NEW-YORK, lundi 16 septembre 2024– Les négociations autour du projet de résolution pour la réautorisation de la Mission de Soutien Sécuritaire Multinationale (MSS) en Haïti, circulé par l’Équateur et les États-Unis, continuent. L’intention affichée par les États-Unis, principale force derrière cette mission, est de transformer cette MSS en une mission de paix sous l’égide de l’ONU. Cette proposition soulève de nombreuses interrogations et incohérences, surtout à la lumière des promesses initiales faites lors de la mise en place de la MSS, et de la perception que la communauté internationale a déjà de l’intervention en Haïti.
La MSS, dès son lancement, avait pour objectif de renforcer les capacités sécuritaires en Haïti, notamment face à l’emprise croissante des gangs armés sur de vastes portions du territoire national. Les États-Unis avaient à l’époque promu cette mission comme une réponse urgente à la détérioration de la situation sécuritaire en Haïti. L’idée était d’apporter un soutien temporaire, limité dans le temps, pour aider les autorités haïtiennes à reprendre le contrôle et rétablir l’ordre, tout en évitant de transformer cette mission en une opération militaire prolongée.
Cependant, la proposition actuelle visant à placer la MSS sous le commandement de l’ONU, dans un cadre de mission de maintien de la paix, semble contredire cet engagement initial. La transformation d’une mission temporaire en mission de longue durée rappelle les interventions passées en Haïti, comme la MINUSTAH (Mission des Nations Unies pour la Stabilisation en Haïti), qui, malgré ses objectifs, avait fini par devenir une présence quasi-permanente, avec des résultats mitigés. L’échec de la MINUSTAH à stabiliser durablement le pays, ainsi que les scandales entourant cette mission (notamment l’épidémie de choléra introduite par les Casques bleus et des cas d’abus sexuels), a laissé une empreinte négative sur les interventions onusiennes en Haïti.
Par ailleurs, les États-Unis, en tant que puissance principale derrière la MSS, avaient initialement positionné cette mission comme une aide ponctuelle. La promesse de ne pas s’engager dans une occupation prolongée et de laisser aux Haïtiens les rênes de leur propre sécurité semble aujourd’hui être remise en question. Le projet de résolution, en cherchant à pérenniser la mission sous une bannière onusienne, suggère que les objectifs premiers de la MSS ont changé. Cela laisse place à des doutes quant à la réelle volonté des États-Unis de respecter l’indépendance et la souveraineté d’Haïti, d’autant plus que la population haïtienne reste profondément méfiante envers les interventions étrangères.
Cette transformation souhaitée par les États-Unis peut aussi être perçue comme une tentative de légitimer une présence étrangère prolongée sous le couvert de l’ONU, tout en diluant leur propre responsabilité. En plaçant la mission sous mandat onusien, les États-Unis pourraient se dégager de l’impact négatif potentiel d’une mission échouée ou impopulaire. Or, cela constitue une incohérence majeure avec les discours initiaux promettant que la MSS serait une force limitée, à vocation essentiellement sécuritaire et non une occupation prolongée.
En outre, l’idée même d’une mission de maintien de la paix dans un contexte où le pays n’est pas en guerre civile pose problème. Le principal défi en Haïti est la violence des gangs, exacerbée par des décennies de mauvaise gouvernance, de corruption et de faiblesse institutionnelle. Une mission de maintien de la paix, telle que définie par l’ONU, serait-elle réellement adaptée à cette situation ? La gestion de la criminalité et la lutte contre les gangs nécessitent des moyens différents de ceux d’une intervention dans un pays en guerre. La mission actuelle, qui visait à rétablir un minimum d’ordre à court terme, pourrait se transformer en une mission de maintien de la paix inefficace, engendrant les mêmes échecs que les tentatives passées.
Un autre point d’incohérence dans la démarche américaine est lié à la perception locale et régionale de cette mission. Haïti a déjà une longue histoire d’interventions étrangères, et les populations haïtiennes ont souvent perçu ces interventions comme une forme de néo-colonialisme. En poussant pour une nouvelle mission sous l’égide de l’ONU, les États-Unis risquent d’alimenter encore davantage cette perception négative. De plus, il y a une question de cohérence avec la volonté affichée par les pays membres de la CARICOM (Communauté caribéenne) de privilégier des solutions locales, régionales, plutôt qu’internationales. Cette nouvelle mission pourrait affaiblir ces initiatives régionales et contrarier les efforts de coopération entre Haïti et ses voisins immédiats.
L’idée d’une mission de maintien de la paix ne semble pas prendre en compte les dynamiques politiques internes en Haïti. Le gouvernement en place n’a pas la légitimité nécessaire pour solliciter une telle mission de manière crédible. L’insistance des États-Unis à poursuivre une telle démarche, sans un consensus clair parmi les forces politiques haïtiennes, pourrait engendrer davantage de divisions et de ressentiments à l’égard de la communauté internationale, rendant encore plus difficile la stabilisation politique à long terme.