PORT-AU-PRINCE, dimanche 27 octobre 2024- Les images du marché en fer, aussi appelé Marché Hyppolite, construit en 1891 à Port-au-Prince, sous le règne du président haïtien Florvil Hyppolite, ont récemment envahi les réseaux sociaux, notamment Facebook et X (anciennement Twitter), où elles ont suscité une émotion profonde. Ces photographies, montrant le marché autrefois rayonnant et aujourd’hui délabré, envahi par une végétation indomptée, prennent avec une intensité poignante la déchéance d’un lieu autrefois symboliquedu commerce haïtien. Jadis, ce marché était un espace idéal de négoces où se croisaient artisans, marchands et acheteurs venus de divers horizons, incluant des voyageurs panaméens rapportant des sacs remplis de devises. Ce lieu foisonnant accueillait des étals de produits locaux, des objets d’art, et même des éléments rituels vaudous, préservant les traditions culturelles haïtiennes et donnant vie à l’âme d’Haïti.
À l’origine, les structures métalliques qui allaient former le marché en fer avaient été commandées en France pour construire une gare ferroviaire en Égypte. Cependant, pour des raisons encore entourées de mystère, le projet égyptien n’a jamais abouti. C’est alors que le président haïtien de l’époque,Hyppolite, en quête d’un symbole de modernisation pour Haïti, apprit l’existence de ces structures abandonnées. Hyppolite les acheta et les fit expédier à Port-au-Prince.
Le marché avait subi plusieurs incendies au fil des ans, mais la plus grande catastrophe survint en 2010, lorsqu’un séisme dévastateur frappa Haïti et endommagea gravement le marché en fer. Ce site, qui symbolisait la résilience et la vitalité du peuple haïtien, semblait perdu. Cependant, Digicel, une entreprise de télécommunications très impliquée en Haïti, décida de financer sa reconstruction pour restaurer ce symbole de la culture haïtienne. En 2011, le marché fut reconstruit, fidèle à ses origines historiques.
Aujourd’hui, la destruction de ce bâtiment, couplée à l’intensification de la violence des gangs à Port-au-Prince, a eu des conséquences dévastatrices pour la communauté locale, l’économie, et le tissu social de la ville. Sa perte a causé d’importants dommages financiers et poussé de nombreux habitants à chercher désespérément de nouveaux moyens de subsistance, ravivant la crise économique. Ce tragique événement marque la fin d’une économie autrefois florissante.
En effet, la capitale, déjà affaiblie par des crises politiques et économiques successives, voit ainsi disparaître une partie de son cœur économique. Le centre-ville de Port-au-Prince est désormais une cité fantôme. Pratiquement tous les bâtiments commerciaux sont désertés, le long du boulevard Jean-Jacques Dessalines et dans les rues avoisinantes telles que la rue Pavée, la rue des Miracles, la rue de l’Enterrement, l’avenue John Brown (Lalue), la rue Saint-Honoré et la rue Monseigneur Guilloux. Le nouvel hôpital de l’Université d’État d’Haïti, pourtant achevé à 90 %, ne verra probablement jamais le jour en raison de la violence environnante. Les récents édifices de la Cour des comptes et du Ministère de l’Intérieur, situés le long de la rue des Casernes, sont eux aussi affectés.
Cette partie de la capitale donne l’impression d’une ville en guerre, rappelant des scènes de destruction au Moyen-Orient. Les façades criblées de balles, les vitrines fracassées et les rues vides incarnent l’effondrement du secteur économique. Au milieu de cette désolation, le siège de la Banque de la République d’Haïti (BRH), abritant le trésor national, se dresse toujours, protégé par des gardes armés pour éviter qu’il ne tombe aux mains des gangs.
Port-au-Prince est aujourd’hui encerclée par des gangs dont l’emprise s’étend de Carrefour-Feuilles à Bas-Peu-de-Chose, de Carrefour à Bas Delmas, jusqu’à Croix-des-Bouquets. Cette occupation installe un climat de terreur, entraînant des déplacements massifs de populations et une crise du logement qui accentuent la déchéance de la capitale haïtienne, autrefois vibrante et animée par ses échanges. Cette semaine, les groupes armés ont pris le contrôle d’une partie de Solino, quartier stratégique pour l’expansion de leur influence. Ce bastion leur donnerait un accès direct aux quartiers résidentiels de premier plan tels que Bois Verna, Turgeau et Canapé-Vert. Cette avancée, si elle se consolide, scellerait davantage leur emprise sur la ville, exacerbant l’insécurité et rendant insoutenable le quotidien de milliers de familles.
La situation s’est encore détériorée avec une nouvelle vague de kidnappings qui frappe la capitale. Les témoignages évoquent une évolution alarmante : les enlèvements ne s’accompagnent plus de demandes de rançon, mais semblent désormais liés à un trafic d’organes, alimenté par un réseau clandestin insidieux. Les habitants de Carrefour-Feuilles, cherchant à fuir cette violence, témoignent de leur désespoir face à une nécessité de déménagement répétée, souvent à des prix exorbitants.
Des milliers d’Haïtiens de la diaspora, ayant passé une grande partie de leur vie à travailler à l’étranger, ont construit des maisons en Haïti, espérant y vivre leurs dernières années en paix. Cependant, beaucoup se retrouvent aujourd’hui face à une tragique réalité : leurs quartiers sont encerclés, et leurs demeures prises d’assaut par des escadrons de la mort. Un réseau mafieux, composé même de membres de l’appareil d’État, de la justice et des forces de police, profite de la situation chaotique pour s’approprier illégalement des propriétés, notamment dans les quartiers de Vivy Michel, Belvil et même du côté de Delmas.
La crise économique qui sévit en Haïti est amplifiée par la paralysie de l’approvisionnement en produits essentiels. Les gangs contrôlent les principales routes, ce qui entrave la distribution de nourriture et met en péril le fonctionnement des entreprises. Plus de 4,5 millions de personnes souffrent d’insécurité alimentaire aiguë, tandis qu’une inflation atteignant 30 % rend les produits de première nécessité inaccessibles. De nombreuses familles doivent consacrer près de 70 % de leurs revenus à l’alimentation, avec des conséquences dramatiques sur leur survie quotidienne.
Le chômage atteint des niveaux alarmants, frôlant les 70 % de la population active, résultat d’une instabilité économique et d’une insécurité croissante qui découragent les investissements étrangers. Les opportunités d’emploi se réduisent, amplifiant ainsi les difficultés socio-économiques, notamment la pauvreté et l’insécurité alimentaire, qui touchent la majorité des ménages haïtiens.
Les familles, même avec un revenu quotidien modeste de 1 000 gourdes (environ 7,40 USD), peinent à nourrir un foyer de 4 à 5 personnes. Les prix des aliments de base ont doublé, rendant la survie de plus en plus précaire. Des agriculteurs, confrontés à des difficultés d’accès aux intrants et à l’écoulement de leurs produits, commencent à abandonner leurs terres, laissant derrière eux un secteur vital pour l’économie locale.
La rentrée scolaire, débutée en octobre, a été marquée par de profondes difficultés. De nombreux établissements restent occupés par des personnes déplacées, empêchant des milliers d’élèves de reprendre le chemin de l’école. La crise économique a également privé de nombreux parents des ressources nécessaires pour scolariser leurs enfants, augmentant les inégalités d’accès à l’éducation.
L’occupation des territoires par des bandits et la multiplication des crimes se poursuivent sans relâche, malgré la présence de la mission internationale dirigée par le Kenya en Haïti, dénommée Mission de soutien à la sécurité en Haïti (MSSH). Les forces kenyanes, déployées depuis juin, œuvrent depuis quatre mois pour lutter contre la violence des gangs et atténuer la crise humanitaire.
Cependant, quatre mois après le début de leurs opérations, quel est le bilan de cette mission ? Il est important de noter que cette force opère dans un contexte politique particulièrement difficile, où un gouvernement sous la direction de Garry Conille et un Conseil présidentiel de transition peinent à établir le consensus nécessaire pour une gestion efficace du pouvoir et pour rétablir l’ordre face à la montée de la violence.
La question centrale qui se pose concerne les causes profondes de cette violence, qui semble s’intensifier à volonté et menace d’anéantir la nation. Qui tire les ficelles de cette spirale chaotique ? Quelle main cachée ou force occulte orchestre cette situation dans cette nation des Caraïbes, riche d’une histoire complexe et tumultueuse ? Quels véritables intérêts poussent certains Haïtiens, et même des étrangers, à plonger Haïti dans un tel tourbillon de chaos ?