PORT-AU-PRINCE, mercredi 11 décembre 2024-Dans une entrevue accordée à RHINEWS, l’avocat Me Samuel Madistin s’est exprimé sur le scandale de la Banque Nationale de Crédit (BNC) qui éclabousse les conseillers-présidents Louis Gérald Gilles, Emmanuel Vertilaire et Smith Augustin. Il a apporté des éclaircissements sur les questions juridiques soulevées par cette affaire, notamment la compétence juridictionnelle, les recours exercés par les inculpés et les implications du statut des conseillers.
Selon Me Madistin, les conseillers-présidents n’ont pas de statut équivalent à celui du président de la République, bien qu’ils exercent collectivement certaines prérogatives présidentielles en l’absence d’un chef d’État élu. « Les conseillers-présidents ne sont pas des présidents de la République. Ce sont des agents publics qui occupent, en conseil et non individuellement, les fonctions dévolues au chef de l’État. » En matière de lutte contre la corruption, il insiste sur l’importance de ne pas interpréter la loi de manière à favoriser l’impunité.
Me Madistin rappelle que la Convention des Nations Unies contre la corruption, ratifiée par Haïti en 2009, exige que des poursuites soient exercées contre tout agent public, indépendamment de leur niveau hiérarchique. « L’article 30 de la convention stipule que les immunités et privilèges de juridiction ne doivent pas constituer un obstacle à la répression des actes de corruption. » Cette disposition s’applique aux conseillers-présidents, qui sont, selon lui, pleinement justiciables devant les tribunaux de droit commun.
Interrogé sur la compétence du juge d’instruction pour instruire ce dossier, Me Madistin a confirmé que cette affaire relève des tribunaux de droit commun. « Ce qu’on reproche aux conseillers-présidents, au regard de la loi, ce sont des crimes de droit commun. Le juge d’instruction est compétent pour les instruire. » Il rejette également les arguments selon lesquels ces conseillers devraient être jugés par la Haute Cour de Justice.
« Nous sommes dans une période de rupture de l’ordre constitutionnel. La Haute Cour de Justice est une juridiction aujourd’hui illusoire et chimérique. Les poursuites doivent être exercées par des juridictions réelles et concrètes. » Selon lui, l’état actuel d’exception non déclaré en Haïti met en veilleuse certaines dispositions constitutionnelles, y compris celles relatives à la Haute Cour.
Me Madistin s’est également exprimé sur les recours exercés par les conseillers impliqués, notamment la récusation des juges d’instruction du Tribunal de Première Instance de Port-au-Prince et l’appel interjeté par l’un des conseillers. Ces recours, bien qu’ils relèvent du droit de défense, ne suspendent pas automatiquement l’instruction, selon lui.
« L’appel d’une décision du juge d’instruction en cours d’instruction n’est pas suspensif. La récusation n’entraîne pas non plus un sursis automatique. L’affaire doit continuer et aboutir normalement à un procès. » Il a cependant mis en garde les juges contre toute tentative des parties de paralyser la justice : « Les parties ont le droit de chercher à bloquer l’enquête, mais les juges doivent se laisser guider par leur obligation de dire le droit. »
Face à l’absence des conseillers inculpés aux convocations judiciaires, Me Madistin rappelle que le juge d’instruction a le pouvoir de convertir les mandats de comparution en mandats d’amener. « Si le juge décide de contraindre les inculpés, cela obligera le Conseil présidentiel à cesser de prôner l’impunité pour ses membres. »
Me Madistin a critiqué le maintien en fonction des conseillers mis en cause, estimant que leur démission aurait dû être automatique dans un État normal. « Ils auraient déjà pris la décision de démissionner ou auraient été démis de leurs fonctions. Leur maintien en poste détourne l’État de ses priorités essentielles, comme la lutte contre les gangs armés à Cité Soleil. » Il dénonce également les coûts exorbitants de leur maintien en fonction : « Chaque conseiller-président coûte à l’État soixante mille dollars américains par mois. »
Il a également évoqué les failles juridiques de l’accord ayant institué le Conseil présidentiel. « L’accord porte la date du 4 avril, mais il a été signé le 3 avril. Or, la date est un élément essentiel à la validité des accords et des actes juridiques. »
Concernant les conseillers non impliqués, Me Madistin estime qu’ils devraient prendre des initiatives pour se dissocier de leurs collègues incriminés. « Le coordonnateur en exercice aurait dû écarter les conseillers impliqués pour préserver l’intégrité du Conseil. En ne le faisant pas, ils risquent d’être entraînés dans leur chute. »
Me Madistin insiste sur la nécessité pour les institutions haïtiennes de rompre avec la culture de l’impunité et de faire prévaloir la justice, même au plus haut niveau de l’État.