Trafic d’armes en Haïti : ”Un fléau alimenté par la complicité locale et internationale”-l’ONU…

Des armes saisies dans un container dedouane...

NEW-YORK, lundi 2 octobre 2024– Dans un rapportson récent, le Groupe d’Experts des Nations Unies met en lumière la crise dévastatrice provoquée par le trafic d’armes en Haïti. La prolifération des armes, facilitée par un réseau de complicités et de négligences tant nationales qu’internationales, alimente une spirale de violence que les autorités haïtiennes peinent à contrôler. Malgré un embargo en vigueur, des armes de grande capacité continuent d’arriver sur le territoire haïtien, alimentant les gangs et perturbant gravement la stabilité politique et sociale du pays. L’enquête des experts de l’ONU dresse un portrait détaillé de cette crise, soulignant les mécanismes sophistiqués utilisés pour contourner les mesures de contrôle et révélant les faiblesses internes et externes qui contribuent à aggraver la situation sécuritaire en Haïti.

Les experts indiquent que la majorité des armes illégales qui parviennent en Haïti proviennent des États-Unis, bien qu’une partie vienne également d’autres régions, notamment de pays d’Amérique latine. Ces armes traversent divers points de transit stratégiques où les réseaux criminels ont établi des circuits d’acheminement organisés, contournant systématiquement les contrôles, en grande partie grâce à des complicités locales. L’importation clandestine de ces armes est facilitée par des lacunes au niveau des ports et des frontières terrestres haïtiens, où la surveillance est faible, voire inexistante. Ces points de passage, qualifiés par les experts de “passoires”, permettent aux trafiquants d’introduire sur le territoire haïtien des cargaisons d’armes, y compris des fusils d’assaut et d’autres équipements militaires sophistiqués, qui tombent ensuite entre les mains de groupes armés.

Les experts dénoncent des réseaux bien établis de contrebande fonctionnant avec la complicité de certains acteurs au sein même des institutions haïtiennes. Les douaniers et autres autorités locales, souvent soumis à des pressions ou séduits par des pots-de-vin, ferment les yeux sur ces activités illégales, facilitant ainsi le passage des armes sans entrave.

Le rapport souligne que certaines figures influentes dans les milieux économiques, utilisant leur influence pour protéger ces réseaux, contribuent à la persistance du trafic d’armes. De plus, le groupe d’experts met en avant l’implication d’individus bien placés dans le secteur privé, qui bénéficient indirectement de l’insécurité croissante et trouvent avantage à maintenir un statu quo favorable sur le plan économique.

Malgré l’embargo sur les armes imposé par l’ONU, des violations répétées sont commises par des réseaux internationaux d’approvisionnement exploitant les failles du système. Le rapport documente des preuves solides de ces violations, montrant comment des cargaisons entières d’armes sont acheminées en Haïti en contournant les interdictions. Les enquêteurs ont identifié plusieurs acteurs internationaux impliqués, notant que certains pays de la région, notamment la République Dominicaine, servent de points de transit avant que les armes n’atteignent Haïti. Selon le rapport, certains responsables de la sécurité dans ces pays ferment les yeux sur ce trafic, ajoutant une dimension régionale et transnationale au problème du trafic d’armes.

Les gangs haïtiens, dont le tristement célèbre G9 dirigé par Jimmy “Barbecue” Chérizier, tirent profit de cet approvisionnement en armes pour renforcer leur contrôle sur de vastes zones urbaines de Port-au-Prince, particulièrement dans des quartiers comme Cité Soleil et Martissant. Ces armes leur permettent d’intimider la population et de s’imposer comme des autorités de facto, en imposant des taxes de protection et en exerçant un contrôle strict sur la vie locale. Les enlèvements contre rançon, devenus l’une de leurs principales sources de revenus, génèrent plusieurs millions de dollars chaque mois, montant réinvesti dans l’achat de nouvelles armes, renforçant ainsi le cycle de violence. Ces pratiques n’affectent pas seulement la vie quotidienne des Haïtiens, mais déstabilisent également l’économie du pays et privent les populations des services essentiels.

La situation est aggravée par l’absence de réponse efficace des institutions haïtiennes, rongées par la corruption et les complicités internes, qui sont incapables de répondre à cette crise sécuritaire. Le rapport de l’ONU souligne que des membres des forces de l’ordre, des douanes et même des représentants politiques sont impliqués dans des accords avec les gangs, facilitant leur accès aux armes et leur permettant d’opérer en toute impunité.

Cette collusion entre le crime organisé et certaines figures de l’élite haïtienne empêche les autorités de mettre en place des mesures répressives et contribue à une culture de l’impunité qui alimente la violence. Les experts notent que l’affaiblissement progressif de la justice haïtienne, minée par la corruption et la violence, empêche toute poursuite significative des responsables, limitant la portée des lois en vigueur et renforçant la domination des gangs.

Le rapport des experts de l’ONU présente un tableau inquiétant de l’ampleur et de la sophistication du trafic de drogues en Haïti, en soulignant que le phénomène est l’un des principaux moteurs de la criminalité et de la violence endémique dans le pays. Les gangs ne sont pas de simples groupes criminels locaux ; ils opèrent en collaboration avec des réseaux internationaux de trafiquants de drogue, impliquant des hommes d’affaires haïtiens dans les secteurs de l’import-export, ainsi que certains fonctionnaires et anciens sénateurs. Malgré les difficultés d’enquête imposées par la complexité et l’insécurité en Haïti, le Groupe d’experts a noté des saisies relativement faibles, notamment 262,2 kilogrammes de cannabis et 10,42 kilogrammes de cocaïne entre novembre 2023 et juillet 2024.

Le cannabis est un enjeu majeur dans ce trafic transfrontalier. Bien qu’Haïti ne soit pas un producteur de drogues destinées à l’exportation, sa proximité géographique avec la Jamaïque en fait une plaque tournante majeure du transit de cannabis, destiné principalement à la République Dominicaine. Dans des régions comme l’Artibonite et certaines zones montagneuses au nord et au sud du pays, la production locale de cannabis a augmenté, malgré les efforts de destruction menés par le Bureau de lutte contre le trafic de stupéfiants.

Ce trafic s’inscrit dans une dynamique d’échange armes-drogues, alimentée par environ 244 gangs et 45 autres groupes criminels actifs dans le commerce d’armes contre drogues. Le cannabis importé par voie maritime dans le sud d’Haïti voit sa valeur multipliée par dix une fois introduit dans le pays : alors qu’une livre de cannabis coûte entre 9,65 et 12,87 dollars américains en Jamaïque, son prix atteint entre 80 et 100 dollars en Haïti.

L’interdépendance entre les gangs jamaïcains et haïtiens contribue à la persistance de ce trafic particulièrement lucratif, avec des échanges de pistolets contre 40 livres de cannabis et de fusils pour des quantités de 80 à 90 livres, selon les informations recueillies. Les zones côtières de la Jamaïque, comprenant environ 184 ports non contrôlés, facilitent ces transactions.

Le cannabis jamaïcain transite ensuite par Haïti pour être acheminé vers la République Dominicaine. En 2023, 3 600 ressortissants haïtiens ont été arrêtés pour des délits liés au cannabis en République Dominicaine, faisant des Haïtiens le plus grand groupe étranger incarcéré dans le pays pour ce type de crime après les Dominicains. La frontière haïtiano-dominicaine, longue de 390 kilomètres, est parcourue par près de 90 points de passage illégaux, et les saisies dominicaines s’élèvent à environ 614,16 kilogrammes de cannabis entre septembre 2023 et avril 2024.

Quant à la cocaïne, les autorités ont constaté une augmentation des saisies en 2023, notamment suite à une opération majeure en Belgique le 29 septembre 2023 où 308,7 kilogrammes de cocaïne ont été interceptés dans un conteneur maritime en provenance de Port-au-Prince. D’autres saisies notables incluent 268 paquets de cocaïne sur la côte dominicaine de Pedernales en juin 2024, révélant que les trafiquants profitaient de la faiblesse des contrôles haïtiens pour éviter la vigilance plus stricte des autorités dominicaines. Le sud-est d’Haïti est devenu un point d’entrée stratégique pour la cocaïne, avec des saisies de 2,2 kilogrammes à Bel-Anse et de 1 kilogramme à Jacmel en juillet 2024.

Le rapport indique également que des individus originaires des Caraïbes et d’Amérique latine, suspectés de liens avec le trafic de drogues, opèrent aux côtés de gangs haïtiens. Face à cette situation aggravante, la communauté internationale est appelée à prendre des mesures urgentes pour renforcer l’embargo sur les armes et soutenir les efforts de contrôle et de sécurité en Haïti. Le rapport recommande des sanctions strictes contre les entités et les individus impliqués dans la contrebande d’armes, ainsi qu’un appui logistique pour restaurer la capacité de l’État haïtien à faire respecter la loi.

Le Groupe d’Experts des Nations Unies souligne que la crise du trafic d’armes en Haïti nécessite une attention urgente et un engagement collectif de la communauté internationale.

‘‘La situation actuelle exige non seulement des mesures de répression, mais également des initiatives visant à renforcer les capacités institutionnelles du pays, à lutter contre la corruption et à créer un cadre économique et social plus solide. Il est essentiel que la communauté internationale prenne conscience des implications profondes du trafic d’armes et d’autres crimes liés à la drogue en Haïti, qui continuent d’éroder les fondements mêmes de l’État haïtien et de compromettre les droits fondamentaux des Haïtiens’’, soulignent les experts de l’ONU.