PORT-AU-PRINCE, vendredi 11 avril 2025, (RHINEWS)– Anciennement directrice du Service National de Gestion des Résidus Solides (SNGRS), ancienne personnalité politique très influente dans la capitale, elle est aujourd’hui au centre d’un dossier criminel d’une ampleur inédite, conduit par la Direction Centrale de la Police Judiciaire (DCPJ). Ce que révèle le contenu explosif du dossier transmis au Parquet de Port-au-Prince dépasse le simple cadre de la collusion : il s’agit d’un système structuré de coaction entre pouvoir public, groupes armés et réseaux économiques, dont Magalie Habitant n’est pas un rouage secondaire, mais une véritable architecte.
Depuis 2019, selon les données de téléphonie fournies par Digicel et NATCOM, deux numéros de téléphone utilisés par Magalie Habitant – le 3645-1608 et le 3946-6024 – sont en communication constante avec les lignes des plus puissants chefs de gangs du pays : Jimmy CHERIZIER alias « Barbecue », Johnson ANDRÉ alias « Izo », Kempès SANON alias « Granmoun nan », Renel DESTINA alias « Ti Lapli », Claudy CÉLESTIN alias « Chen Mechan », Jeff LAROSE alias « Jeff Gwo Lwa », Steevenson ALBERT alias « Jouma », Vitelhomme INNOCENT, Wilson JOSEPH alias « Lanmò San Jou », Mathias SAINTIL, Jean GARDY alias « Krache Dife » et Yvelt CÉLESTIN alias « Ti Zo ». Ces contacts sont documentés par des relevés d’appels, par des enregistrements audio extraits de téléphones saisis, ainsi que par des messages échangés via l’application WhatsApp.
Les communications n’étaient pas anodines. Dans un échange vocal enregistré entre Magalie Habitant et le caïd Kempès Sanon, ce dernier lui réclame expressément « vingt caisses de cartouches de différents calibres », se plaignant d’une pénurie critique dans son arsenal. La réponse de Magalie est sans équivoque : « Kòm se batay nap batay, fòk nou jwenn 20 kès bal, kès la 3500 sa fè 70,000 dola ». Elle poursuit en demandant à son interlocuteur de patienter, expliquant que son « internet ne fonctionne pas bien », et ajoutant : « Dim konbyen kòb lap kapab men nap jwenn mayi ». Dans une autre conversation, cette fois avec le chef de gang Chalè, Magalie lui assure avoir pris toutes les dispositions pour livrer un véhicule : « Mwen bay fè tout papye pou ou deja », déclare-t-elle, promettant de passer chez « Ti pouchon nan 38 la » pour finaliser la transaction.
Ces éléments ne sont pas anecdotiques : ils constituent des preuves matérielles d’un soutien actif, logistique et financier aux organisations terroristes opérant dans la région métropolitaine. D’ailleurs, Magalie Habitant a reconnu lors de ses interrogatoires avoir personnellement communiqué avec Jimmy Chérizier, Izo, Ti Lapli et Chen Mechan. Elle admet avoir utilisé son propre téléphone, ainsi que celui de son chauffeur Lenès Jean Philippe, pour effectuer des transferts d’argent par « Mon Cash » à destination de ces chefs de gangs. Elle a reconnu également avoir été sollicitée par feu le président Jovenel Moïse, en 2021, pour faciliter la libération d’otages dominicains enlevés à Grand Ravine. Pour accomplir cette mission, elle déclare avoir remis un montant d’un million de gourdes à Ezéchiel Alexandre alias « Ze an », collaborateur du ministre Joacéus Nader, avant de récupérer les otages des mains de Jean Rebel Dorcénat à proximité de la Radiotélévision Caraïbe.
Mais au fil des interrogatoires, Magalie Habitant laisse également entrevoir une réalité plus profonde : celle de ses accointances politiques avec les plus hauts échelons de l’appareil d’État. Elle affirme avoir grandi avec Jimmy Chérizier à Delmas 6. Elle admet des liens étroits avec Guy Philippe, ancien sénateur de la Grand’Anse. Surtout, elle ne nie pas son rôle supposé dans un projet de promotion de l’actuel Directeur Central de la Police Administrative, l’Inspecteur Général Alain Auguste, à la tête de la PNH, via un appui stratégique des gangs. Lorsqu’on l’interroge sur les motifs de cette collusion, elle s’abstient de tout commentaire, affirmant seulement avoir « grandi dans le même quartier que l’Inspecteur Général Auguste ».
Les implications de ces aveux sont lourdes. Elles laissent entendre que l’instrumentalisation des gangs est un levier politique assumé par certaines élites, avec Magalie Habitant comme courroie de transmission. Dans une note vocale envoyée par Jimmy Chérizier lui-même, il évoque sa rencontre avec le Directeur Général de la Caisse d’Assistance Sociale (CAS), via l’entremise de Magalie Habitant. Celle-ci répond : « M te pale ak DG wi… demen maten lap voye 350,000 goud pou ou ». Il apparaît donc clairement qu’une partie des fonds publics a transité vers les gangs, avec la complicité du Directeur du CAS, Elionor Devallon, également interpellé et détenu dans cette affaire.
L’analyse des messages, des relevés d’appels et des perquisitions a permis de révéler que les communications de Magalie Habitant couvraient toutes les zones critiques : Laboule, Duvivier, Malique, Canapé-Vert, Sonapi, Champs-de-Mars, Solino, Vivy Mitchell, Croix-Desprez, Shodecosa. Elle gérait un réseau tentaculaire de correspondants et d’intermédiaires : Tipouchon, Sonson, Celelou, Kervens Louis, Fernando. Plusieurs d’entre eux sont impliqués dans la circulation d’armes, le trafic de véhicules volés ou les négociations d’otages. Lors d’un interrogatoire, elle a reconnu avoir vendu des marchandises à Chalè pour un montant de 7,000 dollars américains, tout en refusant d’en spécifier la nature.
Au-delà des preuves techniques, les services de renseignements généraux de la PNH ont formellement identifié Magalie Habitant comme « l’un des principaux commanditaires des gangs armés du pays », ajoutant qu’elle a été « à la base de nombreux assassinats, enlèvements, incendies criminels, dont ceux de Solino en novembre 2024 ». Elle est également indexée dans l’enlèvement d’un groupe d’élèves en 2020 à la Croix-des-Bouquets, le kidnapping des religieux du 11 avril 2021, ainsi que dans une attaque contre le convoi de l’ambassade du Chili et de Guito Edouard, alors directeur de la DINEPA. Selon la même source, elle aurait aussi joué un rôle dans la remise d’un véhicule blindé de niveau 6 au chef de gang Jeff Gwo Lwa, en agissant comme négociatrice entre les gangs et un homme d’affaires victime de détournement de marchandises.
De plus, selon des informations parvenues à la rédaction de RHINEWS, des éléments du CNDDR – la Commission Nationale de Désarmement, Démantèlement et Réinsertion – auraient été informés de certaines de ces tractations, sans qu’aucune action formelle n’ait été engagée. Plusieurs sources indiquent même que certains agents du CNDDR auraient eu connaissance des négociations menées par Magalie Habitant avec les gangs dans les dossiers de libération d’otages ou de circulation de munitions. Ce silence coupable soulève des interrogations légitimes sur une possible infiltration de l’État par les réseaux criminelsou, au mieux, une complicité passive à l’intérieur des institutions censées désarmer les groupes terroristes.
Au fil des interrogatoires, une séquence particulièrement troublante a été consignée par les enquêteurs : celle concernant l’assassinat des militants politiques Jean Denis Joseph et Dickson Orestes, tous deux membres ou sympathisants du parti “Pitit Dessalines”, dirigé par Moïse Jean-Charles. Lors de son interrogatoire complémentaire, Magalie Habitant a été formellement questionnée sur son implication dans ces assassinats. Si elle a nié toute responsabilité directe, ses déclarations révèlent une proximité toxique entre sphère politique et règlements de comptes armés.
Elle a reconnu s’être rendue à une manifestation à Pétion-Ville où Jean Denis Joseph l’aurait agressée physiquement. Peu après cet événement, elle apprend sa mort, sans dissimuler un certain détachement, comme si le sort de ce militant, désormais ennemi personnel, n’était qu’un épisode de plus dans une guerre d’influence feutrée. À propos de Dickson Orestes, elle affirme qu’il lui avait confié, peu avant son assassinat, qu’il avait été envoyé en mission par le conseiller-président Louis Gérald Gilles, pour rencontrer les gangs de la coalition « Viv Ansanm », afin d’ouvrir un canal de négociation. Elle ajoute qu’Orestes lui aurait révélé l’existence d’un complot visant son exécution.
Ces déclarations sont d’une gravité exceptionnelle. Elles impliquent directement le conseiller Louis Gérald Gilles, personnage influent des arcanes du pouvoir, dans un processus de contact — voire de coordination — avec des gangs criminels. Le fait que cette mission ait été suivie d’un assassinat laisse entendre qu’Orestes aurait été sacrifié après avoir servi d’intermédiaire. Magalie Habitant ne s’est pas étendue sur les motivations de cet assassinat, ni sur les véritables commanditaires, mais en confirmant ces liens et ces échanges, elle entrouvre un pan du dispositif opaque liant politique, gangs et manipulations létales.
Par ailleurs, son lien avec l’ancien député Prophane Victor, dont elle utilise la ligne directe (le 3993-5151) pour transmettre des instructions en matière d’approvisionnement en munitions, renforce l’idée d’une structure politique criminelle articulée. Dans l’un des messages extraits de ses téléphones, elle demande expressément à Victor de trouver les fonds pour l’achat de vingt caisses de balles, affirmant « fòk nou jwenn mayi ». Ce dernier, lors de son propre interrogatoire, confirme l’échange, mais tente de le minimiser, affirmant qu’il s’agissait de répondre à des menaces de gangs rivaux contre sa résidence à Vivy Mitchell. Pourtant, les termes utilisés dans la communication — ainsi que le ton de l’urgence — laissent peu de doute sur la finalité réelle de la demande : armer les milices alliées.
L’ensemble de ces révélations, loin d’être anecdotiques, démontre que Magalie HABITANT n’agissait pas seule. Elle était insérée dans un réseau de pouvoir, composé de politiciens, de hauts fonctionnaires, de chefs d’entreprise et de chefs de gangs, opérant en symbiose pour contrôler des territoires, neutraliser des opposants et détourner les ressources publiques à des fins criminelles. Les noms cités, les communications, les assassinats évoqués, confirment l’existence d’un système mafieux transversal, qui ne repose plus seulement sur la terreur des armes, mais sur la stratégie de l’État parallèle.
L’affaire Magalie Habitant ne peut plus être lue comme un dossier isolé. Elle révèle la structuration d’un système mafieux qui a gangréné l’appareil d’État haïtien, infiltré les administrations, corrompu les circuits financiers et paralysé l’autorité républicaine. Face à l’ampleur des preuves, toute tentative de banalisation ou de politisation de l’affaire serait une abdication historique de la justice. L’avenir du pays se joue peut-être ici : dans la capacité ou l’incapacité de juger celle qui, sous les habits d’une technocrate, a incarné le projet funeste d’un État au service du crime.

Chronologie des échanges de Magalie Habitant avec ses interlocuteurs
2019 – 2021 : premiers contacts documentés avec les gangs armés
• En 2019, les lignes téléphoniques de Magalie Habitant (notamment 3645-1608 et 3946-6024) sont en communication régulière avec plusieurs chefs de gangs :
Jimmy Chérizier alias « Barbecue », Johnson André alias « Izo », Kempès Sanon alias « Granmoun nan », Renel Destina alias « Ti Lapli », Claudy Célestin alias « Chen Mechan », Jeff Larose alias « Jeff Gwo Lwa ».
• En avril 2021, elle intervient dans la libération d’otages dominicains à Grand-Ravine.
Elle remet 1 million de gourdes à Ezéchiel Alexandre alias « Ze An », à la demande du président Jovenel Moïse, puis récupère les otages grâce à l’intermédiaire de Jean Rebel Dorcénat.
2022 – 2023 : montée en puissance de la coordination logistique
• En 2022, les transferts d’argent via Mon Cash deviennent réguliers. Magalie utilise notamment le téléphone de son chauffeur Lenès Jean Philippe (4436-3636) pour envoyer des fonds à Barbecue et Kempès Sanon.
• En 2023, des conversations WhatsApp révèlent une planification d’approvisionnement en armes :
• Avec Kempès Sanon :
« Kòm se batay nap batay, fòk nou jwenn 20 kès bal, kès la 3500 sa fè 70,000 dola. »
• Avec Prophane Victor :
« Dim konbyen kòb lap kapab men nap jwenn mayi… entènet mwen pa bon. »
Janvier – août 2024 : coordination stratégique avec les chefs de gang
• Le 8 janvier 2024, elle dit avoir échangé une dernière fois en personne avec Jimmy Chérizier.
• À partir de mars 2024, les communications se multiplient :
• Avec Barbecue :
« M te pale ak DG CAS wi… lap voye 350,000 goud pou ou. »
• Avec Chalè :
« Mwen bay fè tout papye pou ou deja, mwen gen yon moun kap fè afè a. »
• Avec Jeff Gwo Lwa, Chen Mechan, et d’autres figures armées, pour organiser des transactions de carburant, véhicules et marchandises.
Octobre – novembre 2024 : assassinats politiques et implication indirecte
• En octobre 2024, elle reçoit les confidences de Dickson Oreste, militant du parti Pitit Desalin, qui affirme avoir été envoyé en mission par Louis Gérald Gilles auprès des gangs de Viv Ansanm. Il craint pour sa vie.
• Quelques jours plus tard, Dickson Oreste est exécuté.
• Magalie reconnaît également avoir été agressée par Jean Denis Joseph, autre militant de Pitit Desalin, qui meurt lui aussi peu après.
• En novembre, une série d’assassinats est perpétrée à Solino, Croix-des-Bouquets, Bon Repos — tous des territoires sous influence de Viv Ansanm.
9 janvier 2025 : interpellation à Thomassin
• Elle est arrêtée en compagnie de son chauffeur à bord d’un véhicule Toyota Land Cruiser.
• Sont saisis : téléphones, SIM, passeports, cartes de carburant Bandari, 123 000 gourdes, livrets d’épargne, et des messages WhatsApp compromettants.
• Elle confirme avoir été en contact direct avec Barbecue, Sanon, Izo, Chen Mechan, Jeff Gwo Lwa, et d’autres.
• Elle admet avoir servi d’intermédiaire pour des transferts, des ventes, des livraisons et des négociations liées aux enlèvements.