PORT-AU-PRINCE, mardi 21 mai 2024– Alors que la force multinationale dirigée par le Kenya s’apprête à se déployer en Haïti, les gangs du pays continuent de renforcer leur emprise, contrôlant des infrastructures clés et menaçant sérieusement les opérations à venir. Des dirigeants de gangs, soupçonnés d’être impliqués dans l’assassinat du président haïtien en 2021, dominent désormais des secteurs stratégiques, posant un défi majeur pour la force de police internationale.
Les gangs haïtiens ont pris le contrôle de nombreuses infrastructures essentielles, allant des commissariats aux ports maritimes. Des centaines de milliers de personnes ont été chassées de la capitale, Port-au-Prince, par cette violence omniprésente. Selon des diplomates occidentaux et des responsables, l’influence et les capacités des gangs haïtiens évoluent rapidement, les rendant plus menaçants que jamais pour la force de police de 2 500 hommes qui sera bientôt déployée.
Autrefois dépendants des élites politiques et économiques haïtiennes pour leur financement, certains gangs ont trouvé des sources de revenus indépendantes après l’assassinat du président Jovenel Moïse en 2021 et l’effondrement de l’État qui s’en est suivi.
Les gangs se sont procuré des armes automatiques, en partie volées aux armées régionales et en partie converties à partir de fusils semi-automatiques, selon des responsables du ministère de la Justice. De plus, ils affichent désormais leurs activités sur les réseaux sociaux, se présentant comme des milices avec des ambitions nationales.
En septembre dernier, plusieurs gangs ont formé une alliance appelée « Vivre Ensemble », après la fermeture de la frontière terrestre avec la République dominicaine. L’objectif était de surmonter les obstacles posés à leurs opérations de trafic de drogue. Cependant, cette alliance s’est rapidement effondrée après le vol de deux tonnes de cocaïne, mais a été relancée en février avec des objectifs plus ambitieux, y compris le renversement du Premier ministre haïtien et la résistance à la force de sécurité dirigée par le Kenya.
En février, l’alliance « Vivre Ensemble » a attaqué deux prisons, libérant environ 4 600 prisonniers, dont beaucoup ont rejoint leurs rangs. Parmi les évadés figurait Dimitri Hérard, ancien chef de la sécurité du président Moïse, accusé d’avoir ordonné à ses forces de ne pas intervenir lors de l’assassinat de ce dernier. Hérard est maintenant soupçonné de conseiller les gangs et de maintenir des liens avec des organisations criminelles régionales.
Les gangs haïtiens semblent également utiliser des armes similaires à celles employées par le Clan du Golfe, un cartel colombien. En mars dernier, le président colombien Gustavo Petro a déclaré que des milliers d’armes militaires avaient été volées et vendues à des groupes armés, possiblement en Haïti.
Les gangs sont de plus en plus liés au trafic de drogue, et les anciens officiers de police comme Hérard, impliqués dans le commerce de la drogue sous la présidence de Michel Martelly, pourraient maintenant collaborer avec eux. Martelly, accusé de corruption et de soutien aux gangs, a récemment nié toute ingérence dans le conseil de transition haïtien et tout lien avec les gangs.
La proposition d’amnistie pour les gangs et les anciens officiels pourrait attiser les tensions si elle n’est pas discutée avec les Haïtiens, surtout en période de crise politique aiguë. Les violations graves des droits de l’homme commises par les gangs ne font qu’accentuer cette inquiétude.
Alors que la force dirigée par le Kenya se prépare à intervenir, la situation en Haïti reste extrêmement volatile. Les gangs, désormais mieux équipés et plus autonomes, représentent une menace croissante pour la stabilité du pays et la mission internationale à venir. La communauté internationale doit naviguer prudemment pour restaurer l’ordre tout en évitant d’aggraver une situation déjà désespérée.
Un article de Maria Abi-Habib publié initialement en Anglais par : https://www.nytimes.com/2024/05/21/world/americas/haiti-gangs-weapons.html?searchResultPosition=1