PORT-AU-PRINCE, mardi 29 octobre 2024– Dans son rapport récent, le Groupe d’experts de l’ONU met en lumière l’enrôlement inquiétant d’enfants par les gangs en Haïti, qui atteindrait des niveaux alarmants. Des enfants âgés d’à peine 10 ans, représentant parfois jusqu’à 50 % de l’ensemble des membres des gangs, sont de plus en plus exposés à ce recrutement forcé. Poussés par un contexte de dévastation économique et sociale, marqué par un accès limité à l’éducation, aux emplois et aux biens de première nécessité, ces enfants sont piégés dans un environnement où l’adhésion à un gang peut apparaître comme la seule option de survie.
Le rapport souligne que les méthodes d’enrôlement se multiplient. Les gangs attirent les jeunes en leur offrant de l’argent, un téléphone, une moto, ou la promesse de bénéfices économiques et d’une reconnaissance sociale. Toutefois, lorsque ces incitations échouent, les gangs n’hésitent pas à employer des menaces, allant jusqu’à menacer de mort les enfants ou leurs familles. Cette situation a des répercussions profondes pour les enfants enrôlés, à qui il est interdit de quitter leur gang sous peine de représailles violentes, et même de mort.
Certains gangs, tels que Brooklyn, Grand Ravine, 5 Segond, Gran Grif, 400 Mawozo, Belekou, Ti Bwa, et 103 Zombie, sont spécifiquement identifiés comme utilisant fréquemment les enfants dans leurs rangs. Le montant de la rémunération des enfants dépend de leurs tâches : les mineurs affectés à des postes de contrôle gagnent environ 15 000 gourdes (110 USD) par quinzaine, tandis que ceux impliqués dans des affrontements touchent jusqu’à 25 000 gourdes (180 USD). Le recrutement massif par les gangs est renforcé par leur territorialité stricte, limitant tout choix pour les enfants qui risquent leur vie en tentant de fuir ou de rejoindre un autre territoire.
Les enfants remplissent divers rôles selon leur âge, leur sexe et leurs compétences. Si les filles sont généralement assignées aux tâches ménagères ou employées comme espionnes, certaines participent directement aux affrontements. Le rapport indique même que des enfants sont formés aux techniques militaires et à l’utilisation des armes par des chefs de gangs comme Dimitri Hérard. Certains mineurs prennent même le contrôle de cellules, à l’image de Ti Bebe Bougoy, leader du gang 103 Zombie alors qu’il n’était encore qu’un adolescent en 2022.
En parallèle de ce recrutement forcé, les gangs exploitent une tactique encore plus préoccupante : l’utilisation de civils comme boucliers humains. Depuis 2024, plusieurs gangs ont commencé à empêcher les habitants de quitter leurs domiciles, les piégeant dans leurs maisons. Ils n’hésitent pas à exécuter sommairement ceux qui tentent de fuir, créant ainsi une situation critique pour les civils, notamment dans les zones densément peuplées. Cette stratégie a pour but de se dissimuler parmi la population civile pour éviter les confrontations directes avec la Police nationale d’Haïti et la Mission multinationale d’appui à la sécurité, augmentant dramatiquement le risque de pertes humaines.
À Carrefour-Feuilles, par exemple, le gang Grand Ravine occupe plusieurs habitations, empêchant les résidents de sortir, et transformant ces zones en véritables prisons pour les civils pris en otage. La tactique des boucliers humains est une violation flagrante des droits humains, soulignant la brutalité croissante de ces groupes armés face aux interventions de plus en plus fréquentes des forces de sécurité.
Bien que le Gouvernement haïtien et les Nations Unies aient signé en 2023 un protocole pour la prise en charge des enfants enrôlés dans les gangs, le rapport du Groupe d’experts souligne l’urgence d’une mise en œuvre effective de cet accord, en particulier avec la présence de la Mission multinationale qui pourrait soutenir les efforts de sécurisation du territoire.
Les témoignages de jeunes tentant de fuir ces gangs témoignent de la violence inouïe subie par les enfants. Un garçon, ayant échappé de justesse au gang Grand Ravine, a dû fuir en République dominicaine pour sauver sa vie, tandis qu’une jeune fille de 16 ans a relaté comment son frère de 17 ans, après avoir refusé de rejoindre le gang 5 Segond pour des raisons religieuses, a été persécuté puis exécuté pour avoir résisté. La pression sur les enfants et leurs familles, ajoutée à la terreur instaurée par ces gangs, a transformé des communautés entières en zones de non-droit.
Ce rapport de l’ONU illustre la réalité glaçante de la situation en Haïti, où des milliers de jeunes sont recrutés de force et où les civils sont pris en otage par des groupes armés sans scrupules, sous les yeux impuissants des autorités locales et internationales. Les recommandations appellent à des actions immédiates pour contrer ces pratiques inhumaines, protéger les enfants et restaurer un semblant de paix dans les communautés haïtiennes dévastées.