PORT-AU-PRINCE, vendredi 23 août 2024– Dans une interview accordée à RHINEWS, Me Samuel Madistin, qui s’exprime à la fois en tant que citoyen, professionnel du droit et diplomate de formation, a appelé à des mesures concrètes et immédiates, notamment des poursuites judiciaires contre Martelly en Haïti, suites aux sanctions qui lui ont été imposées par le Département du Trésor des Etats-Unis pour trafic de drogue, blanchiment des avoirs et parrainage de gangs.
Me Madistin n’a pas caché son indignation face à la situation actuelle en Haïti, qu’il attribue en grande partie à l’ancien président Martelly. « Ma réaction sur les sanctions prises par l’OFAC contre Martelly est une réaction de citoyen blessé dans son for intérieur et du professionnel du droit doublé du diplomate de formation que je suis », a-t-il déclaré. Selon lui, la responsabilité de la dégradation du pays incombe en partie aux États-Unis, qui ont joué un rôle clé dans l’ascension politique de Martelly. « Le citoyen a le regret de voir qu’après tout ce que les États-Unis ont fait pour imposer à Haïti un citoyen qui n’avait aucune chance d’être élu, et qui non seulement est parvenu à occuper la magistrature suprême de l’État, mais qui, grâce au support des Américains, a pu établir son long règne de banditisme légal en Haïti et qui nous a amené aujourd’hui au bord de l’abîme, est enfin lâché par ses maîtres », a-t-il ajouté.
Au-delà de l’indignation personnelle, Me Madistin a aussi abordé l’aspect diplomatique des sanctions imposées par l’OFAC. « Il faut bien se rappeler que l’OFAC, qui est le bureau de contrôle des avoirs étrangers, est un outil de politique étrangère américaine et de sécurité intérieure », a-t-il rappelé. Pour lui, les sanctions de l’OFAC visent à dissuader des comportements qui vont à l’encontre des valeurs de l’état de droit, notamment en Haïti.
Me Madistin a précisé que l’OFAC cherche à transformer le comportement des individus sanctionnés pour les amener à se conformer aux principes du droit international. « Le changement de comportement pour Martelly peut signifier la fin de sa collaboration avec les gangs, le financement du terrorisme en Haïti, la fin de l’utilisation de la violence électorale comme moyen d’accéder au pouvoir et de la corruption au sein de l’appareil de l’État dans un but politique », a-t-il expliqué. Selon lui, si Martelly adopte un tel changement, ses avocats et lobbyistes pourraient plaider pour qu’il soit retiré de la liste des personnes sanctionnées.
Me Madistin a insisté sur la nécessité de considérer les sanctions de l’OFAC sous l’angle juridique, en particulier sur les mesures provisoires et les éventuelles poursuites pénales qui pourraient en découler. « Le régime des sanctions comporte un certain nombre de mesures provisoires qui sont des restrictions financières et commerciales. Elles peuvent être globales ou sélectives : gel des avoirs, blocage des actifs, interdictions de faire des transactions, de vendre, de voyager », a-t-il précisé.
Il a expliqué que les sanctions, bien qu’elles soient principalement administratives à ce stade, peuvent évoluer vers des poursuites pénales, notamment dans le cadre de crimes graves tels que le trafic de drogue et le blanchiment d’argent. « On parle de crimes graves dans le cas des infractions pour lesquelles la loi pénale prévoit comme peine minimale trois ans et plus », a-t-il souligné. Concernant Michel Martelly, Me Madistin estime qu’il est difficile d’imaginer que les graves accusations portées contre lui n’aboutissent pas à des poursuites pénales aux États-Unis.
Me Madistin a particulièrement insisté sur l’importance pour les autorités haïtiennes de prendre des mesures judiciaires contre Michel Martelly. « En Haïti, le gouvernement peut obtenir copie des dossiers portant sur les faits reprochés aux sanctionnés, s’il ne dispose pas déjà d’informations, pour engager des poursuites pénales contre les sanctionnés », a-t-il affirmé. Pour lui, il est impératif que l’État haïtien ne reste pas inactif face à de telles accusations. « Haïti doit nécessairement geler les avoirs des sanctionnés, les banques doivent obligatoirement fermer leurs comptes bancaires pour les personnes physiques et appliquer la règle des 50% pratiquée par l’OFAC pour les personnes morales », a-t-il ajouté.
Me Madistin a souligné que les sanctions de l’OFAC, tout en étant administratives, peuvent aboutir à des actions judiciaires si les preuves recueillies sont suffisamment solides pour justifier des poursuites pénales. « Les poursuites pénales exigent que le procureur et les enquêteurs américains montent un dossier spécifique où il est établi que le sanctionné est passible de sanctions pénales aux États-Unis d’Amérique pour engager des poursuites », a-t-il expliqué. En ce sens, il appelle les autorités haïtiennes à coopérer étroitement avec les États-Unis pour faire la lumière sur les accusations portées contre Martelly et, si nécessaire, pour engager des poursuites judiciaires.
En plus de l’aspect judiciaire, Me Madistin a également abordé les implications politiques des sanctions américaines. Selon lui, les sanctions imposées par l’OFAC et le gouvernement canadien ou éventuellement les Nations Unies, ont pour but d’empêcher les personnes sanctionnées de participer aux prochaines élections en Haïti. « Il y a une volonté, sur le plan international, de barrer la route à ceux qui utilisent la corruption et la violence pour accéder au pouvoir en Haïti », a-t-il affirmé. Pour lui, c’est le message politique clair à comprendre dans les sanctions de l’OFAC.
Me Madistin a également évoqué la possibilité de poursuites pénales contre Michel Martelly aux États-Unis. « Je vois mal ce qui est reproché à Martelly ne déboucherait pas à des poursuites pénales aux États-Unis », a-t-il déclaré. Selon lui, les individus sanctionnés pour trafic de drogue sur le plan international ne sont poursuivis aux États-Unis que s’ils ont contribué à faire entrer la drogue sur le territoire américain ou s’ils ont utilisé l’argent de la drogue pour acheter des biens et services aux États-Unis. Si les faits reprochés à Martelly sont confirmés, cela pourrait justifier des poursuites pénales au-delà des sanctions administratives de l’OFAC.
En conclusion de son entretien avec RHINEWS, Me Samuel Madistin a réitéré l’importance d’agir rapidement et efficacement pour que justice soit rendue, tant sur le plan national qu’international. Il a insisté sur le fait que les sanctions de l’OFAC ne doivent pas être prises à la légère, et que les autorités haïtiennes doivent se saisir de cette occasion pour démontrer leur engagement envers l’état de droit. « Haïti ne peut pas rester sans réaction contre de telles accusations », a-t-il conclu, en appelant à une mobilisation générale pour lutter contre l’impunité et la corruption qui gangrènent le pays.