L’Office de la Protection du Citoyen profondément préoccupé par les conditions de détention dans les prisons d’Haïti : L’OPC recommande des correctifs…

Jean Wilner Morin, Protecteur du citoyen...

PORT-AU-PRINCE, jeudi 2 janvier 2025 – L’Office de Protection du Citoyen (OPC) a publié un rapport révélant des conditions de détention extrêmement préoccupantes dans plusieurs commissariats et centres de rétention de la zone métropolitaine de Port-au-Prince. Entre le 22 et le 25 novembre 2024, une délégation conduite par le Protecteur du Citoyen, le magistrat Jean Wilner Morin, a inspecté cinq lieux clés, dont le Centre de Rééducation des Mineurs en Conflit avec la Loi (CERMICOL), la Direction Centrale de la Police Judiciaire (DCPJ), ainsi que plusieurs commissariats dans la capitale. Cette visite a permis de mettre en lumière des violations graves des droits humains, une dégradation alarmante des infrastructures et un non-respect manifeste des normes internationales régissant la détention.

Les observations faites par l’OPC s’inscrivent dans un contexte général où la sécurité, les droits fondamentaux et la dignité des détenus semblent être de plus en plus compromis. Depuis plusieurs mois, des organisations nationales et internationales se montrent particulièrement préoccupées par la détérioration des conditions de vie dans les centres de rétention et par la surpopulation carcérale. L’OPC, fidèle à sa mission de défense des droits des citoyens, a donc jugé nécessaire d’effectuer ces visites pour évaluer la situation de manière objective et proposer des recommandations visant à remédier à cette grave crise humanitaire et judiciaire.

Lors de sa visite au CERMICOL, un centre de rééducation initialement construit en 2009 pour accueillir une quarantaine de mineurs en conflit avec la loi, la délégation a observé une situation critique et dramatique. Ce centre, dont la vocation première était de rééduquer les mineurs, a été transformé en un centre de détention surchargé, à la suite des attaques armées à Canaan en 2023 et de l’évasion spectaculaire de détenus du Pénitencier National en mars 2024. Des femmes, des mineures et des détenus adultes ont été transférés au CERMICOL, ce qui a provoqué une surcharge bien au-delà de sa capacité. Les salles de classe et la cour de récréation, pourtant destinées à l’éducation et à la réhabilitation des jeunes, ont été transformées en cellules, privant ainsi les mineurs de toute activité éducative, récréative ou de formation professionnelle, ce qui constitue une grave violation de leurs droits fondamentaux.

Le 22 novembre 2024, le CERMICOL comptait déjà 86 mineurs, 149 femmes (dont 18 condamnées) et 146 détenus transférés du Pénitencier National, soit un total de 381 détenus pour un centre qui ne devrait accueillir que quelques dizaines de personnes. Cette cohabitation forcée et totalement inadaptée, couplée à un manque flagrant de ressources, a gravement détérioré les conditions de vie des détenus. Certaines cellules, prévues pour accueillir une dizaine de personnes, contenaient jusqu’à 69 détenus, mettant en évidence une surpopulation extrême et un non-respect des normes minimales de détention. Face à cette situation dramatique, la direction du centre a dû partager les responsabilités administratives avec le Pénitencier National, sous la supervision de l’inspectrice Marie Edith Lagurre.

Les commissariats de Canapé-Vert, Pétion-Ville et Delmas 33 rencontrent également des situations similaires, où la surpopulation et la dégradation des infrastructures sont également alarmantes. Au Sous-Commissariat de Canapé-Vert, la délégation a comptabilisé 36 détenus, dont 11 policiers, entassés dans un espace exigu, totalement inadapté à une détention prolongée. De plus, les délais légaux pour la présentation des détenus devant un juge ne sont pas respectés, ce qui transforme ces commissariats en véritables lieux de détention illégaux.

Au Commissariat de Delmas 33, 71 personnes, dont 8 femmes et 11 policiers, sont détenues dans des conditions précaires. Le Commissariat de Pétion-Ville, quant à lui, qui est conçu pour des gardes à vue temporaires, abrite 50 détenus, dont 39 hommes et 3 femmes. Ces conditions de détention sont inacceptables et soulignent le manque flagrant de places dans les établissements pénitentiaires. L’absence de séparation entre les détenus, les personnes en garde à vue et les évadés accentue le chaos qui règne dans ces espaces.

La Direction Centrale de la Police Judiciaire (DCPJ), dont la mission est de lutter contre la grande criminalité, a elle aussi été transformée en un lieu de rétention pour 91 détenus, bien au-delà de sa capacité initiale. Parmi les détenus figurent des mineurs, des femmes et des Colombiens inculpés dans l’affaire de l’assassinat de l’ancien président Jovenel Moïse. Bien que certaines mesures minimales, comme la séparation entre hommes et femmes, soient respectées, l’entassement dans les cellules reste une situation alarmante.

L’OPC a mis en exergue un dysfonctionnement majeur dans le système judiciaire haïtien : l’inactivité des tribunaux pour enfants. Cela fait maintenant trois ans que ces tribunaux sont inactifs, faute de nomination de juges, ce qui a conduit à des détentions préventives illégales prolongées pour de nombreux mineurs. Cette situation a des conséquences dramatiques, car elle empêche les jeunes détenus de bénéficier de leur droit à un procès rapide et équitable, comme l’exige la Convention relative aux droits de l’enfant.

Face à ces constats accablants, l’OPC rappelle les obligations de l’État haïtien en vertu des normes internationales, telles que les règles Nelson Mandela et celles des Nations Unies pour la protection des mineurs privés de liberté. L’article 10 du Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques stipule que « toute personne privée de sa liberté soit traitée avec humanité et respect ». L’article 5 de la Convention Américaine des Droits Humains réaffirme également la dignité des détenus, soulignant que la détention ne doit jamais conduire à des traitements dégradants ou inhumains.

L’OPC s’engage à poursuivre ses efforts pour obtenir des réformes structurelles profondes, garantir le respect des droits humains et alerter les autorités compétentes sur ces violations systématiques. Le Protecteur du Citoyen, Jean Wilner Morin, appelle à des mesures urgentes pour désengorger les centres de détention, réhabiliter les infrastructures carcérales et rétablir la justice pour les détenus en attente de jugement. Ce rapport constitue un appel solennel à une mobilisation immédiate des pouvoirs publics et de tous les acteurs concernés pour mettre fin à cette crise.