, lorsque la répression faisait partie du quotidien.
Aujourd’hui, Port-au-Prince ressemble à un cimetière, où les rues sont devenues le théâtre de massacres. Comme en 1991, des corps sans vie jonchent le sol, victimes anonymes de la guerre des gangs pour le contrôle du territoire. Les cortèges de morts qui sillonnent les rues sont un triste écho des massacres perpétrés par les militaires et les groupes paramilitaires de l’époque.
En 1991, des milliers de Haïtiens fuyaient la répression militaire pour trouver refuge à l’étranger. Aujourd’hui, l’exode se poursuit, mais pour ceux qui restent, la situation est peut-être encore plus désespérée. Les femmes, en particulier, sont les premières victimes de cette violence, les viols étant utilisés par les gangs comme armes de guerre, tout comme à l’époque de la répression militaire.
Plus de trois décennies après le coup d’État, Haïti est toujours hantée par ce passé violent. L’État, affaibli par la corruption, la mauvaise gouvernance et les ingérences étrangères, ne peut plus protéger ses citoyens. Le fossé entre l’État et le peuple ne cesse de se creuser, permettant aux gangs de s’imposer en force dominante.
Le cycle de violence déclenché après le coup d’État continue de se perpétuer, chaque génération étant plus exposée à l’insécurité que la précédente. Aujourd’hui, alors que des cortèges de morts hantent encore les rues de Port-au-Prince, Haïti semble piégée dans ce cercle vicieux, incapable de trouver la voie de la stabilité et de la paix.