PORT-AU-PRINCE, 3 octobre 2024.- Dans un communiqué conjoint, “Nou Pap Dòmi,” la Plateforme des Organisations Haïtiennes des Droits Humains (POHDH) et le Réseau National de Défense des Droits Humains (RNDDH) ont publiquement exprimé leur profond désaccord avec la création de la Commission Vérité, Justice et Réparation. Annoncée par un arrêté gouvernemental le 18 septembre 2024, cette commission a pour objectif d’enquêter sur les crimes de sang, crimes financiers, massacres, viols collectifs et autres graves violations des droits humains commis ces dernières années. Bien que ces organisations reconnaissent l’importance d’une telle initiative, elles soulignent plusieurs failles et s’inquiètent de l’absence de consultation préalable avec les principaux acteurs de la société civile, en particulier les organisations féministes et de défense des droits humains.
L’arrêté du 18 septembre 2024 précise que la Commission Vérité, Justice et Réparation est mise en place conformément à l’article 20 de l’accord politique pour une transition pacifique et ordonnée signé le 3 avril 2024. Ce texte confère à la commission la mission de fournir à la justice et à l’exécutif les éléments nécessaires pour agir, faire la lumière sur les crimes perpétrés et élaborer des mesures visant à éviter leur répétition. Parmi les faits les plus marquants, les massacres, crimes financiers et viols collectifs, largement commis dans le pays depuis 2018, doivent faire l’objet d’investigations minutieuses pour établir la vérité et garantir justice aux victimes.
Toutefois, selon Nou Pap Dòmi, la POHDH et le RNDDH, l’initiative a été mise en œuvre dans des conditions peu favorables. Les organisations rappellent que la situation sécuritaire du pays reste extrêmement précaire, citant des exemples concrets d’attaques perpétrées dans des zones comme Carrefour, Gressier, Cité Soleil, Solino, Delmas 24 et La Saline. Depuis janvier 2024, ces violences ont causé la mort de dizaines de personnes, ainsi que de nombreux cas de viols et de déplacements forcés. Face à ce climat d’insécurité, ces organisations doutent de la capacité réelle de la commission à enquêter efficacement et à rencontrer les survivants et les familles des victimes, étant donné les risques encourus sur le terrain.
Les organisations déplorent également l’absence de consultation des acteurs sociaux concernés, en particulier les associations féministes et les groupes de défense des droits humains. Depuis 2018, de nombreuses organisations, dont Nou Pap Dòmi et d’autres partenaires locaux, ont soutenu des victimes de viols, d’assassinats et de violences armées à travers des soins médicaux, psychologiques, juridiques et financiers. Elles sont en contact direct avec les survivants et connaissent la complexité des liens entre les criminels de droit commun et les auteurs de crimes financiers. Leur exclusion des discussions ayant abouti à la création de la commission suscite des interrogations sur la volonté des autorités de mener des enquêtes indépendantes et crédibles.
De plus, la composition de la Commission Vérité, Justice et Réparation a également été vivement critiquée. Sur les sept membres nommés, trois sont affiliés au Parti Haïtien Tèt Kale (PHTK), une formation politique largement critiquée pour sa gestion du pays. Marie Elise Brisson Gélin, ancienne ministre à la Condition féminine, Ocinjac Benjamin, ancien député, et Marie Yanick Mezile Lhérisson, ancienne ministre et ex-agente intérimaire à la Mairie de Delmas, sont tous perçus comme des acteurs liés à ce parti. Leurs positions passées et leur proximité avec le PHTK soulèvent de sérieux doutes sur leur impartialité, surtout que les crimes à enquêter sont survenus sous des gouvernements affiliés à ce même parti.
En outre, bien que la commission inclue plusieurs avocats et défenseurs des droits humains comme Renan Hédouville et Marie Esther Félix, Nou Pap Dòmi, la POHDH et le RNDDH estiment qu’une telle structure ne peut se limiter à des personnalités politiques et des avocats. Ces organisations suggèrent la nécessité d’inclure un plus grand nombre de sociologues, anthropologues, économistes et travailleurs sociaux ayant une connaissance approfondie de la réalité haïtienne. Pour elles, une analyse efficace des crimes financiers et des violations des droits humains nécessite une approche pluridisciplinaire.
Les organisations pointent également du doigt le timing de cette initiative. Selon elles, la création de la commission intervient à un moment où la situation sécuritaire demeure extrêmement fragile, notamment dans les départements de l’Ouest et de l’Artibonite, toujours sous le contrôle des gangs armés. Ces conditions rendent quasiment impossible la conduite d’enquêtes sérieuses sur le terrain. La persistance de cette insécurité, malgré les promesses répétées des autorités de transition, réduit considérablement les chances de succès de la commission.
En citant les échecs des précédentes promesses de rétablissement de la sécurité, Nou Pap Dòmi, la POHDH et le RNDDH avertissent que l’instauration d’une telle commission dans un contexte aussi volatile est non seulement mal choisie mais risque aussi de nuire à sa crédibilité dès le départ.
Face à ces divers éléments, Nou Pap Dòmi, la POHDH et le RNDDH recommandent une révision complète de la commission. Ils rejettent la structure telle qu’elle a été créée, la qualifiant de superficielle et inadaptée pour remplir son mandat. Les organisations demandent aux autorités d’abroger l’arrêté du 18 septembre 2024 et de repenser la composition et la mission de la commission en collaboration avec les acteurs clés de la société civile. Elles insistent sur la nécessité de placer les victimes et survivants au cœur du processus et de garantir la transparence dans la sélection des membres, en privilégiant des experts ayant une réelle expertise dans les domaines concernés.
Les organisations concluent leur communiqué en soulignant que cette commission, bien qu’elle soit d’une importance cruciale pour la population haïtienne, ne pourra atteindre ses objectifs sans une refonte en profondeur de sa structure et de ses méthodes de travail. Elles invitent les autorités à agir en conséquence et à se tourner vers une véritable justice réparatrice pour les victimes des violences perpétrées en Haïti ces dernières années.