- PORT-AU-PRINCE, samedi 5 octobre 2024– Dans une analyse critique du rapport publié par l’Unité de Lutte Contre la Corruption (ULCC), Me Samuel Madistin expose les dimensions juridiques et politiques de ce qu’il appelle le « Scandale de corruption au CPT à l’angle du droit et de la politique ». Ce rapport, qui porte sur les allégations de corruption autour du Conseil Présidentiel, notamment la reconduction controversée de Raoul Pierre Louis à la tête du Conseil d’Administration de la Banque Nationale de Crédit (BNC), recommande des poursuites judiciaires contre plusieurs figures clés, telles que Louis Gérald Gilles, Emmanuel Vertilaire, Fritz Augustin, Lonique Léandre, et Raoul Pierre Louis lui-même. Me Madistin souligne que ce rapport a provoqué diverses réactions au sein de la société, demandant une analyse à la fois juridique et politique car l’affaire touche des conseillers directement liés au pouvoir exécutif.
En examinant les implications juridiques, Me Madistin explique que la notion de « pacte de corruption », telle qu’énoncée dans le rapport, est centrale à l’affaire. Selon le rapport, des nominations, transferts et promotions ont été effectués illégalement par Raoul Pierre Louis à la demande de certains conseillers, en échange de faveurs ou de soutien à son maintien à la tête de la BNC. Me Madistin précise que pour qu’un tel pacte soit qualifié de corruption au sens pénal, il doit y avoir preuve de l’accord entre les parties ainsi qu’une contrepartie clairement identifiable. Or, les investigations de l’ULCC semblent avoir révélé non seulement des communications entre les parties incriminées mais aussi des transactions financières suspectes, notamment l’octroi irrégulier de cartes de crédit aux conseillers, dont les dépenses n’ont jamais été remboursées.
Ces faits sont considérés comme des preuves tangibles de l’accord illicite, et le fait que ces rencontres aient eu lieu en dehors des canaux officiels ajoute un élément de dissimulation. Cependant, Me Madistin insiste sur la distinction entre des faits allégués et des faits établis par un tribunal compétent. Il rappelle que même si ces éléments semblent incriminants, ils devront être évalués dans le cadre d’une procédure judiciaire qui garantira les droits des accusés, dont le droit à la défense et la présomption d’innocence.
La question de l’immunité des conseillers est un autre point soulevé par Me Madistin dans son analyse. Bien que ces conseillers soient protégés par leur statut, notamment en raison de la crise constitutionnelle actuelle, il souligne que leur choix de comparaître devant les enquêteurs de l’ULCC pourrait être interprété comme une renonciation implicite à cette protection. Cela ouvre donc la possibilité de poursuites judiciaires ordinaires, ce qui soulève des questions sur la solidité de l’appareil judiciaire face à des figures politiques puissantes. Selon Me Madistin, il sera crucial que la justice soit non seulement impartiale mais également perçue comme telle par l’opinion publique.
D’un point de vue éthique, la question de la perception publique devient encore plus complexe. Si, légalement, les conseillers peuvent invoquer la présomption d’innocence, leur implication dans une affaire de corruption entame considérablement leur crédibilité. Dans l’opinion publique, largement influencée par les médias sociaux et les émissions radiophoniques, ces conseillers sont déjà jugés comme coupables. Me Madistin note que cette perception est particulièrement problématique car elle contribue à une érosion de la confiance dans les institutions publiques, exacerbée par le contexte de crise politique.
Me Madistin souligne que, bien que ces conseillers puissent rester en fonction jusqu’à l’aboutissement des procédures judiciaires, l’éthique politique exige une décision rapide. Il fait référence à des précédents internationaux où des figures politiques ont choisi de se retirer temporairement de la vie publique pour permettre aux enquêtes de se dérouler sereinement, sans interférer avec l’intégrité des institutions. Pour lui, les conseillers Emmanuel Vertilaire, Louis Gérald Gilles, et Smith Augustin devraient suivre cet exemple et démissionner volontairement, afin de préserver l’image de l’exécutif et d’éviter d’ajouter à la crise de légitimité qui paralyse déjà le pays.
Selon Me Madistin, cette situation pourrait même entraîner des répercussions politiques plus larges, notamment si les conseillers en question continuent de s’accrocher à leurs postes malgré les accusations. Cela risquerait de provoquer une défiance encore plus grande envers le gouvernement et de renforcer les mouvements de contestation populaire, déjà très actifs dans le pays. La gestion de cette affaire de corruption, conclut-il, sera un test pour le gouvernement en place, qui doit démontrer sa capacité à gérer les scandales de manière transparente et équitable, sans céder à la tentation de protéger ses alliés politiques.