OTTAWA, lundi 19 décembre 2022– Le Canada a l’intention d’imposer davantage de sanctions économiques à Haïti pour y favoriser le dialogue politique, a déclaré la ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, a rapporté lundi le Toronto Star.
Mais même si elles peuvent avoir un certain effet, les critiques affirment que les sanctions pourraient ne pas suffire à arrêter la violence alors que le pays s’enfonce dans la crise, souligne le journal.
Plus tôt cet automne, rappelle le TS, le Canada a sanctionné 11 personnes, dont des hommes d’affaires et des dirigeants politiques, pour des allégations selon lesquelles ils auraient des liens avec des gangs violents.
Les dernières sanctions gèlent tous les avoirs détenus au Canada par trois membres de premier plan de l’élite économique en Haïti : Gilbert Bigio, Reynold Deeb et Sherif Abdallah.
S’exprimant au Parlement la semaine dernière, Joly a affirmé que les nouvelles sanctions “créent la bonne pression pour pousser au dialogue politique et aborder la question de la sécurité en Haïti”, ajoutant qu’elle travaillera avec ses homologues européens et américains sur la mise en œuvre de sanctions plus strictes.
Mais des experts ont déclaré que les sanctions, bien qu’utiles, ne suffisent pas à apporter un soulagement immédiat aux Haïtiens au milieu des problèmes sécuritaires, humanitaires et politiques auxquels ils sont confrontés, selon le journal.
Haïti a fait face à une pénurie de carburante après que des gangs violents aient bloqué son principal terminal pétrolier en septembre dernier, interrompant le transfert d’essence et de carburant vers les stations-services et provoquant des pénuries d’électricité, d’eau et de nourriture. Cela a conduit à son tour à une épidémie de choléra, et des cas de violences sexuelles et de meurtres de masse liés aux gangs ont été signalés, souligne le journal.
Haïti n’a pas tenu d’élections depuis avant la pandémie de COVID-19. Le Premier ministre Ariel Henry est le chef de l’État par intérim depuis l’assassinat du président Jovenel Moïse en juillet 2021.
Le gouvernement d’Henry a demandé une intervention militaire étrangère pour ouvrir un couloir humanitaire qui apporterait des secours au pays, une décision approuvée par le secrétaire général des Nations Unies, António Guterres. Le premier ministre Justin Trudeau a déclaré le mois dernier que le Canada n’envisagerait de participer à une telle intervention que si tous les partis politiques d’Haïti l’acceptaient.
‘‘L’approche du Canada a été critiquée par des experts et des défenseurs qui disent qu’une réponse plus forte est nécessaire’’, selon le journal.
“La situation là-bas est de plus en plus dramatique, et l’inaction n’est pas nécessairement la meilleure ligne de conduite”, a déclaré Renata Segura, directrice régionale de l’International Crisis Group, à une sous-commission parlementaire sur les droits humains internationaux qui analysait la situation en Haïti le 9 décembre dernier.
Gédéon Jean, responsable du centre d’analyse et de recherche en droits de l’homme (CARDH) qui a témoigné devant le sous-comité, a soutenu que la communauté internationale devrait intervenir en Haïti en vertu du principe de « responsabilité de protéger » de l’ONU.
Teddy Samy, professeur à l’Université Carleton qui étudie les États fragiles, dont Haïti, a fait écho à ce point de vue.
« Attendre que toutes les parties en Haïti se mettent d’accord pour vouloir une intervention n’est peut-être pas une si bonne idée, surtout si la situation s’aggrave et met davantage de vies en danger », a déclaré Samy.
Les sanctions canadiennes actuelles ne ciblent que les actifs canadiens des particuliers, de sorte que les actifs dans d’autres juridictions ou les actifs au Canada mais sous des noms différents ne sont pas affectés, a noté Samy.
“Les sanctions peuvent aider à réduire le flux de financement vers les gangs mais ne suffiront pas”, a-t-il déclaré. “Si la violence persiste et que les sanctions n’ont pas l’effet escompté, une intervention pourrait devenir nécessaire.”
Les sanctions d’Ottawa peuvent être utiles, mais elles n’auront pas d’impact immédiat sur la situation sécuritaire et humanitaire désastreuse, a déclaré le professeur Stephen Baranyi de l’Université d’Ottawa, un autre expert spécialisé en Haïti.
« Au cours des prochains mois, (les sanctions) pourraient permettre le réapprovisionnement des marchés, des hôpitaux, en essence et autres biens essentiels. Mais la situation est fluide. Une intervention de l’ONU ou d’une autre force de sécurité (principalement policière plutôt que militaire) reste une possibilité si tout le reste échoue », a déclaré Baranyi dans un e-mail, ajoutant que les sanctions ont déjà forcé la démission de deux ministres et d’un homme d’affaires de la Sogebank, l’une des banques haïtiennes.
“Les sanctions peuvent (encore) créer un espace pour que la police haïtienne, avec le soutien des États-Unis et du Canada, réaffirme son contrôle sur les zones qu’elle a perdues au profit des gangs.”
Outre son recours aux sanctions économiques, le Canada a également pris des mesures diplomatiques pour répondre à la crise de sécurité en Haïti.
Le bureau du premier ministre a déclaré qu’une équipe sera stationnée au sein de l’ambassade du Canada en Haïti pour travailler en étroite collaboration avec les responsables de la sécurité haïtienne, mais n’a pas précisé la fonction ou les membres de l’équipe.
Le porte-parole conservateur en matière d’affaires étrangères, Michael Chong, a déclaré que le plus gros problème de l’approche d’Ottawa envers Haïti est l’incapacité du Canada à soutenir la diplomatie avec force.
« Nous ne sommes pas en mesure d’aider Haïti de manière significative parce que le gouvernement a présidé à l’épuisement des Forces armées canadiennes. Une diplomatie sans force ni ressources pour la soutenir n’est pas efficace. Ce ne sont que des mots », a-t-il déclaré.
“Lors de mes discussions à Washington et à Ottawa, il était clair que l’administration Biden demande au Canada de jouer un rôle plus important dans l’aide à la situation sécuritaire en Haïti”, a déclaré Chong, qui a assisté au Forum parlementaire sur le renseignement et la sécurité organisé au Sénat américain ce mois-ci.
« Mais le gouvernement Trudeau n’a pas pris les devants pour le faire, en partie parce que les Forces armées n’ont pas la capacité de le faire.»
Le mois dernier, le général Wayne Eyre, chef d’état-major de la défense du Canada, a déclaré à CTV que le lancement et le maintien d’opérations militaires à plus grande échelle seraient un « défi » pour le Canada en raison des pénuries continues de personnel et d’équipement.
La porte-parole du NPD en matière d’affaires étrangères, Heather McPherson, a déclaré que les sanctions ne pouvaient pas faire grand-chose et qu’Ottawa devait faire plus pour résoudre la crise sécuritaire et humanitaire en Haïti.
« Il est clair que le gouvernement doit faire mieux. L’intervention militaire n’est certainement pas la solution. Le Canada doit travailler pour arrêter le trafic d’armes illégales vers Haïti, devrait augmenter son soutien financier à la société civile haïtienne et augmenter immédiatement l’aide humanitaire à Haïti », a-t-elle déclaré.