PORT-AU-PRINCE, vendredi 22 novembre 2024– Pour la première fois en 30 ans de présence en Haïti, l’organisation Médecins Sans Frontières (MSF) a décidé de suspendre l’ensemble de ses activités à Port-au-Prince. La capitale haïtienne, aujourd’hui sous le contrôle de gangs à près de 80 %, est devenue un terrain où les violences ciblent directement les personnels médicaux. MSF justifie cette décision par une montée des agressions et des menaces, non seulement de la part des groupes armés, mais aussi des forces de l’ordre, explique Sarah Château, responsable des opérations en Haïti.
Dans un communiqué publié le 20 novembre, l’ONG a annoncé que si ses services de santé maternelle à Port-à-Piment, dans le sud du pays, restent opérationnels, ses installations à Port-au-Prince sont désormais fermées. Ces fermetures concernent quatre hôpitaux, deux cliniques spécialisées dans l’accompagnement des victimes de violences sexuelles, une clinique mobile et plusieurs autres structures de soins primaires. Environ 3 000 patients par mois dépendaient de ces services, qui figurent parmi les rares à offrir des soins de santé secondaires en Haïti.
Sarah Château précise que cette décision historique est due à une menace croissante sur la sécurité des équipes. « Nous avions déjà suspendu certaines activités par le passé en raison d’incidents impliquant nos patients. Mais ce qui est différent aujourd’hui, c’est que nos équipes elles-mêmes sont ciblées. Nos membres sont régulièrement arrêtés par la police à des checkpoints, menacés de mort ou de viol. »
L’attaque d’une ambulance le 11 novembre a marqué un point de rupture. L’ambulance, transportant trois blessés par balle, a été arrêtée par les forces de l’ordre et redirigée vers un autre hôpital public. Là, une vingtaine d’hommes armés ont attaqué le véhicule, tuant au moins deux des patients et agressant le personnel soignant présent. Cet incident illustre une violence sans précédent, selon MSF.
Cette montée des tensions coïncide avec l’arrivée au pouvoir du nouveau Premier ministre Alix Didier Fils-Aimé, nommé après le limogeage controversé de Garry Conille par le Conseil présidentiel de transition. Toutefois, Sarah Château souligne que l’instabilité politique n’est qu’un facteur parmi d’autres : « Cette crise sécuritaire et humanitaire s’inscrit dans la durée. L’absence de perspectives pousse les communautés à s’organiser autour de milices locales et de groupes de vigilance, qui recourent à une justice expéditive. »
Dans ce contexte, la perception de MSF comme un acteur neutre est devenue un défi majeur. L’organisation soigne indistinctement les civils, les policiers, les militaires et même les membres de gangs. Mais cette impartialité est parfois mal comprise. « Nous sommes souvent perçus comme soignant les bandits, alors que notre mission est de soigner tout le monde, sans discrimination », déplore Sarah Château.
MSF précise toutefois qu’il ne s’agit pas d’un retrait définitif, mais d’une suspension temporaire. L’organisation espère pouvoir reprendre ses activités dès que des garanties suffisantes seront obtenues. « Nous avons besoin d’un engagement clair et public des autorités pour cesser les attaques et les menaces contre nos équipes », insiste la responsable. Elle appelle également à une meilleure sensibilisation des forces de l’ordre sur le rôle de l’organisation.
En attendant, la fermeture de ces structures médicales laisse une population déjà vulnérable sans accès à des soins essentiels, accentuant encore la gravité de la crise humanitaire en Haïti.