Par Jude Martinez Claircidor
PORT-AU-PRINCE, vendredi 16 février 2024– Les plateformes de médias sociaux telles que WhatsApp, Facebook et Twitter sont devenus des outils incontournables dans le domaine des technologies de l’information et de la communication. Ils permettent aux professionnels du contenu et aussi aux individus non spécialisés, d’atteindre un large public en un temps record. Cependant, cette connectivité massive s’accompagne d’un revers inquiétant : la propagation de fausses informations et d’images choquantes, représentant ainsi une menace sociale.
Les “fausses informations” « fake news » représentent actuellement une menace sérieuse pour la qualité de l’information, offrant également un exemple frappant de la crise que traverse le domaine médiatique, avec les médias traditionnels en première ligne. Elles ont le potentiel de causer d’importants préjudices sur les plans social, économique, voire politique.
En Haïti, un pays où le grand banditisme et la violence sont malheureusement monnaie courante, les réseaux sociaux sont de plus en plus exploités par les criminels comme des instruments pour diffuser leurs messages. Ces plates-formes deviennent ainsi des moyens d’influence, visant particulièrement les jeunes vulnérables, les incitant à rejoindre ou à s’engager dans la spirale de la violence. Cette problématique est exacerbée par la diffusion fréquente d’images violentes et choquantes, notamment sur des applications telles que WhatsApp, où des scènes de personnes blessées lors de manifestations, des policiers tués ou blessés, voire des actes de population, sont publiées. Les chefs de gangs profèrent des menaces et diffusent des images de personnes kidnappées, voire décapitées. Cette propagation alimente une atmosphère de terreur virtuelle, amplifiant les défis sécuritaires auxquels le pays est confronté.
Le paradoxe est flagrant lorsque des actes de violence, tels que des exécutions sommaires de criminels par la police, sont également diffusés en boucle sur les réseaux sociaux. Les médias en ligne, souvent non professionnels avec des caméras à la main, contribuent à cette tendance en diffusant en direct toutes sortes d’images violentes. La frontière entre la réalité et la virtualité s’amenuise, générant des conséquences graves pour ceux exposés en permanence à de tels contenus.
Les scientifiques ont longtemps pensé que seules les personnes directement témoins de la violence pouvaient développer des syndromes post-traumatiques. Cependant, des recherches de l’Université de Bradford en Angleterre ont révélé que même ceux qui ont vu des événements violents via les réseaux sociaux, tels que les attentats du 11 septembreaux États-Unis, ont développé ces syndromes. Cette exposition continue à des contenus violents via les réseaux sociaux peut contribuer à la détresse chez des individus.
Le mode de fonctionnement des réseaux sociaux aggrave ce phénomène, car les images ont un impact beaucoup plus terrifiant que le simple texte. La visualisation de corps calcinés ou de scènes violentes via ces plates-formes peut engendrer des traumatismes psychologiques. Le problème réside dans le partage de vidéos sans contexte, inondant nos esprits et entravant notre capacité à réfléchir de manière lucide. Il devient impératif de sensibiliser contre le phénomène collectif de relayer des contenus violents, afin d’éviter la banalisation de la violence dans notre société numérique.
Bien que les réseaux sociaux offrent une connectivité inégalée, ils présentent également des risques sociaux significatifs. La diffusion rapide de contenus violents et la facilitation des activités criminelles en ligne soulignent la nécessité d’une approche éthique et responsable de l’utilisation des médias sociaux. Il est crucial de préserver la sécurité et le bien-être de la communauté en ligne et hors ligne en éduquant et en sensibilisant les utilisateurs contre la propagation de contenus violents, tout en encourageant une utilisation consciente et responsable de ces plateformes.
Selon le psychologue haïtien Guesly Michel, la diffusion de contenus violents sur les réseaux sociaux a des répercussions importantes sur la santé mentale des individus, provoquant un phénomène connu sous le nom de traumatisme secondaire. Contrairement au traumatisme direct, ce type de traumatisme découle de l’exposition prolongée à des images choquantes, entraînant diverses étapes émotionnelles.
Le processus commence par un état de choc immédiat, qui peut persister jusqu’à deux semaines. Ensuite, les individus peuvent développer un état de stress post-traumatique, caractérisé par des symptômes tels que l’insomnie, l’inappétence et la peur, et pouvant durer de deux à douze semaines. Enfin, pour ceux qui continuent d’être exposés à des contenus violents, le trouble de stress post-traumatique peut s’installer au-delà de douze semaines.
Guesly Michel souligne que chaque personne réagit différemment face à un choc, et les effets varient d’une personne à l’autre. Les faits traumatiques sur les réseaux sociaux suscitent de l’anxiété, contribuant à une augmentation des cas de dépression en Haïti, avec une augmentation des idées suicidaires, selon les recherches du laboratoire “Laboratwa Rechèch ak Fòmasyon Sant Sante Mantal Mòn Pele”.
En guise de prévention, Guesly Michel propose de limiter la diffusion de contenus choquants sur les réseaux sociaux. Il encourage également les internautes à consommer ces publications avec modération et suggère la mise en place de premiers soins psychologiques. Il insiste sur l’importance d’étendre ces soins aux journalistes qui diffusent ces contenus, soulignant que leur exposition répétée peut également entraîner des troubles pathologiques.
Enfin, Guesly Michel préconise la création d’espaces dans les médias où les individus peuvent s’exprimer et partager leurs émotions liées à la consommation de contenus choquants. Il souligne la nécessité de mettre en place des initiatives de prise en charge psychosociale pour aider les individus à faire face aux chocs et traumatismes induits par les médias.
Guesly Michel, psychologue communautaire et co-fondateur du Centre “Sant Sante Mantal Mòn Pele”, ainsi que de l’initiative “Jedimental”, se positionne en tant que formateur engagé dans la sensibilisation aux premiers soins psychologiques en Haïti.
Pour sa part, le Dr. Serge Lefèvre Alexandre, médecin haïtien exerçant la médecine interne aux États-Unis, met en lumière l’ambivalence liée à la diffusion d’images choquantes sur ces plateformes. Sa perspective, éclairée par son expérience médicale, offre un regard nuancé sur les impacts, à la fois positifs et négatifs, de cette pratique.
Du côté des aspects négatifs, le Dr. Alexandre insiste sur l’impact neuropsychologique préoccupant de ces images, en mettant particulièrement l’accent sur les enfants. Il souligne le risque de traumatismes et de développement de la peur, voire de pathologies mentales, chez les jeunes exposés à la violence, que ce soit directement dans leur environnement ou à travers les médias sociaux. Son inquiétude se manifeste également dans son soulignement du potentiel de ces images à causer des traumatismes, une préoccupation qu’il partage lors de ses échanges réguliers avec des professionnels de la santé en Haïti. Ces discussions portent sur des cas allant de victimes de balles à des individus exposés à des gaz lacrymogènes, ainsi que des personnes affectées par des événements violents diffusés sur les réseaux sociaux, provoquant des attaques de panique, du stress et de la peur. Il souligne ainsi l’importance de la médecine préventive pour alléger la charge financière qui peut découler de ces situations complexes à l’hôpital.
Cependant, le Dr. Alexandre reconnaît également les aspects positifs de la diffusion d’images choquantes. Il met en lumière leur capacité à sensibiliser la société à la réalité de la violence, pouvant potentiellement conduire à une prise de conscience collective de l’état du pays et à une mobilisation sociale. En soutenant l’approche de l’ancien président cubain Fidel Castro, il souligne le rôle crucial de l’éducation politique dans l’éveil de la conscience collective.
Par ailleurs, le médecin voit du positif dans le fait que les fauteurs de troubles diffusent ces images. Il estime que cela permet à la société de les identifier, créant ainsi une base pour élaborer des politiques efficaces de lutte contre les gangs et la violence. Il souligne que la publication de telles images par des criminels expose leur ignorance et leurs atrocités, contribuant ainsi à une dénonciation de l’état du pays.
Le Dr. Alexandre souligne impérieusement la nécessité d’établir une stabilité politique, affirmant que celle-ci engendrerait non seulement un progrès social, mais également économique. Il plaide également en faveur de la restauration de l’autorité de l’État pour sanctionner les perturbateurs, contribuant ainsi à créer un environnement plus sécurisé et équilibré pour l’ensemble de la société.