PORT-AU-PRINCE, mardi 28 janvier 2025–Pierre Espérance, directeur exécutif du Réseau National de Défense des Droits Humains (RNDDH), a exprimé, lundi 27 janvier 2025, ses préoccupations concernant l’inaction du commissaire du gouvernement de Port-au-Prince, qui n’a toujours pas rendu son réquisitoire définitif dans le scandale de corruption impliquant trois conseillers-présidents membres du Conseil Présidentiel de Transition (CPT) : Smith Augustin, Emmanuel Vertilaire et Louis Gérald Gilles.
Les trois hauts responsables sont accusés d’abus de fonction, de sollicitation de pots-de-vin et de corruption passive, notamment pour avoir tenté d’obtenir 100 millions de gourdes et une carte de crédit de 20 000 dollars américains en échange de la reconduction de Raoul Pascal Pierre-Louis à la tête de la Banque Nationale de Crédit (BNC).
Espérance a rappelé que le magistrat instructeur en charge du dossier, Me Félismé Benjamin, avait bouclé son enquête et transmis les conclusions au commissaire du gouvernement de Port-au-Prince pour réquisitoire définitif.
Conformément à la loi, ce dernier dispose d’un délai de cinq jours francs pour se prononcer. Cependant, ce délai étant déjà largement dépassé, l’absence de décision alimente des suspicions. « Ce retard n’est pas anodin et fait craindre des manœuvres pour entraver le cours normal de la justice », a déclaré Pierre Espérance, pointant du doigt une possible collusion pour enterrer l’affaire.
Le RNDDH a révélé que, parallèlement à cette inaction, des rencontres répétées auraient eu lieu entre les trois conseillers-présidents accusés et le commissaire du gouvernement près la Cour d’appel de Port-au-Prince, Me Claude Jean. Ces discussions auraient pour objectif d’obtenir le classement sans suite du dossier, en invoquant notamment l’incompétence présumée du magistrat instructeur pour traiter des accusations visant des « présidents ».
Cependant, Espérance a rejeté ces arguments comme étant totalement infondés et contraires à la législation en vigueur. « Cette interprétation ne repose sur aucune base légale et semble davantage être une manœuvre pour protéger les accusés au détriment de la justice », a-t-il affirmé.
Dans une lettre adressée récemment au ministre de la Justice, le RNDDH a dénoncé un revirement spectaculaire de la politique pénale en matière de lutte contre la corruption. L’organisation a rappelé qu’en octobre 2024, l’Unité de Lutte Contre la Corruption (ULCC) avait transmis au Parquet de Port-au-Prince un rapport accablant sur cette affaire.
Le document révélait que les trois conseillers-présidents avaient, en mai 2024, sollicité un pot-de-vin de 100 millions de gourdes ainsi qu’une carte de crédit de 20 000 dollars américains de Raoul Pascal Pierre-Louis, alors président du Conseil d’administration de la BNC, en échange de sa reconduction à son poste. L’ancien commissaire du gouvernement, Me Lionel Constant Bourgoin, avait rapidement émis un réquisitoire d’informer et confié l’affaire à Me Félismé Benjamin pour instruction.
Cependant, après le transfert de Me Bourgoin au Parquet de Jacmel, une série de décisions controversées a émergé sous l’égide de Me Claude Jean, commissaire près la Cour d’appel. Ce dernier a remis en question la compétence du magistrat instructeur et déclaré nuls les mandats de comparution émis à l’encontre des trois conseillers-présidents.
Le RNDDH a dénoncé ces prises de position comme étant motivées par des intérêts personnels, soulignant que Me Claude Jean avait rencontré à trois reprises les accusés avant de rendre ses déclarations.
« Cette attitude jette un doute sérieux sur l’impartialité du Parquet près la Cour d’appel et laisse craindre une tentative délibérée de saboter l’enquête », a écrit l’organisation. L’affaire, qui repose sur des accusations détaillées par le rapport de l’ULCC, inclut également la participation de Lonick Léandre, accusé d’avoir servi d’intermédiaire dans les négociations sur les pots-de-vin et les avantages financiers. Les faits reprochés, notamment des réunions dans la chambre 408 de l’hôtel Royal Oasis à Pétion-Ville, sont qualifiés de graves violations de la loi du 12 mars 2014 portant sur la prévention et la répression de la corruption.
Le RNDDH a également alerté sur les obligations internationales d’Haïti en matière de lutte contre la corruption, en vertu des conventions des Nations Unies et interaméricaine. L’organisation estime qu’une gestion opaque de ce dossier pourrait entacher davantage la réputation du système judiciaire haïtien et compromettre l’image du gouvernement. « Haïti ne peut se permettre un énième scandale judiciaire qui viendrait renforcer le sentiment d’impunité et d’effondrement de l’État de droit », a averti Pierre Espérance.
Le rapport de l’ULCC détaille des accusations précises, notamment l’abus de fonction, la corruption passive et la complicité de corruption. Les trois conseillers auraient utilisé leur position pour solliciter des avantages indus, tandis que Lonick Léandre aurait facilité ces démarches en jouant un rôle clé dans les négociations.
Pour Pierre Espérance et le RNDDH, cette affaire représente un véritable test pour le gouvernement haïtien. La société civile attend des actions claires et transparentes pour garantir que justice soit rendue. Toute tentative d’étouffer ce scandale serait perçue comme un échec majeur dans la lutte contre la corruption en Haïti.