“Michel Martelly et la trahison des Dominicains d’origine haïtienne déchus arbitrairement de leur nationalité: les révélations de Danilo Medina”…

Michel Martelly, ex-president d'Haiti...

SAINT-DOMINGUE, jeudi 6 mars 2025 En 2014, lors d’un sommet de la Communauté des États latino-américains et des Caraïbes (CELAC) à Cuba, la République dominicaine se trouvait sous le feu des critiques internationales. Quatorze chefs d’État s’apprêtaient à condamner fermement la décision de la Cour constitutionnelle dominicaine qui, par l’arrêt 168-13, avait déchu de leur nationalité plus de 250 000 Dominicains d’origine haïtienne, les rendant ainsi apatrides. Cette décision, largement dénoncée comme une violation flagrante des droits humains, risquait d’isoler diplomatiquement la République dominicaine et d’intensifier la pression internationale pour qu’elle revienne sur cette mesure discriminatoire.

Cependant, alors que l’onde de choc de cette condamnation imminente se faisait sentir, un événement inattendu a changé le cours des discussions. Selon les propres déclarations de l’ancien président dominicain Danilo Medina, diffusées à la télévision dominicaine, c’est le président haïtien de l’époque, Michel Martelly, qui est intervenu pour stopper cette offensive diplomatique.

Medina rapporte que Martelly a pris la parole pour calmer les débats et a déclaré aux autres chefs d’État : « Je remercie tout le monde pour le soutien apporté au peuple et au gouvernement d’Haïti. Mais je vous demande de me laisser régler mon problème avec le président Medina. Nous pouvons le résoudre à l’amiable dans le cadre de sommets bilatéraux. »

Cette déclaration a immédiatement mis fin aux discussions. À la suite de cette intervention, un accord a été conclu pour que, lors du débat général, aucun chef d’État ne revienne sur la question de l’arrêt 168-13. Une occasion unique de faire pression sur la République dominicaine pour qu’elle revienne sur sa politique discriminatoire venait ainsi d’être sabotée par celui-là même qui était censé défendre les intérêts des victimes.

Les réactions ne se sont pas fait attendre. De nombreux militants et organisations de la société civile haïtienne ont dénoncé ce qu’ils considèrent comme une trahison pure et simple de la part de Michel Martelly. Pour eux, il ne faisait aucun doute que la question de la dénationalisation massive des Dominicains d’origine haïtienne nécessitait une réponse multilatérale forte et une pression internationale coordonnée.

Plusieurs organisations avaient d’ailleurs formellement mis en garde contre toute gestion bilatérale de cette crise, arguant que Martelly n’était pas en position de négocier équitablement avec la République dominicaine. Leur crainte principale ? Que le président haïtien, dont la campagne électorale avait été massivement financée par des groupes d’intérêt dominicains, n’adopte une posture complaisante au détriment d’une véritable résolution du problème.

Les soupçons de compromission de Michel Martelly dans cette affaire prennent encore plus de poids lorsqu’on examine les liens financiers troubles entre le régime Martelly et des intérêts dominicains influents.

Selon plusieurs enquêtes et documents judiciaires, Michel Martelly aurait bénéficié d’un financement de 2,6 millions de dollars en provenance de la République dominicaine pour sa campagne présidentielle de 2010. Ce soutien financier aurait été orchestré par Félix Bautista, un sénateur dominicain et homme d’affaires influent, connu pour ses vastes opérations dans le secteur de la construction en Haïti.

En échange de ce soutien financier, des contrats juteux de reconstruction post-séisme ont été attribués aux entreprises de Bautista, notamment pour des travaux d’infrastructures en Haïti. Cependant, nombre de ces projets n’ont jamais été réalisés ou sont restés inachevés, alimentant un scandale de corruption qui a terni davantage l’image du régime Martelly.

Ce conflit d’intérêts manifeste explique, selon plusieurs observateurs, pourquoi Martelly a préféré désamorcer la pression internationale sur la République dominicaine au lieu de défendre vigoureusement les victimes de l’arrêt 168-13. Il ne pouvait tout simplement pas se permettre d’affronter directement ceux qui avaient financé son ascension au pouvoir.

Dès 2015, alors que la situation des Dominicains d’origine haïtienne s’aggravait, plusieurs organisations de la société civile haïtienne avaient adressé une lettre au Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme. Dans cette correspondance, elles dénonçaient la décision dominicaine et la qualifiaient de « génocide social », rappelant l’horrible massacre de 1937 où entre 15 000 et 20 000 Haïtiens avaient été exterminés en République dominicaine sous le régime de Trujillo.

Les organisations signataires alertaient également sur la montée de la xénophobie et des violences en République dominicaine à l’encontre des Haïtiens et des Dominicains d’origine haïtienne. Des migrants haïtiens ont été pendus en plein jour, ligotés, battus et amputés, illustrant une recrudescence alarmante des actes de barbarie.

Par ailleurs, elles avaient explicitement mis en garde contre toute tentative de règlement bilatéral de la question, insistant sur la nécessité d’une intervention internationale pour contraindre la République dominicaine à respecter les droits fondamentaux de ces citoyens.

Or, comme elles l’avaient redouté, la décision de Martelly de gérer cette crise en tête-à-tête avec Danilo Medina a empêché toute pression diplomatique efficace et a laissé le champ libre à la République dominicaine pour poursuivre ses politiques discriminatoires.

Aujourd’hui, le rôle de Michel Martelly dans cette affaire demeure un cas d’école de mauvaise gouvernance et de compromission politique. En mettant un terme aux condamnations internationales qui se profilaient contre la République dominicaine en 2014, il a privé les victimes de l’arrêt 168-13 d’une occasion historique d’obtenir justice et reconnaissance.

Pire encore, les révélations sur les financements dominicains de sa campagne électorale et les scandales de corruption impliquant des entreprises dominicaines démontrent que sa décision n’était pas dictée par un véritable souci de résolution de la crise, mais bien par des intérêts personnels et politiques.

Les conséquences de cette trahison sont encore visibles aujourd’hui : des milliers de Dominicains d’origine haïtienne continuent de vivre dans l’incertitude et la précarité, déchus de leur citoyenneté, tandis que la République dominicaine n’a jamais été réellement inquiétée sur le plan international pour ces violations des droits humains.

Cet épisode rappelle une leçon fondamentale : lorsqu’un dirigeant compromet la souveraineté et les intérêts de son peuple pour servir des intérêts privés, c’est toujours la population la plus vulnérable qui en paie le prix fort.