Par Jude Martinez CLAIRCIDOR,
PORT-AU-PRINCE, lundi 27 mai 2024– Master Dji, de son vrai nom Georges Lys Hérard, est reconnu comme le premier artiste haïtien à avoir introduit le rap en Haïti. Né en 1961, il était un homme polyvalent : animateur radio, monteur, DJ, journaliste, écrivain, présentateur des nouvelles, publiciste, chanteur-compositeur, danseur, promoteur et organisateur d’événements. Il est particulièrement célèbre pour avoir été l’initiateur du rap en Haïti.
Master Dji : Une sommité de la radio
Master Dji est une figure emblématique dans le domaine de la radio, ayant acquis une vaste expérience en tant qu’animateur. Il a commencé sa carrière à la station de radio de son père à Port-au-Prince, où il a posé les bases de son expertise. Cette expertise s’est enrichie lorsqu’il a eu l’opportunité de travailler à Radio Nova à Paris. Il a collaboré notamment avec Radio France Internationale, Radio Africa No. 1, Radio Métropole, Télé Haïti, et il est d’ailleurs l’un des rares Haïtiens, sinon le seul, à avoir travaillé dans une station japonaise, CJFM au Japon, selon certains médias.
Ces expériences lui ont été précieuses lorsqu’il a rejoint Tropic FM, une station réputée où il a fondé et animé une émission matinale inoubliable, “La Jungle Tropicale”, qui a battu des records d’audience à Port-au-Prince au début des années 90 et reste l’une des matinales les plus populaires d’Haïti de tous les temps.
En tant que directeur de programmation à Tropic FM, il a instauré une grille dynamique mêlant chansons, émissions sociales et actualités, pour le plus grand plaisir des auditeurs. Ses expressions captivantes, telles que “jeter le bouton” ou “déboutonner la radio”, sont devenues sa marque distinctive sur les ondes.
Il a joué un rôle crucial dans le façonnement de la radio haïtienne moderne. En tant que monteur sur bande magnétique, il a créé des jingles emblématiques tels que “Devant vous la mer bleue, sous le sable chaud le soleil et dans vos tympans la musique de Tropic FM” et “Tropic, même dans les nuages”. De plus, il a formé toute une génération de professionnels à Tropic FM, contribuant ainsi à l’évolution et à la pérennité de la radio en Haïti.
Son talent de réalisateur et sa voix distinctive ont marqué une ère où Tropic FM régnait en maître sur les ondes haïtiennes. Véritable génie sur le plateau de radio, il jonglait habilement avec deux platines vinyles, deux lecteurs CD, deux magnétophones à bande, deux lecteurs de cassettes, ainsi que deux appareils de diffusion pour les spots publicitaires et les jingles, en plus des petits appareils Tascam. Cette maîtrise inégalée des équipements en faisait un véritable virtuose des studios de diffusion.
Son influence dans le domaine de l’habillage radiophonique a révolutionné la perception des stations de radio et a contribué à définir le son unique de la radio en Haïti.
Aujourd’hui, on peut imaginer Master Dji, 30 ans après…, devant une platine utilisant des instruments numériques, des logiciels de mixage et des contrôleurs numériques pour mélanger des musiques du monde. Ces technologies permettent de manipuler les pistes audio, d’ajuster le tempo, de synchroniser les morceaux et d’appliquer des effets sonores pour créer des transitions fluides entre les chansons. Des logiciels de mixage tels que Serato, Traktor ou Ableton Live sont couramment utilisés pour cette tâche.
Pendant sa convalescence, il rêvait de ramener sa voix sur les ondes. Il travaillait dur pour concrétiser son projet de monter un studio de diffusion dans sa chambre, en collaboration avec le studio principal de Tropic FM. Malheureusement, il n’a pas eu le temps de réaliser pleinement ce rêve.
Un excellent présentateur des nouvelles
Master Dji était également un excellent présentateur de nouvelles. Une anecdote célèbre illustre son professionnalisme : un jour, en raison de troubles dans les rues, les présentateurs du journal de midi, Mario Fanfan et Arlette Josué, étaient empêchés de venir à la radio. L’équipe de la salle des nouvelles avait terminé de préparer les informations, mais aucun présentateur n’était disponible pour les lire. Master Dji a alors décidé de les remplacer et a présenté le journal de manière impeccable, sans hésitation, comme s’il avait toujours été le présentateur attitré de cette édition.
Un disc-jockey incomparable
Comme disc-jockey, Master Dji n’avait d’égal que lui-même. C’est sans nul doute pour cette raison qu’on lui a donné le sobriquet de Master J. Il était l’animateur de « 5e Dimension », l’une des boîtes de nuit les plus prisées de Paris. Il a eu le privilège d’animer de nombreux spectacles en Haïti et des soirées sélectes.
Master Dji faisait preuve d’un courage remarquable dans ce métier, n’hésitant pas à prendre des camionnettes chargées de paquets de CD et de sacs de vinyles 33 tours pour aller animer des activités culturelles et festives. Pionnier dans ce domaine, il a formé de nombreux jeunes, contribuant ainsi à l’émergence d’une nouvelle génération de disc-jockeys.
Georges Lys Herard : Un homme de lettres et de projets
Georges Lys Herard est un intellectuel qui maîtrise sa plume et qui a un goût prononcé pour l’écriture. Parmi ses nombreuses réalisations ; le lancement de Tap Tap Magazine, dont il a été le directeur de publication. Ce journal, réalisé avec une équipe talentueuse comprenant Ralph Boncy, Raphaël Féquière, Fritz Gérald Calixte, Élie Jean, Marc Guillaume Lubin et Georges Léon Émile, est rapidement devenu une référence incontournable pour le showbiz haïtien et le monde culturel en général.
Tap Tap Magazine se distinguait par la qualité de son contenu et par son approche innovante de la culture haïtienne. Chaque numéro offrait des articles approfondis, des interviews exclusives et des reportages sur les événements culturels majeurs. Le magazine était intégré à chaque publication du journal « Le Nouvelliste », assurant ainsi une large diffusion et un impact significatif dans le paysage médiatique haïtien.
Sous la direction de Georges Lys Herard, Tap Tap Magazine a non seulement enrichi le panorama culturel, mais a également offert une plateforme aux jeunes talents et contribué à la promotion de la culture haïtienne à travers ses pages. C’était une réalisation phare qui témoignait de son dévouement et de sa passion pour les lettres et la culture.
Georges Lys Herard : Un publicitaire de Génie
Georges Lys Herard était également un excellent publicitaire. L’une de ses créations les plus mémorables est la publicité qu’il a réalisée avec Joël Widmaier pour le rhum Barbancourt, célèbre pour son slogan : « La boisson des gens qui bougent, ça coule en douceur. » Ce jingle, véritable mélange des rythmes du compas, du rap et du jazz, est resté gravé dans la mémoire collective.
Le clip de ce jingle, filmé au bord d’une piscine, illustre parfaitement le génie créatif de Master Dji. Son approche innovante et son sens aigu de la mise en scène ont su captiver l’audience, faisant de cette publicité un succès retentissant. Grâce à son talent et à sa vision, Georges Lys Herard a durablement marqué le paysage publicitaire haïtien, ajoutant ainsi une autre corde à son arc.
Georges Lys Herard : Le père du Rap Kreyòl
En 1991, dans les studios d’enregistrement de Tropic FM, Georges Lys Herard, connu sous le nom de Master DJI, accompagné de Raphaël Féquière et Christophe Siméon, anciens employés de la station, fut un pionnier de la production de musique rap en Haïti. Ensemble, ils enregistrèrent des morceaux avec la voix de Tirty Fresh ainsi que d’autres jeunes talents émergents tels qu’ELyrac et Soupa Deno, qu’ils distribuèrent sur cassette. Ces chansons conquirent rapidement la jeunesse haïtienne, marquant ainsi le début du mouvement rap en Haïti.
Ce mouvement prit de l’ampleur avec le projet “Haiti Rap and Ragga,” propulsant le rap kreyòl sur les scènes musicales nationales et internationales. Master DJI avait un don pour mélanger les rythmes. Son remix de la chanson “Ti Jocelyn” de l’orchestre Tropicana d’Haïti, combinant le compas et le rap kreyòl, est un bel exemple du succès de ses mélanges
Pendant sa convalescence, Georges Lys Herard était sur le point de signer un contrat avec une société de production française nommée “Déclic” pour propulser au succès tous les jeunes rappeurs qui avaient collaboré avec lui. Malgré son état de santé déclinant, il confia un jour à ses proches son profond attachement à ce projet, écrivant le mot “Déclic” sur un bout de papier, témoignant ainsi de son engagement indéfectible envers la musique et la jeunesse haïtiennes.
Master DJI : Une voix engagée pour la critique Sociale
Les chansons de Master DJI sont souvent des témoignages poignants des réalités sociales, empreintes de conseils pour la jeunesse haïtienne. Parmi ses œuvres les plus remarquables, on retrouve « Politik Pam », classée deuxième au concours RFI Découvertes en 1989, ainsi que « Tann pou Tann ». Cependant, c’est sa chanson engagée intitulée « Sispan n» qui a marqué les esprits.
« Sispan n» dénonce l’oppression politique et appelle au changement en Haïti. Dans cette chanson, Master DJI exprime le sentiment d’étouffement face à une situation politique oppressante, affirmant qu’il ne peut rester silencieux. Il utilise sa musique comme un puissant outil de critique sociale, offrant une voix aux sans-voix et inspirant une génération entière à travers ses paroles percutantes.
À travers ses chansons engagées, Master DJI incarne le rôle essentiel de l’artiste en tant que porte-parole de la société, utilisant sa notoriété pour sensibiliser et encourager le changement social. Son héritage musical reste un témoignage vivant de son engagement envers la justice sociale et son désir ardent de voir son pays progresser vers un avenir meilleur.
Le legs inspirant de Master DJI : Un mentor pour la jeunesse haïtienne
Master DJI était bien plus qu’un artiste talentueux ; il était un véritable mentor pour la jeune génération d’artistes haïtiens. Sa passion pour soutenir et propulser les jeunes talents l’a conduit à initier la Société Haïtienne de Promotion (SHAP). Cette plateforme a été un tremplin pour de nombreux artistes émergents et groupes confirmés, tels que Zèklè, le chanteur Assad et ses filles. À travers la SHAP, Master DJI a organisé plusieurs concours de rap pour offrir une opportunité aux jeunes artistes de se faire connaître. De plus, il a produit de nombreux spectacles à Port-au-Prince et dans les provinces, offrant ainsi une scène à ces talents en herbe. Bien que la SHAP ait finalement disparu, son impact sur la scène artistique haïtienne reste indéniable, témoignant de la vision et de l’engagement de Master DJI envers la jeunesse et la musique de son pays.
Mingolove Romain, à travers sa compagnie Mingo Entertainment Promo & More, a célébré la mémoire de Master J du 21 au 30 mai 2024 sur Facebook. Cette semaine a été marquée par des interviews avec d’anciens collaborateurs de Master DJI notamment Sophia Désir, Christophe Siméon, Joël Widmaier, Erol Josué, Fabrice Rouzier, Elyrac, Ralph Condé. Encourageons cette initiative qui requiert le soutien des institutions telles que le Ministère de la Culture, le Ministère du Tourisme, la FOKAL et l’UNESCO, afin de préserver et de promouvoir le souvenir de Georges Lys Herard.