‘‘Les sanctions américaines contre Michel Martelly : un avertissement politique déguisé ?’’- Brian Concannon…

Brian Concannon, directeur exécutif de l’Institut pour la Justice et la Démocratie en Haïti (IJDH...

Brian Concannon, directeur exécutif de l’Institut pour la Justice et la Démocratie en Haïti (IJDH), s’est exprimé lors d’une interview accordée au Réseau Haïtien de l’Information (RHINEWS) concernant les sanctions imposées par les États-Unis à l’encontre de Michel Martelly, ancien président haïtien. Ces sanctions, annoncées dans un contexte de crise sécuritaire et politique en Haïti, soulèvent de nombreuses questions quant à leur véritable objectif et à leur portée réelle.

 

MIAMI, samedi 31 août 2024– Pour Brian Concannon, les accusations portées par les Etats-Unis contre Michel Martelly sont graves , mais les sanctions limitées.

Lors d’une interview au Réseau Haïtien de l’Information (RHINEWS), Concannon a souligné que les États-Unis ont justifié les sanctions contre Michel Martelly en affirmant que ce dernier aurait “abusé de son influence pour faciliter le trafic de drogues dangereuses, y compris la cocaïne, à destination des États-Unis”. Selon le département d’État américain, Martelly aurait également “participé au blanchiment des produits illicites de la drogue, travaillé avec des trafiquants de drogue haïtiens, et parrainé de nombreux gangs basés en Haïti”. Ces accusations, selon Brian Concannon, sont tout à fait crédibles, au vu des preuves accumulées au fil des ans par divers acteurs, y compris les médias, des groupes de défense des droits de l’homme, et même les Nations unies.

« Les rapports des médias, des groupes de défense des droits de l’homme et des Nations unies contiennent des preuves substantielles que M. Martelly a agi de la sorte », a-t-il affirmé. Cependant, il s’est montré critique vis-à-vis de la nature des sanctions imposées, les qualifiant d’“inhabituellement légères” compte tenu de la gravité des crimes présumés. En effet, ces sanctions se limitent principalement à des restrictions financières : interdiction pour les banques américaines de lui accorder des crédits, impossibilité pour lui d’effectuer des opérations de change aux États-Unis, et interdiction pour les citoyens et les entreprises américaines d’investir dans ses affaires.

« Ces sanctions ne font que limiter sa capacité à obtenir des crédits et des investissements et à effectuer des opérations de change. Elles ne saisissent aucun de ses biens, comme le font les sanctions canadiennes à l’encontre de Martelly ou les sanctions américaines à l’encontre d’Haïtiens accusés d’activités similaires », a-t-il précisé. Selon Concannon, ces mesures sont loin d’être suffisantes pour empêcher Martelly de continuer à financer des activités criminelles en Haïti. « Par exemple, il peut toujours utiliser ses comptes bancaires aux États-Unis pour envoyer de l’argent à des personnes en Haïti associées à des activités criminelles ou recevoir de l’argent de ces personnes », a-t-il ajouté.

M. Concannon se demande si la décision américaine ne s’apparente plus à une stratégie politique qu’une véritable sanction ?

Selon lui, l’un des aspects les plus intrigants des sanctions contre Michel Martelly est leur timing. « Les activités criminelles présumées de Martelly ne sont pas nouvelles et auraient pu justifier des sanctions il y a plusieurs années », a fait remarquer Concannon. Il estime que la décision des États-Unis de sanctionner Martelly maintenant pourrait être liée aux événements actuels en Haïti, où la situation politique est extrêmement volatile.

D’après Concannon, ces sanctions pourraient davantage être perçues comme un avertissement politique qu’une véritable tentative de punir l’ancien président pour ses crimes présumés. « Le fait que les sanctions soient appliquées maintenant, et qu’elles soient si légères, indique un lien possible avec les événements courants en Haïti. Dans ce contexte, cette action ressemble plus à un avertissement destiné à encourager la collaboration de Martelly en matière de politique en Haïti qu’à une tentative sérieuse de le punir », a-t-il expliqué.

Il est clair que les États-Unis, qui ont soutenu Michel Martelly depuis son élection en 2011, cherchent peut-être à influencer la politique haïtienne à travers ces sanctions. Loin d’être une rupture totale, ces mesures semblent être un moyen pour Washington de maintenir une certaine pression sur l’ancien président tout en gardant une porte ouverte pour d’éventuelles collaborations futures.

Les répercussions pour Martelly et son entourage

Sur le plan politique, ces sanctions envoient un signal que les États-Unis ne soutiennent plus Martelly comme par le passé. « Les sanctions envoient certainement le message politique que les États-Unis ne soutiennent plus M. Martelly autant qu’ils l’ont fait depuis 2010. Mais le fait que les sanctions soient si légères, surtout si l’on considère la gravité des crimes allégués, indique que la relation n’est pas complètement rompue », a observé Concannon.

En termes d’affaires, les répercussions sont également notables. En effet, ces sanctions empêchent Michel Martelly de contracter des prêts auprès de banques américaines, de réaliser des opérations de change en devises étrangères, et de bénéficier d’investissements provenant de citoyens ou d’entreprises américaines. Cependant, les conséquences pour son entourage pourraient être tout aussi graves, car ceux qui enfreignent les sanctions, comme les banques qui lui accorderaient des prêts ou les investisseurs dans ses entreprises, risquent des sanctions sévères.

La question de la citoyenneté américaine de Michel Martelly a également été soulevée lors de l’interview. Selon Brian Concannon, la loi qui autorise les sanctions contre Martelly s’applique aux “personnes étrangères impliquées dans le commerce mondial illicite de la drogue”, ce qui implique que Martelly n’est plus un citoyen américain, ou ne l’a jamais été. Cela soulève des interrogations quant à la validité de son éligibilité à la présidence haïtienne, étant donné que la Constitution haïtienne interdit à tout citoyen possédant une autre nationalité de se présenter à la magistrature suprême.

« Cela implique que M. Martelly n’est plus un citoyen américain ou qu’il ne l’a jamais été », a-t-il noté. Cette question reste toutefois sans réponse définitive, car aucune information officielle n’a été fournie sur le statut de citoyenneté de Martelly.

Martelly toujours présent sur le sol américain : que signifie cette présence ?

Un autre point soulevé par Concannon est la présence continue de Michel Martelly aux États-Unis, malgré les sanctions. En principe, une personne sanctionnée pour des crimes aussi graves ne devrait pas pouvoir résider sur le territoire américain, sauf en prison. Cependant, les sanctions imposées à Martelly ne l’empêchent pas de continuer à vivre aux États-Unis, ni de posséder des biens ou d’y travailler. « Les sanctions n’interdisent pas à M. Martelly de vivre aux États-Unis, d’y posséder des biens ou d’y travailler », a confirmé Concannon. Selon lui, les États-Unis pourraient éventuellement entamer une procédure pour modifier son statut d’immigrant, mais rien n’indique publiquement qu’ils ont pris une telle initiative.

Les États-Unis sont-ils sérieux dans leur approche ?

La légèreté des sanctions imposées à Michel Martelly, malgré la gravité des accusations portées contre lui, soulève des doutes quant à la sincérité de l’approche américaine. « Les crimes dont M. Martelly est accusé sont certainement graves. Mais la peine réelle imposée par les sanctions n’est certainement pas proportionnelle à la gravité des crimes », a déploré Brian Concannon.

Selon lui, la réponse américaine semble bien plus symbolique qu’efficace, reflétant peut-être une volonté de ne pas rompre complètement les ponts avec un allié de longue date. Cette position ambivalente pourrait limiter l’impact des sanctions sur les activités de Martelly, tant sur le plan politique qu’économique.

Le rôle du système judiciaire haïtien dans cette affaire

Pour Brian Concannon, la solution à cette situation complexe doit passer par le système judiciaire haïtien. « Le système judiciaire haïtien devrait mener des enquêtes et poursuivre M. Martelly ou ses associés pour tous les crimes qu’ils établissent », a-t-il affirmé. Cependant, il reconnaît que cette tâche est particulièrement difficile dans un contexte où Martelly et son entourage auraient corrompu une partie du système judiciaire, rendant quasiment impossible toute poursuite à leur encontre.

La corruption endémique et l’impunité généralisée en Haïti compliquent la tâche des autorités judiciaires, qui doivent faire face à un environnement hostile et à des pressions constantes. « M. Martelly et ses associés ont corrompu le système judiciaire et rendu extrêmement difficile l’avancement de toute affaire le concernant », a conclu Concannon, soulignant ainsi les défis considérables auxquels est confrontée la justice en Haïti.

Les sanctions américaines contre Michel Martelly soulèvent plus de questions qu’elles n’apportent de réponses. Elles reflètent une stratégie américaine ambivalente, où la volonté de punir un allié devenu embarrassant semble se heurter à la nécessité de maintenir une certaine influence politique en Haïti. Pour Brian Concannon, l’avenir de cette affaire dépendra en grande partie de la capacité du système judiciaire haïtien à faire face à la corruption et à l’impunité, tout en poursuivant ceux qui sont responsables de crimes graves.