Scandale de corruption dans l’attribution d’un marché public : ECC exige l’annulation et des sanctions…

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PORT-AU-PRINCE, vendredi 21 mars 2025Ensemble Contre la Corruption (ECC) dénonce « les graves irrégularités entachant l’attribution du marché PNHOO-24-25-TF-AOON-S-1-/01/11 de services de restauration des agents de la Police Nationale d’Haïti (PNH) ». Ce marché, portant sur des prestations essentielles pour les forces de l’ordre, est marqué par des soupçons de corruption massive, de collusion entre soumissionnaires et d’un manque criant de transparence dans le processus d’attribution.

L’alerte a été donnée en octobre 2024, lorsque « certains prestataires soumissionnaires du marché » ont informé ECC de pratiques douteuses, suggérant un système de « trafic d’influence, de népotisme et de corruption à grande échelle ». Ces suspicions ont conduit ECC à adresser, le 21 octobre 2024, une correspondance officielle au ministre de la Justice et de la Sécurité Publique, Dr Patrick Pélissier, pour exiger une intervention immédiate et garantir la transparence du processus. L’organisation demandait alors la formation d’une commission indépendante afin d’examiner la régularité de l’attribution de ce marché public. En réponse à ces pressions, le ministère a mis en place, le 6 décembre 2024, une Commission Ad hoc d’évaluation du marché, à laquelle ECC a été convié comme membre observateur.

Le marché concerné, lancé le 29 juillet 2024, visait à recruter des entreprises pour assurer la restauration des unités spécialisées de la PNH ainsi que des aspirants de l’École Nationale de Police (ENP). D’après le Dossier d’Appel d’Offres (DAO), toute entreprise pouvait soumettre une proposition pour plusieurs lots, mais ne pouvait en remporter qu’un seul. Cependant, lorsque l’ouverture des offres a eu lieu le 30 août 2024, 66 propositions ont été déposées, et des anomalies ont rapidement été constatées. Si le marché a finalement été attribué à onze entreprises, huit des lots – représentant « 72 % du marché en volume et 76 % en valeur » – ont été immédiatement contestés. Ces lots, attribués à Noisy’ Services, Traiteurs, Saveurs Tropicales, Food & Cook, Au Plaisir des Saveurs, Le Régal, Spirale Gourmande, Itinéraires Gourmands et Club Gourmet, ont soulevé de vives inquiétudes quant à la conformité du processus de sélection.

Les investigations de la Commission Ad hoc, rendues publiques dans un rapport remis au ministre de la Justice le 27 décembre 2024, ont révélé des irrégularités majeures. « Des documents manquants, postdatés ou portant des numéros consécutifs » ont été retrouvés dans les dossiers de plusieurs entreprises gagnantes, une situation qui aurait dû invalider leurs candidatures. La Commission a également découvert des éléments laissant supposer une collusion entre certains soumissionnaires : « plusieurs entreprises gagnantes partagent des documents légaux aux numéros consécutifs, suggérant une manipulation concertée ». De plus, « des incohérences dans les offres, comme des noms de propriétaires et de soumissionnaires concurrents apparaissant dans d’autres offres gagnantes », mettent en lumière des liens dissimulés entre certaines sociétés bénéficiaires du marché.

L’examen approfondi des dossiers a révélé une non-conformité généralisée par rapport au cahier des charges. « Une seule entreprise sur les onze gagnantes est pleinement conforme aux exigences du cahier des charges », déplore le rapport. Pour la majorité des entreprises sélectionnées, des documents essentiels manquent, tandis que d’autres présentent des anomalies significatives qui auraient dû entraîner leur disqualification. Pire encore, des visites sur le terrain ont permis de constater que « plusieurs entreprises gagnantes n’existent pas aux adresses fournies », remettant sérieusement en question leur existence et leur capacité à assurer la prestation.

D’autres failles structurelles du processus d’appel d’offres ont été identifiées. L’absence de pondération entre les offres techniques et financières a conduit à des décisions biaisées et subjectives. Plus inquiétant encore, « l’ouverture des offres financières avant l’évaluation technique a permis des manipulations évidentes », offrant la possibilité d’ajuster les propositions financières pour maximiser les chances d’emporter un lot, au mépris des règles d’équité et de concurrence loyale.

Les recours déposés par les soumissionnaires évincés n’ont pas été traités, car le Comité de Règlement des Différends prévu par la loi n’a jamais été activé. Cette inertie administrative a permis aux entreprises bénéficiaires de conserver leurs contrats sans que leurs candidatures ne soient réexaminées.

Devant ces violations manifestes des principes de transparence et de bonne gouvernance, ECC estime que « le rapport de la Commission Ad hoc met en lumière un système de passation de marchés gangrené par la corruption, le favoritisme et le manque de transparence ». L’organisation exige en conséquence « l’annulation et la relance du marché », conformément aux recommandations formulées dans le rapport d’enquête. Elle appelle également à des sanctions contre les responsables de ces manquements. Pour ce faire, ECC demande que l’Unité de Lutte Contre la Corruption (ULCC) soit saisie afin de mener « une enquête indépendante pour identifier et sanctionner les responsables de ce scandale de corruption, qu’ils soient dans l’administration publique ou parmi les entreprises soumissionnaires ».

L’organisation plaide également pour un renforcement des contrôles effectués par la Commission Nationale des Marchés Publics (CNMP). À cet effet, elle encourage cette instance à « jouer son rôle dans la protection et la préservation des intérêts de l’État » en renforçant la rigueur dans l’évaluation des marchés publics soumis à son approbation. De plus, ECC exhorte les autorités à « mettre en place le Comité de Règlement des Différends », afin que les contestations en suspens puissent enfin être examinées dans le respect des procédures légales en vigueur.

ECC lance un appel solennel à la mobilisation générale de la société civile, des médias et de l’ensemble des citoyens. « La corruption dans les marchés publics prive l’État de ressources essentielles et compromet la qualité des services offerts à la population », alerte l’organisation. Elle insiste sur l’urgence de restaurer l’intégrité des institutions publiques et de mettre un terme aux pratiques frauduleuses qui gangrènent le pays.

“Ce scandale, qui illustre une fois de plus l’impunité dans la gestion des marchés publics en Haïti, ne peut rester sans conséquences”, selon ECC qui réaffirme sa détermination à exiger des comptes et à lutter pour que les principes de transparence et d’équité soient enfin respectés.