PORT-AU-PRINCE, mercredi 12 juin 2024– Ce 12 juin ramené le 29e anniversaire de la création de la Police Nationale d’Haïti (PNH)-un anniversaire, qui aurait dû être une occasion de célébration et de reconnaissance pour les services rendus par les forces de l’ordre dans un pays souvent confronté à des défis sécuritaires énormes.
Cependant, le Réseau National de Défense des Droits Humains (RNDDH) a publié un rapport accablant sur les conditions de travail des agents de la Police Nationale d’Haïti (PNH), coïncidant avec le 30e anniversaire de la création de cette institution. Le rapport du Réseau National de Défense des Droits Humains (RNDDH) révèle une réalité bien plus sombre et inquiétante.
Cette enquête, menée du 6 au 27 mai 2024, s’est appuyée sur les témoignages de 132 policiers, incluant 108 hommes et 24 femmes, répartis dans divers commissariats, sous-commissariats, prisons et unités spécialisées de huit des dix départements géographiques du pays, à l’exception de l’Artibonite et du Nord-Ouest.
Selon le rapport, les résultats de cette enquête dressent un tableau alarmant des conditions de travail des agents de la PNH. Les policiers se retrouvent à travailler dans des environnements souvent insalubres, avec des infrastructures délabrées et insuffisantes pour assurer un cadre de travail décent.
Le rapport du RNDDH souligne que les horaires de travail sont décrits comme astreignants et difficiles, affectant leur santé physique et mentale. En outre, la rémunération constitue un point de frustration majeure.
‘‘Les salaires sont non seulement insuffisants pour couvrir le coût de la vie, mais ils sont également versés de manière irrégulière. Beaucoup de policiers rapportent des arriérés de salaires qui restent impayés pendant de longues périodes, ce qui crée une situation financière précaire pour eux et leurs familles. Les augmentations salariales, lorsqu’elles se produisent, sont rares et ne suivent pas une procédure transparente’’, précise le document.
Une policière interrogée a déclaré, sous couvert d’anonymat : « Nous travaillons dans des conditions inhumaines, sans même savoir quand nous recevrons notre prochain salaire. Comment pouvons-nous protéger la population alors que nous ne pouvons même pas subvenir aux besoins de nos propres familles ? » Cette déclaration résume bien le sentiment général de frustration et de désespoir parmi les agents de la PNH.
Selon le rapport, la question des primes de risque ajoute une couche supplémentaire de mécontentement. Ces primes, censées compenser les dangers inhérents au métier de policier, sont distribuées de manière opaque et inéquitable. Certains agents exposés quotidiennement à des situations dangereuses ne reçoivent aucune compensation, tandis que d’autres, moins exposés, en bénéficient. Un policier vétéran a souligné : « Nous risquons nos vies chaque jour, mais les primes de risque semblent aller à ceux qui ne mettent jamais les pieds sur le terrain. C’est une injustice flagrante. »
Le document souligne la couverture sociale des policiers est également un point noir. Le système de santé auquel ils ont accès est jugé inefficace, avec des remboursements médicaux qui tardent à venir ou qui n’arrivent jamais. Beaucoup d’entre eux ignorent même les congés et autres bénéfices auxquels ils ont droit. L’absence d’assistance psychologique est particulièrement préoccupante dans un environnement de travail aussi stressant et dangereux. Les actes d’intimidation en milieu de travail, avec des menaces de renvoi proférées par les supérieurs hiérarchiques, sont fréquents et créent un climat de peur et d’insécurité au sein de l’institution.
En ce qui concerne la formation, le rapport du RNDDH souligne une lacune grave. Après leur formation initiale à l’Académie Nationale de Police, 35% des policiers ne reçoivent aucune formation continue. Les équipements fournis à la sortie de l’Académie sont souvent en mauvais état, forçant les policiers à acheter eux-mêmes des équipements essentiels, ce qui ajoute une charge financière supplémentaire à leurs revenus déjà insuffisants. Les armes, les munitions, les boucliers, les bâtons, ainsi que les véhicules comme les voitures et les motocyclettes, sont souvent inadéquats et insuffisants pour répondre aux besoins opérationnels.
La sécurité physique des policiers est également gravement compromise. De nombreux agents ne connaissent pas les protocoles de sécurité physique de l’institution ou n’y ont pas accès, ce qui a des conséquences désastreuses. Le rapport indique que 33% des policiers interrogés ont été victimes d’exactions dans l’exercice de leurs fonctions, incluant des blessures par balles et des agressions à l’arme blanche.
Selon le rapport, entre 2015 et 2024, 323 policiers ont été assassinés, dont 20 rien que pour les six premiers mois de 2024. Parmi ces victimes, 120 ont été tuées sous la direction de Frantz Elbé, un chiffre qui illustre l’escalade de la violence contre les forces de l’ordre. De plus, depuis 2021, 68 attaques armées ont été perpétrées contre des installations policières, dont 55 sous la direction de Frantz Elbé, ce qui montre une tendance inquiétante d’agressions ciblées contre la PNH.
Face à ces conditions déplorables, 95% des policiers interrogés ont exprimé une profonde frustration. Ils demandent des mesures urgentes pour améliorer leurs conditions de travail et leur efficacité sur le terrain. Ils insistent sur la nécessité de recevoir un salaire régulier et proportionnel au coût de la vie, ainsi que le paiement des arriérés de salaire. Ils réclament également une couverture d’assurance santé efficace et une distribution équitable des primes de risque. Un policier a affirmé : « Nous ne demandons pas la lune, juste des conditions de travail décentes et un minimum de respect pour les risques que nous prenons chaque jour. »
Les policiers souhaitent également des espaces de travail propres et assainis, avec des dortoirs conformes, ainsi que des équipements adéquats pour tous les postes de police, prisons et bases d’unités spécialisées. Ils appellent à une direction générale compétente et intègre, à la professionnalisation de l’institution policière et à des formations continues obligatoires pour les agents et cadres. En outre, ils demandent un soutien accru de la direction générale et une présence des syndicats sur tout le territoire national pour être à l’écoute des policiers.
Ce rapport du RNDDH, publié à l’occasion du 30e anniversaire de la PNH, met en lumière les nombreux défis auxquels font face les agents de la PNH et souligne l’urgence de réformes pour améliorer leurs conditions de travail et leur efficacité dans la lutte contre l’insécurité en Haïti.
‘‘Plutôt que d’être une période de célébration et de fierté institutionnelle, cet anniversaire est marqué par un appel désespéré à des changements nécessaires et urgents. L’état actuel des forces de l’ordre en Haïti, révélé par ce rapport, est non seulement un symptôme des difficultés plus larges du pays, mais aussi un rappel poignant des sacrifices et des injustices subis par ceux qui sont censés protéger et servir la population.’’
Face à cette situation critique, les policiers interrogés appellent à une série de mesures urgentes pour améliorer leurs conditions de travail et, par conséquent, leur efficacité sur le terrain. Ces mesures incluent une révision salariale significative et régulière, une distribution équitable des primes de risque, ainsi que l’amélioration des conditions de travail, notamment l’accès à des espaces de bureau salubres et à des équipements adéquats.
Cette enquête met en lumière les défis multiples et complexes auxquels sont confrontés les policiers haïtiens. Une action concertée et immédiate de la part des autorités est nécessaire pour répondre aux besoins légitimes de ces agents et garantir la sécurité et la stabilité dans le pays.