Par Jude Martinez Claircidor,
CAYES (Sud), jeudi 31 octobre 2024–Près d’un millier de participants, issus de divers horizons sociaux et économiques, s’étaient rassemblés à l’Université Publique du Sud aux Cayes (UPSAC) pour le Symposium du Grand Sud, qui s’est tenu du 17 au 19 octobre 2024. Représentants d’organisations paysannes, de femmes, de défense des droits humains, d’environnement et de structures patronales,étaient venus de la Grand’Anse, du Sud, du Sud-Est, des Nippes, des Îles Cayemites et de la Gonâve, de l’Ouest ainsi que la diaspora pour engager un dialogue autour de l’avenir de cette région d’Haïti, réfléchissant aux défis à relever et aux opportunités à saisir pour un développement durable et inclusif.
Durant trois jours d’échanges riches et variés, les participants ont exploré en profondeur les causes de l’insécurité qui pèse sur leur région tout en proposant des pistes d’amélioration pour renforcer la sécurité publique. Ces discussions ont permis aux experts haïtiens et aux membres de la diaspora de partager leurs expériences face aux défis environnementaux, économiques et sociaux croissants dans le Grand Sud. Des groupes de travail et des ateliers interactifs ont facilité l’exploration de thématiques diverses, telles que les infrastructures, la sécurité alimentaire, la gestion des risques naturels et le développement d’une agriculture durable.
À l’issue de ces débats, les représentants des communautés du Grand Sud ont adopté un manifeste affirmant leur volonté de construire une autonomie régionale solide. Ce document, dans lequel les participants se déclarent descendants des héros de Ravine-à-Couleuvre, Camp Gérard, Crête-à-Pierrot et Vertières, réaffirme leur engagement à reprendre en main leur avenir. “Nous, enfants de ces terres fières, face aux nuages, aux éclairs, aux orages et aux tempêtes qui menacent notre pays et notre région, nous nous engageons, physiquement et virtuellement, à édifier une autonomie digne de nos ancêtres,” déclarent-ils.
Parmi les enjeux majeurs, le manifeste plaide pour la réhabilitation et l’ouverture des infrastructures maritimes et aéroportuaires, actuellement inopérantes, afin de restaurer les échanges économiques vitaux pour les agriculteurs, artisans et industriels locaux. Charlot Murat, coordonnateur du symposium, a souligné les défis auxquels font face les entrepreneurs locaux, piégés par la fermeture des ports régionaux, notamment celui de Saint-Louis. « Si nous n’agissons pas pour nous-mêmes, personne ne le fera pour nous. » Ce symposium émet ainsi un puissant appel à l’unité, incitant tous les acteurs concernés à s’engager collectivement pour surmonter les obstacles qui entravent le développement de la région a-t-il déclaré.
Le manifeste met également en avant l’importance d’une agriculture durable et respectueuse de l’environnement, en collaboration avec les universités régionales, pour garantir la sécurité alimentaire des populations. La gestion durable des ressources naturelles constitue un pilier central de cette initiative, avec des engagements visant à protéger les bassins versants, restaurer les cours d’eau et soutenir l’économie maritime pour une exploitation raisonnée des ressources aquatiques. Par ailleurs, le développement du patrimoine culturel et naturel de la région est encouragé dans une perspective de tourisme durable, cherchant à intégrer le Grand Sud dans le marché touristique caribéen. Cette approche aspire à valoriser les atouts locaux tout en préservant l’environnement pour les générations futures.
Affirmant leur vision d’un avenir autonome, les adhérents à ce manifeste déclarent leur intention d’établir un partenariat solide avec les autorités locales et nationales en vue de revitaliser l’économie régionale. Ils souhaitent que les infrastructures essentielles servent de leviers non seulement pour dynamiser le commerce et favoriser le développement économique, mais aussi pour encourager la création d’emplois durables, notamment dans le secteur de la transformation des produits agricoles. Ce domaine, à la fois clé et prometteur pour le Grand Sud, est considéré comme une voie importante vers le développement et la prospérité des communautés locales.
Un comité de suivi a déjà été constitué pour assurer la diffusion élargie de ce manifeste. Des correspondances seront prochainement adressées aux autorités afin de leur communiquer les décisions prises à l’issue des activités.
Me Evelt Fanfan, participant à ce symposium, s’est montré encouragé par cette initiative qui a permis de réfléchir aux potentialités du Grand Sud, mais également à la grave insécurité qui frappe cette région, confrontée à un blocus sévère depuis quatre ans. Ce blocage est principalement causé par l’insécurité croissante et l’occupation de routes stratégiques par des gangs armés, notamment aux alentours de Martissant et de Gressier. Ces voies d’accès relient la capitale aux départements du Sud, du Sud’est, de la Grand’Anse et des Nippes.
La crise humanitaire aiguë engendrée par le blocus au Grand Sud d’Haïti est alarmante. L’acheminement de produits vitaux, tels que la nourriture, l’eau et les médicaments, est devenu presque impossible, laissant les hôpitaux incapables de fournir des soins adéquats. Le manque de carburant pour les générateurs aggrave la situation, alors que l’électricité est déjà rare dans la région.
L’effondrement de l’économie locale est tout aussi préoccupant. Les agriculteurs et commerçants sont piégés, incapables d’écouler leurs produits ou de recevoir les biens nécessaires à leurs activités. Les pertes économiques massives rendent l’agriculture, pilier du Grand Sud, de plus en plus précaire, tandis que les prix des denrées alimentaires flambent, touchant durement la population.
Ce contexte entraîne une augmentation alarmante de la pauvreté. La diminution des emplois, couplée à la hausse des prix, plonge de nombreuses familles dans l’indigence, incitant un nombre croissant de jeunes à envisager l’exode vers des régions plus accessibles, voire à migrer à l’étranger.
Les écoles, déjà fragilisées par l’instabilité, subissent des fermetures prolongées. Les effets psychologiques du blocus se font ressentir, exacerbant un sentiment d’abandon et de détresse face à une vulnérabilité accrue aux catastrophes naturelles, alors que le Grand Sud, fréquemment frappé par des ouragans, se retrouve de plus en plus isolé et exposé.