PORT-AU-PRINCE, mardi 14 mai 2024 – Le juge d’instruction Jean Wilner Morin a rendu une ordonnance le 8 mai 2024, renvoyant les nommés Romel Bell, ex-directeur général de l’Administration Générale des Douanes (AGD), son épouse Anna Dorvil Bell, le père Dukens Augustin et A&L DISTRIBUTION devant le tribunal criminel pour blanchiment d’argent et financement du terrorisme.
Les charges retenues contre les accusés incluent également la complicité dans ces activités, ainsi que des accusations de fausse déclaration de patrimoine, d’enrichissement illicite et d’association de malfaiteurs.
Ces accusations sont soutenues par les dispositions légales, notamment les articles 5.2 et 5.3 de la loi du 12 mars 2014 sur la prévention et la répression de la corruption, ainsi que d’autres textes juridiques pertinents. L’ordonnance établit également que les accusés doivent être conduits à la maison d’arrêt, s’ils ne l’ont pas déjà été.
De plus, toutes les pièces de la procédure préparatoire, ainsi que l’ordonnance elle-même, ont été transmises au Commissaire du Gouvernement pour qu’il prenne les mesures appropriées.
Cette décision fait suite à une enquête approfondie menée par l’Unité de Lutte Contre la Corruption (ULCC), révélant des transactions financières et économiques douteuses. L’ULCC, créée en 2004 pour combattre la corruption sous toutes ses formes, a mis au jour un réseau complexe d’opérations suspectes impliquant les accusés.
Romel Bell, en particulier, a été épinglé pour des déclarations de patrimoine incomplètes et inexactes, ainsi que pour des acquisitions de biens et des transactions financières jugées disproportionnées par rapport à ses revenus légitimes.
Les preuves présentées révèlent un schéma sophistiqué de dissimulation de patrimoine, impliquant des dépôts en espèces sur des comptes bancaires, des acquisitions de biens immobiliers non déclarées, et des activités commerciales douteuses à travers des sociétés écrans. Des vérifications fiscales ont également révélé des écarts significatifs entre les revenus déclarés et les actifs possédés par les accusés.
En outre, des allégations de trafic d’armes et de munitions ont été soulevées contre Romel Bell, renforçant les soupçons de conduites criminelles. Les complicités présumées du prêtre catholique Augustin Duckens et d’autres membres du gouvernement ont également été examinées dans le cadre de l’enquête.
Dans son ordonnance, le magistrat Morin a souligné que les éléments de preuve recueillis par l’ULCC sont suffisants pour justifier un renvoi en justice pour blanchiment d’argent, enrichissement illicite, et autres infractions connexes. Il a également mis en avant l’obligation légale pour les accusés de justifier la provenance licite de leurs avoirs lors d’un éventuel procès public.
Concernant Anna Dorvil Bell, l’épouse de Romel Bell, l’ordonnance révèle une série de faits accablants qui mettent en évidence des activités financières suspectes et potentiellement illégales. Il est stipulé dans l’ordonnance que madame Bell détient plusieurs comptes bancaires, dont un compte à la SOGEBANK avec un solde dépassant les $35 843,46 US ainsi qu’un compte DAT (Dépôt à terme) contenant vingt millions de gourdes.
De plus, des informations provenant de diverses institutions indiquent que des véhicules sont enregistrés à son nom, ce qui soulève des questions quant à l’origine de ses fonds.
Une enquête menée par l’Unité de Lutte contre la Corruption (ULCC) a révélé que madame Bell est également associée à trois stations d’essence enregistrées fiscalement sous le nom de A&L Distribution SA, dont elle est légalement la représentante. Ces stations, situées à Tabarre, Clercine et Gerald Bataille, sont toutes enregistrées au nom d’Anna Dorvil Bell, selon les documents officiels.
De manière encore plus troublante, il a été confirmé que Madame Bell est impliquée dans une organisation caritative, ‘‘Renmen Timoun yo’’ (ORT), pour laquelle elle a obtenu l’autorisation de fonctionnement du ministère des Affaires sociales et du Travail.
Des comptes bancaires au nom de cette organisation, tous gérés par Anna Dorvil Bell, ont été identifiés à la SOGEBANK, avec des soldes considérables. Cependant, ce qui a le plus attiré l’attention des autorités est l’utilisation des fonds de l’organisation Renmen Timoun yo à des fins personnelles. Des transferts internationaux ont été effectués à plusieurs reprises vers une institution nommée NONVERDE ACADEMY INC, aux États-Unis, pour payer les frais de scolarité des enfants du couple Bell. Ces transferts, totalisant près de $94 063.25 US, ont été réalisés sur une période allant de août 2019 à novembre 2020.
Pourtant, selon l’ordonnance, les statuts de l’organisation Renmen Timoun yo déclarent clairement que sa mission est d’aider les enfants défavorisés, orphelins et abandonnés, ce qui soulève des préoccupations quant à l’utilisation inappropriée des fonds destinés à des causes philanthropiques.
L’ordonnance conclut qu’il existe suffisamment de preuves pour inculper Anna Dorvil Bell de blanchiment d’argent, d’enrichissement illicite et d’association de malfaiteurs. Par conséquent, elle doit être traduite devant la juridiction compétente pour être jugée en conformité avec la loi.
Dans le cadre de cette même affaire, le prêtre Duckens Augustin, directeur régional de Food For The Poor, est également accusé de complicité de blanchiment d’argent pour ses prétendues activités financières douteuses. Selon l’ordonnance, l’histoire commence avec des allégations selon lesquelles Augustin aurait utilisé sa position au sein de Food For The Poor pour faciliter des transactions financières suspectes avec Romel Bell et Anna Bell, acteurs principaux présumés dans des affaires de trafic d’armes et de corruption.
Les enquêteurs ont recueilli des déclarations selon lesquelles Augustin aurait agi en tant que principal donateur de l’organisation Renmen Timoun Yo, un acte qui soulève des questions sur la légitimité des fonds utilisés pour de telles donations.
Romel Bell, dans ses déclarations aux autorités, a mis en lumière des transactions financières contradictoires impliquant Augustin, notamment un don de 10 000 dollars américains qui aurait été déclaré comme 150 000 gourdes. Ces révélations ont éveillé des soupçons sur les relations d’affaires entre Augustin et les Bell, des soupçons qui n’ont pas été dissipés lors de l’interrogatoire d’Augustin.
Les comptes bancaires substantiels de Augustin ont également attiré l’attention des enquêteurs. Bien qu’il ait tenté de justifier ces montants en prétendant qu’ils provenaient de dons lors de voyages ecclésiaux, de telles explications sont largement remises en question, notamment à la lumière des vœux de pauvreté prêtés par le droit canonique aux religieux.
En effet, selon les principes du droit canon, les religieux font vœu de pauvreté, ce qui les empêche d’acquérir des biens en leur propre nom. Le fait qu’Augustin ait des comptes bancaires personnels et des biens déclarés est considéré comme une violation de ces vœux et ouvre la voie à des poursuites pénales.
De plus, la législation haïtienne sur la prévention et la répression de la corruption s’applique à toute personne physique ou morale impliquée dans des actes de corruption, notamment l’enrichissement illicite et le blanchiment d’argent. En utilisant sa position au sein de Food For The Poor pour faciliter des transactions douteuses, Augustin s’expose à des accusations de complicité de blanchiment d’argent, en vertu de cette loi.
Lors de son interrogatoire, Augustin a admis détenir des sommes considérables sur ses comptes bancaires, qu’il prétend avoir reçues en tant que dons pour ses prédications. Cependant, la provenance de ces fonds reste sujette à caution, ce qui renforce les soupçons pesant sur Augustin.
Dans l’ensemble, souligne l’ordonnance, les preuves accumulées contre le prêtre Duckens Augustin suggèrent qu’il aurait utilisé sa position au sein d’une organisation humanitaire respectée pour faciliter des activités financières douteuses.
En conséquence, il est recommandé qu’il soit renvoyé devant le tribunal criminel pour complicité de blanchiment d’argent, conformément à la loi haïtienne sur la prévention de la corruption.
La justice devra faire la lumière sur cette affaire et assurer que ceux qui abusent de leur position de confiance pour des gains personnels soient tenus responsables de leurs actes. La société « A&L Distribution » fait également l’objet de poursuites pénales, soulevant des questions quant à sa responsabilité en matière de corruption.
Fondée sur les dispositions de la loi du 12 mars 2014, cette affaire met en relief les enjeux juridiques entourant la responsabilité des personnes morales dans les actes répréhensibles commis en leur nom. L’article 7 de la loi en question énonce clairement que la responsabilité des personnes morales peut être engagée en cas d’actes de corruption perpétrés par leurs représentants légaux ou par des individus agissant pour leur compte. Cette disposition met en évidence la volonté du législateur de lutter efficacement contre la corruption en sanctionnant les entités qui en bénéficient, même si leurs dirigeants en sont les auteurs.
Il convient de noter que cette responsabilité des personnes morales, telle que prévue à l’article 7, ne fait pas obstacle aux poursuites pénales individuelles à l’encontre des auteurs des actes de corruption et de leurs complices. Cette double possibilité de poursuites vise à garantir une répression complète des comportements répréhensibles, tant au niveau des individus que des entités qu’ils représentent.
Par ailleurs, l’article 8 de la même loi établit les sanctions encourues par les personnes morales reconnues coupables d’infractions en matière de corruption. Ainsi, celles-ci peuvent se voir infliger des amendes significatives, pouvant aller jusqu’à dix millions de gourdes, en plus des saisies et confiscations ordonnées au profit de l’État. Cette disposition dissuasive vise à décourager toute tentative de corruption et à assurer une juste réparation pour les préjudices subis.
Dans le cas spécifique de « A&L Distribution », les faits reprochés à ses représentants légaux, les époux Bell, mettent en lumière des pratiques de dissimulation et de blanchiment des avoirs injustifiés, caractérisant ainsi des fonds mal acquis. En conséquence, l’application stricte des dispositions de la loi anti-corruption s’impose, conduisant à une poursuite pénale contre l’entreprise et ses dirigeants pour des infractions avérées de blanchiment d’argent, d’enrichissement illicite et d’autres délits connexes.
Cette affaire illustre la détermination de certains juges à combattre la corruption sous toutes ses formes et à tenir responsables non seulement les individus impliqués, mais également les entités qui en tirent profit. En renforçant le cadre juridique et en appliquant rigoureusement les lois en vigueur, la justice pourrait s’affirmer comme un rempart essentiel dans la lutte contre la corruption et pour la préservation de l’intégrité économique et sociale.