PORT-AU-PRINCE, mercredi 16 octobre 2024– D’après Me Sonet Saint-Louis, dans l’opinion publique haïtienne, beaucoup s’interrogent sur la récente correspondance adressée par Leslie Voltaire, Coordonnateur du Conseil Présidentiel de Transition (CPT), au Premier ministre Garry Conille. “Cette lettre, qui semble être l’amorce d’un affrontement pour le contrôle de l’appareil d’État, a réveillé les inquiétudes quant à l’équilibre précaire au sommet du pouvoir. La question centrale qui émerge est : qui, entre Voltaire et Conille, sortira vainqueur de cette bataille qui semble mal engagée et se déroule sur les dépouilles d’un État déjà affaibli ?”
Dans cette correspondance, Leslie Voltaire tente de rappeler au Premier ministre que, selon sa lecture de la Constitution, le véritable pouvoir exécutif réside à la présidence, et non à la primature. Ce bras de fer pour le contrôle de l’appareil d’État met en lumière une lutte entre deux hommes, chacun tentant d’imposer sa vision dans un contexte où la crise institutionnelle a atteint son paroxysme, menaçant l’existence même de l’État.
Ce conflit illustre une fois de plus la fragilité du régime politique haïtien tel qu’il a été conçu en 1987. Les difficultés structurelles liées à la cohabitation entre présidence et primature, qui devaient être harmonieuses, se sont révélées être une source constante de tensions. Ce problème de longue date, profondément enraciné dans les institutions du pays, est exacerbé par les circonstances actuelles et le caractère temporaire de l’exécutif.
L’analyste constitutionnel et historien Claude Moïse qualifie cette situation de « véritable dilemme constitutionnel ». Selon lui, cette impasse met en lumière les failles d’un système qui, plutôt que de garantir une gouvernance fluide et stable, devient un terrain fertile pour des rivalités destructrices. Cette confrontation ne se limite donc pas à un simple conflit de pouvoir entre deux hommes, mais s’inscrit dans un débat plus large sur la nature même de l’architecture institutionnelle haïtienne, et ses limites.
D’après la Constitution de 1987, le Président de la République nomme le Premier ministre, qui, après avoir formé son gouvernement, doit obtenir un vote de confiance du Parlement. Cependant, une question fondamentale se pose : cet acte de nomination fait-il du président le supérieur hiérarchique du Premier ministre ? Selon la Constitution, le Premier ministre n’est responsable que devant le Parlement. Le Président de la République n’a pas le pouvoir de provoquer la démission du gouvernement, sauf par le biais de manœuvres politiques.
Ce débat autour des rôles respectifs de la présidence et de la primature serait pertinent si un Parlement élu était en place, et si le président bénéficiait d’une légitimité issue du suffrage populaire. Mais dans la situation actuelle, où ni le gouvernement ni le président ne sont issus d’élections démocratiques, ce débat semble totalement artificiel. Comme le souligne Me Sonet Saint-Louis, « L’exécutif actuel n’a aucun lien avec la Constitution, tout comme le gouvernement de Garry Conille. Cette discussion est celle des faussaires et des imposteurs. »
La réalité, selon Saint-Louis, est que la liaison entre le CPT et le gouvernement est de nature purement politique, non légale. « Le pouvoir est non délégué et s’installe en dehors du suffrage universel », souligne-t-il, faisant référence à l’accord politique qui a permis l’installation de cet exécutif. Ce pouvoir, sans légitimité constitutionnelle, tente de justifier son existence en évoquant la Constitution pour dissimuler sa nature réelle : un pouvoir illégitime né d’un accord entre quelques politiciens.
Si le CPT détient un pouvoir réel sur le Premier ministre, comment pourrait-il se plaindre des actions de ce dernier ? Cette situation met en évidence une absurdité institutionnelle : le CPT, entité sans base légale constitutionnelle, tente de contrôler un exécutif lui-même dysfonctionnel. Dans un cadre constitutionnel normal, ce rôle de contrôle appartiendrait au Parlement, mais dans l’absence d’un corps législatif fonctionnel, ces actions sont en dehors des règles établies par la Constitution.
Dans son analyse, Me Sonet Saint-Louis affirme que ce conflit institutionnel reflète les failles inhérentes à un système politique où « la cohabitation entre présidence et primature semble inévitablement vouée à l’affrontement ». Il rappelle que selon l’article 150 de la Constitution, le Président n’a d’autres pouvoirs que ceux explicitement prévus par le texte fondamental. Ainsi, toute tentative d’élargir les prérogatives présidentielles serait contraire à l’esprit de la loi mère.
Cependant, la Constitution de 1987 a précisément été conçue pour éviter le retour d’un pouvoir présidentiel omnipotent, comme l’a souligné l’historienne Danielle Pinard dans son texte sur le contexte législatif. Il s’agissait alors d’empêcher que le Président de la République ne concentre à nouveau tous les pouvoirs entre ses mains, en introduisant un contrepoids au sein de l’exécutif, représenté par le gouvernement. « La neutralisation réciproque entre les deux branches de l’exécutif était perçue comme un mécanisme nécessaire pour garantir le bon fonctionnement de l’État de droit », affirme Me Saint-Louis.
Il est clair que l’actuelle confrontation entre Leslie Voltaire et Garry Conille ne peut être résolue simplement par des manœuvres politiques ou des tentatives d’interprétation de la Constitution. Ce conflit révèle en réalité la nécessité de repenser les relations entre présidence et primature en Haïti. La Constitution de 1987, bien qu’elle ait accompli son objectif de limiter le pouvoir personnel, a montré ses limites dans un contexte où les élites politiques peinent à coopérer pour garantir la stabilité du pays.
Comme le souligne Me Sonet Saint-Louis, « Le Président de la République et le Premier ministre doivent s’accommoder d’une dynamique qui favorise la collaboration entre les deux, afin d’assurer le bon fonctionnement de la démocratie et de l’État de droit ». La Constitution ne place aucun des deux chefs de l’exécutif en position de supériorité par rapport à l’autre. Ce qui est demandé aux deux, c’est de travailler ensemble, de collaborer minimalement pour garantir la continuité de l’État. Faute de quoi, le pays continuera de s’enfoncer dans une crise institutionnelle et politique, menaçant à terme l’existence même de l’État haïtien.