“Silence et sang à Carrefour-Feuilles, Cité Soleil et Bel-Air: 25 massacres en 5 ans dans les quartiers vulnérables, les autorités restent inertes”-RNDDH…

Personnes deplacees en raison de l'insecurite et de la violence des gangs criminels a Martissant/ image d'archives...

PORT-AU-PRINCE, mercredi 21 février 2024– Selon le réseau de défense des droits humains (RNDDH), depuis 2018, les quartiers de Carrefour-Feuilles, de Cité Soleil et de Bel-Air à Haïti sont devenus le théâtre de drames humains récurrents, où la violence armée règne en maître, semant la terreur et le chaos au sein de la population.

Une enquête menée par le Réseau National de Défense des Droits Humains (RNDDH) entre juillet et novembre 2023, auprès de trois cents citoyens, confirme de manière accablante l’ampleur des souffrances endurées par les habitants de ces quartiers dévastés.

Les conclusions de cette enquête sont alarmantes et révélatrices de l’ampleur de la crise humanitaire qui sévit dans ces zones en proie à la violence armée. Parmi les données les plus frappantes, on constate que près de 98% des répondants vivent dans un climat de guerre permanente, où les affrontements armés sont monnaie courante. Les actes de violence, perpétrés principalement par des gangs armés, touchent directement la vie quotidienne des habitants. Des chiffres glaçants révèlent que 92% des répondants ont été victimes de violences, avec des taux de meurtres et de viols collectifs particulièrement préoccupants, touchant respectivement 32% et 26% des victimes.

Le rapport révèle que, de 2018 à 2023, au moins vingt-cinq épisodes de violence majeurs (des massacres) ont été enregistrés dans le pays, témoignant d’une situation de plus en plus préoccupante. Ces actes de violence ne se limitent pas à de simples affrontements entre gangs rivaux, mais sont alimentés par des liens étroits entre les bandits armés, les personnalités politiques et les membres du secteur privé des affaires. Les autorités étatiques, cherchant à se maintenir au pouvoir, ont développé des relations de protection mutuelle avec les bandits armés, permettant à ces derniers de commettre leurs exactions en toute impunité, souligne le RNDDH.

En raison de ces liens avec les autorités et le secteur privé, précise le rapport, les bandits armés opèrent de manière de plus en plus arrogante, enregistrant même leurs crimes et diffusant les vidéos sur les réseaux sociaux. Les quartiers défavorisés restent les cibles privilégiées de cette violence, avec des conséquences dévastatrices pour les populations locales, contraintes de fuir à répétition pour échapper aux violences.

Le rapport met également en évidence l’incapacité du système judiciaire haïtien à répondre efficacement à cette crise. Malgré les plaintes déposées par les victimes et leurs proches, un grand nombre de crimes commis par les gangs armés restent impunis. Les chiffres présentés dans le rapport montrent une nette insuffisance des condamnations par rapport au nombre de personnes jugées, mettant en évidence les lacunes du système judiciaire dans la lutte contre l’impunité.

Le rapport souligne qu’au cours de l’année judiciaire 2018-2019, un total de 643 personnes ont été jugées dans les tribunaux de première instance. Parmi elles, 412 ont été déclarées coupables et condamnées, tandis que 231 ont été libérées. Aucune donnée n’est disponible concernant les personnes sans verdict.

 

L’année suivante, 2019-2020, a enregistré une baisse significative du nombre de personnes jugées, avec seulement 179 cas portés devant les tribunaux. Sur ce nombre, 91 ont été condamnées, tandis que 88 ont été libérées. Encore une fois, aucune information n’est fournie sur les personnes sans verdict.

La période 2020-2021 a été marquée par une augmentation légère mais notable du nombre de cas, avec 226 personnes jugées. Parmi elles, 91 ont été condamnées, 48 ont été libérées, et 87 n’ont pas obtenu de verdict à ce stade.

L’année judiciaire 2021-2022 a vu une augmentation significative du nombre de personnes jugées, atteignant 328 au total. Parmi celles-ci, 194 ont été condamnées, 67 ont été libérées, et 67 n’ont pas encore de verdict.

Enfin, lors de l’année judiciaire 2022-2023, le nombre de personnes jugées a augmenté pour atteindre 518. Parmi elles, 297 ont été condamnées, et 221 ont été libérées. Aucune donnée n’est fournie sur les personnes sans verdict.

ur les cinq années couvertes par ces statistiques, un total de 1894 personnes ont été jugées dans les tribunaux de première instance. Parmi elles, 1085 ont été déclarées coupables et condamnées, tandis que 655 ont été libérées. 154 personnes attendent toujours un verdict à la fin de cette période.

Ces chiffres reflètent l’activité judiciaire dans les juridictions de première instance du pays et soulignent l’importance de l’administration de la justice pour assurer la sécurité et la stabilité de la société.

Dans le cadre de son enquête, le RNDDH s’est concentré sur trois zones spécifiques du département de l’Ouest, où la violence armée est endémique : Cité Soleil, Bel-Air et Carrefour-Feuilles. Les résultats de l’enquête soulignent l’urgence d’une action concertée pour protéger les populations des quartiers défavorisés, en particulier les femmes et les filles, souvent victimes de violences sexuelles et physiques.

Malgré les défis rencontrés lors de l’enquête, notamment en raison de la détérioration de la situation sécuritaire dans les zones étudiées, le rapport met en lumière l’importance cruciale de donner la parole aux victimes et de recueillir leurs témoignages pour sensibiliser l’opinion publique et inciter à des mesures concrètes pour mettre fin à cette spirale de violence.

Le constat est clair, déclare le RNDDH : ‘‘l’impunité règne en maître dans ces quartiers où les gangs armés exercent un contrôle absolu. Ils opèrent en toute impunité, souvent avec la complicité tacite des autorités politiques et judiciaires, transformant ainsi la violence armée en une réalité omniprésente acceptée comme faisant désormais partie intégrante de la vie sociale et politique d’Haïti.’’

Derrière ces conflits perpétuels, se dessinent des enjeux complexes et diversifiés. La lutte pour le contrôle des territoires, riches en ressources ou en opportunités économiques, est au cœur des motivations des gangs armés, selon 59% des répondants. D’autres soulignent des motifs de vengeance ou de conflits internes au sein des bandes. Mais au-delà de ces motifs apparents, l’absence de l’État et de ses institutions dans ces quartiers en détresse est pointée du doigt comme un facteur clé favorisant la prolifération de la violence.

Les conséquences de cette crise touchent tous les aspects de la vie quotidienne des habitants de Carrefour-Feuilles, de Cité Soleil et de Bel-Air. L’accès aux services de base tels que la santé, l’éducation, le logement et l’eau potable est gravement compromis. Les établissements de santé et les écoles fonctionnent de manière sporadique, voire pas du tout, en raison de l’insécurité persistante. Les conditions de logement sont déplorables, avec des familles entières contraintes de vivre dans des taudis insalubres et surpeuplés.

Face à cette crise humanitaire sans précédent, les habitants de ces quartiers appellent à l’action urgente des autorités. Ils réclament la fin de la protection des bandits armés, le démantèlement des gangs, la justice pour les victimes et un soutien psychologique pour les populations traumatisées. Ils demandent également des mesures concrètes pour assurer la sécurité des habitants, rétablir les services de base et reconstruire les communautés déchirées par la violence.

Il est impératif que le gouvernement haïtien et la communauté internationale prennent conscience de l’urgence de la situation et agissent rapidement pour mettre un terme à cette crise humanitaire. Carrefour-Feuilles, Cité Soleil et Bel-Air ne peuvent plus être laissés à l’abandon. Il est temps d’agir, de manière concertée et déterminée, pour restaurer la dignité et la sécurité des habitants de ces quartiers meurtris par la violence armée.