‘‘Tenue des audiences correctionnelles et criminelles au cours de l’année judiciaire 2022-2023, mais le bilan des travaux judiciaires sur le plan pénal reste très maigre’’-RNDDH

Batiment logeant la Cour de Cassation, Haiti...

PORT-AU-PRINCE, jeudi 12 octobre 2023– Le réseau national de défense des droits humains (RNDDH) souligne qu’au cours de l’année judiciaire 2022-2023, toutes les juridictions de première instance du pays ont réalisé des audiences criminelles sans assistance de jury.

Deux (2) d’entre elles – celles de Hinche et de Jérémie – ont aussi organisé des assises criminelles avec assistance de jury, précise l’organisation.

Le RNDDH fait remarquer qu’au cours de ces audiences, cinq-cent-neuf (509) cas ont été fixés soit quatre-cent quatre-vingt-quinze (495) sans assistance de jury et quatorze (14), avec assistance de jury. Quatre-cent-dix-sept (417) parmi les cas ont été entendus et quatre-douze (92) ont été renvoyés.

Il souligne également que deux-cent-quatre-vingt-dix-sept (297) personnes ont été condamnées et deux-cent vingt-et-une (221) autres été ont été libérées. Cent-quatre-vingt-cinq (185) personnes ne sont pas encore fixés sur leur sort soit parce que les doyens des Tribunaux criminels ont ordonné le dépôt des pièces, soit parce que leurs dossiers ont été renvoyés.

‘‘Malheureusement, regrette le RNDDH, ces audiences n’ont eu aucun impact réel sur le taux de détention préventive illégale et arbitraire. En effet, une comparaison du nombre de personnes en attente de jugement entre l’ouverture de l’année judiciaire 2022-2023 et l’ouverture de celle de 2023-2024 prouve que la population carcérale n’a bougé que de 0,61 %.’’

Le RNDDH estime que cette absence ‘‘flagrante’’ d’impacts sur la détention préventive illégale et arbitraire s’explique par le fait que le nombre de cas fixé pour être jugé ne tient pas compte de la population carcérale par juridiction.

Le RNDDH dit déplorer plusieurs irrégularités qui ont été relevées lors de ces audiences, notamment : des dossiers ont été renvoyés pour des raisons inacceptables comme le non-acheminement des accusés au Tribunal ;

Les garanties judiciaires des personnes privées de liberté sont systématiquement violées. Dans un cas pris en exemple, le Tribunal criminel a mis onze (11) années pour juger quatre (4) personnes accusées d’assassinat et de vol. Trois (3) d’entre elles ont été déclarées non coupables et une seule a été condamnée à quinze (15) ans d’emprisonnement ;

Les audiences criminelles ont débuté très tard, ce qui a souvent porté les magistrats-es à ordonner le dépôt de pièces, pour rendre ultérieurement leur verdict ;

La Loi pénale n’a pas été respectée dans le prononcé des verdicts pour crimes sexuels. En effet, sur quarante-trois (43) individus condamnés pour avoir violé des femmes et des filles, vingt-six (26) d’entre eux, soit 60.46 %, ont écopé de peines allant du temps déjà passé en prison à huit (8) ans d’emprisonnement, les doyens des Tribunaux criminels ayant été très complaisants envers eux, en les condamnant à des peines moindres que celles prévues par la Loi.

Les cas de viols et de viols sur mineures même lorsque ces viols ont débouché sur des grossesses non-désirées, ont été banalisés, souligne l’organisation.

Le RNDDH estime que des peines très sévères ont été prononcées pour des cas de vol. Par exemple, par-devant le Tribunal criminel de l’Anse-à-Veau, un homme jugé coupable de vol de mulet a écopé d’une peine de quinze (15) ans d’emprisonnement et un autre, coupable de vol à mains armées, a écopé d’une peine de prison à perpétuité.

‘‘En dépit de toutes ces irrégularités, force est de reconnaitre qu’en comparaison à l’année judiciaire 2021-2022, l’année judiciaire 2022-2023 a été prolifique. Le RNDDH estime en ce sens que les chefs de juridiction ainsi que les magistrats-es ont fourni beaucoup d’efforts et, qu’ils doivent continuer sur cette lancée, pour impacter le taux de détention préventive, lit-on dans le rapport du RNDDH.

En guise de recommandations, le RNDDH souhaite que suite soit donnée aux recommandations du CSPJ et d’écarter du système judiciaire, tous les magistrats, notamment les parquetiers qui ont été éclaboussés par des scandales de corruption.

L’organisation estime qu’il faut porter les magistrats qui en sont saisis, à conclure les instructions judiciaires relatifs aux massacres perpétrés en Haïti depuis plusieurs années déjà ;

Tenir compte du nombre de personnes en attente de jugement par juridiction en vue d’augmenter le nombre de personnes devant être jugées au criminel ainsi qu’au correctionnel ;

Organiser dans les dix-huit (18) juridictions, des séances d’assise criminelle avec assistance de jury ;

Réduire les irrégularités enregistrées lors des séances criminelles.

Parallèlement, le RNDDH estime qu’en dépit du fait qu’elle ait été paralysée par un arrêt de travail particulièrement essoufflant, l’année judiciaire 2022-2023 a été riche en événements ayant défrayé la chronique.

Dans un rapport/bilan de l’année judiciaire écoulée, l’organisation note qu’au cours de cette période, le visa d’entrée aux Etats-Unis du ministre de la Justice et de la Sécurité publique Berto Dorcé a été révoqué et le Canada lui a aussi interdit l’entrée sur son territoire, arguant qu’il est impliqué dans le maintien du climat de terreur et d’’insécurité dans le pays.

Le RNDDH souligne également que c’est aussi au cours de cette année judiciaire qu’un rapport de certification a recommandé d’écarter du système judiciaire haïtien, au moins trente (30) magistrats en raison de leur absence d’intégrité morale ou de l’inadéquation de leurs qualifications académiques. Les recommandations du CSPJ n’ont pas été suivies par les autorités exécutives.

‘‘De même, déplore le RNDDH, en dépit des rapports de certification accablants indexant les magistrats Bernard Saint-Vil et Mathieu Chanlatte, ces derniers ont été certifiés par le CSPJ, ce qui prouve que malgré leurs promesses, le ministère de la Justice et de la Sécurité publique ainsi que le CSPJ n’ont pas à cœur, un appareil judiciaire œuvrant dans le respect de la déontologie et basé sur le mérite et l’honorabilité des magistrats.’’

Selon l’organisation des droits humains, ‘‘l’opinion publique retiendra que la Commission Technique de Certification (CTC) composée de représentants du Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire (CSPJ) et du ministère de la Justice et de la Sécurité publique avait joué sa partition dans l’effort d’épuration de ce système judiciaire tellement décrié.’’

Le RNDDH note que pendant l’année judiciaire 2022/2023, de nombreux scandales ont éclaté au sein-même des Parquets près les Tribunaux de première instance du pays.

L’organisation cite notamment :  la mise en disponibilité du commissaire du gouvernement près le Tribunal de première instance des Gonaïves Sérard Gazius, remplacé par le magistrat Moïse Deristin qui lui aussi a été révoqué quelques heures plus tard, pour manque d’éthique ; mais maintenu à son poste de substitut du commissaire du gouvernement ;

La disparition du corps du délit dans le cas de Jean PRESSOIR qui a été condamné à perpétuité par le Tribunal criminel des Gonaïves siégeant sans assistance de jury et restitué par le substitut commissaire du gouvernement Adisson Diogène ;

La révocation du commissaire du gouvernement près le Tribunal de première instance de Port-au-Prince Maître Jacques Lafontant par l’ex-ministre de la Justice Berto Dorcé suivie de sa non-certification, maintenu à la tête du Parquet de Port-au-Prince puis révoqué une deuxième fois par l’actuelle ministre de la Justice Emmelie Prophète Milcé ;

La mise en disponibilité du substitut commissaire du gouvernement près le Tribunal de première instance de Port-au-Prince Maître Lucnas Etienne, éclaboussé en juillet 2022 dans un cas de dépossession illégale et arbitraire de propriété privée, réintégré en avril 2023 par la ministre de la Justice Emmelie Prophète Milcé, indexé en juillet 2023 dans un scandale de libération d’un détenu alors que le dossier de ce dernier était en cours d’instruction ; aujourd’hui, objet d’une interdiction de départ ;

‘‘L’implication du commissaire du gouvernement près le Tribunal de première instance de Miragoâne Jean Ernest Muscadin dans cinq (5) nouveaux cas d’exécutions sommaires, pour la seule année judiciaire 2022-2023.’’

Le RNDDH note également qu’au cours de l’année judiciaire 2022-2023, ‘‘notamment pendant le passage éclair à la tête du décanat de Port-au-Prince, du Magistrat Chavannes Etienne, de nombreux dossiers ont été relancés. Il s’agit, entre autres :  du massacre de La Saline en 2018, de l’assassinat en 2020 du Bâtonnier Monferrier Dorval et   du double assassinat en 2021 d’Antoinette Duclair et de Diego Charles et de l’assassinat en 2021 de l’ancien président Jovenel Moïse.

Le RNDDH souligne aussi que pendant cette même période, ‘‘de nombreuses victimes ainsi que des proches de victimes ont décidé de porter plainte contre les bandits armés qui sèment la terreur dans leur communauté, lors d’événements ayant occasionné des violations massives de leurs droits à la vie, à la sécurité, à l’intégrité physique et psychique, à la propriété privée et à la circulation.

Il s’agit entre autres des victimes du massacre de La Plaine du Cul-de-Sac de 2022 et des victimes du massacre de Cité Soleil de 2022, des victimes du massacre de Carrefour-Feuilles de 2023.

L’organisation estime également que ‘‘même si l’instruction de ces dossiers n’a pas encore abouti à des ordonnances de clôture, le fait de savoir qu’ils ont été relancés ou introduits dans le système judiciaire et que les enquêtes sont aujourd’hui menées par des magistrats instructeurs, porte la population à espérer que lumière sera faite autour de ces crimes dont certains ont été perpétrés depuis plus de cinq (5) ans.’’

Le RNDDH note que le magistrat instructeur Jean Wilner Morin a émis son ordonnance dans laquelle il renvoie par-devant la juridiction répressive, sept (7) accusés-es dont la directrice générale de la Caisse d’Assistance Sociale (CAS), Edwine TONTON, pour trafic d’influence, délit d’initié, enrichissement illicite, Abus de fonction et association de malfaiteurs ; détournement de biens publics, prise illégale d’intérêts, complicité de faux et usage de faux et abus de fonction ;

Le magistrat Marthel ean-Claude a émis une ordonnance renvoyant par-devant la juridiction répressive les anciens sénateurs de la République Youri Latortue et Joseph Lambert, respectivement pour détournement de biens publics, prise illégale d’intérêt et entrave à la justice ;

Le magistrat instructeur Marthel JEAN CLAUDE a renvoyé par-devant le Tribunal criminel siégeant sans assistance de jury, onze (11) personnes pour les faits de transport et de trafic illégal d’armes à feu, de munitions, de fausse monnaie et d’association de malfaiteurs, complicité de transport et de trafic illégal d’armes à feu, de munitions, de fausse monnaie et d’association de malfaiteurs, impliquant l’Eglise Episcopale d’Haïti ;

Le magistrat Walther Wesser VOLTAIRE a renvoyé par-devant la juridiction répressive sept (7) individus indexés dans le dossier relatif à la saisie d’armes et de munitions qui avait été faite à Port-de-Paix, pour trafic d’influence, association de malfaiteurs, trafic illicite d’armes à feu et de munitions.

Le RNDDH déclare saluer ces ‘‘inestimables’’ travaux d’instruction réalisés par les magistrats instructeurs susmentionnés qui, en renvoyant les accusés-es par-devant la juridiction répressive pour des crimes de corruption et de trafic illégal d’armes et de munitions, fournissent à l’opinion publique, la preuve de leur volonté de sévir contre ces crimes qui causent tellement de torts à la société haïtienne.