PORT-AU-PRINCE, mardi 3 decembre 2024– Alors qu’Haïti est confronté à une escalade de la violence et un effondrement systémique, ses enfants subissent de plein fouet une crise à multiples facettes qui menace leur vie, leur sécurité et leur avenir.
C’est le message brutal qui a été entendu lors d’une session spéciale organisée lundi par le Conseil économique et social des Nations Unies (ECOSOC), au cours de laquelle des Ambassadeurs, des fonctionnaires de l’ONU, des responsables humanitaires et des Haïtiens ont souligné les conditions désastreuses qui règnent en Haïti, appelant à une action immédiate pour soutenir les plus jeunes de ses citoyens.
Avec 5,4 millions de personnes confrontées à une insécurité alimentaire aiguë – la moitié de la population, dont la moitié sont des enfants- et 700.000 personnes déplacées, une intervention internationale urgente est nécessaire pour faire face à une crise aggravée par la violence des groupes armés, l’instabilité économique et l’insuffisance des fonds humanitaires. « Pourquoi est-il plus facile pour un jeune d’obtenir un fusil qu’un repas en Haïti ? »
En donnant le coup d’envoi de la réunion, l’Ambassadeur canadien et actuel Président de l’ECOSOC, Bob Rae, a cité les propos tenus par un jeune haïtien âgé de 17 ans qui habite Cité Soleil, l’un des quartiers les plus durement touchés par la violence des gangs dans la capitale du pays, à qui on avait demandé de partager un message à la réunion.
« Il a répondu en nous posant une question : ‘Pourquoi est-il plus facile pour un jeune d’obtenir un fusil qu’un repas en Haïti ?’ », a dit Bob Rae, ajoutant « et je nous invite à réfléchir à cette question ».
« Que faut-il faire maintenant pour donner la priorité aux besoins des enfants, aux besoins des jeunes ? Sur quoi devant nous travailler à moyen et à long terme pour nous attaquer aux causes profondes de la crise haïtienne ? Comment déployer tous ces outils et toutes ces ressources dont nous disposons collectivement pour soutenir la prochaine génération en Haïti afin qu’elle puisse vivre une vie digne, sans violence, sans pauvreté et sans discrimination ? Comment pouvons-nous assurer la coordination de notre soutien aux efforts haïtiens visant à promouvoir la sécurité, la stabilité et la prospérité en Haïti ? », a lancé le diplomate en ouvrant les travaux de la réunion.
« La protection des enfants ne doit pas être une option. Elle doit être une priorité absolue. Et des mesures immédiates et concrètes doivent être prises », a affirmé l’artiste haïtien Jean Jean Roosevelt, lors de son allocution, avant d’interpréter sa chanson « Attention aux enfants ».
Ambassadeur de bonne volonté de l’UNICEF, Jean Jean Roosevelt a dressé le sombre tableau de la réalité à laquelle sont confrontés les 1,5 million d’enfants touchés par les troubles civils et la violence des groupes armés.
« À Port-au-Prince, un enfant sur deux est victime de violences physiques et plus de 3.100 enfants victimes de violences sexuelles ont été enregistrés l’année dernière… une augmentation de 400% par rapport à l’année 2022 », a-t-il signalé, soulignant que « les écoles, autrefois sanctuaires de savoirs et de croissance, deviennent désormais des bastions pour des groupes armés ».
Les enfants représentent désormais jusqu’à 50% des effectifs de gangs et ils sont « sous la menace d’abandonner de rêver de devenir ou être enseignant, enseignante, infirmier, infirmière, ingénieur ou médecin ».
« Chaque enfant qui abandonne l’école à cause de l’insécurité est une victoire pour l’ignorance, un pas en arrière pour le progrès et une tragédie pour l’humanité », a martelé Jean Jean Roosevelt.
Le défenseur des droits des enfants a invité les participants de la réunion à se mobiliser « pour construire un avenir où chaque enfant pourra dire je suis en sécurité, je suis libre, je n’ai pas faim, je ne suis pas malade, je suis éduqué ».
« Soyons celles et ceux qui auront agi pour nos enfants, pour nos écoles, pour intervenir pour l’avenir d’Haïti et celui de l’humanité », a-t-il exhorté, avant d’animer la salle avec sa musique.
Une réalité désastreuse.
Le Coordinateur des secours d’urgence des Nations Unies, Tom Fletcher, qui a pris ses fonctions il y a deux semaines, a égalmeent déploré l’impact dévastateur de la crise sur les enfants : « Les enfants d’Haïti sont déplacés. Ils souffrent de malnutrition. Ils vivent dans la peur, leurs quartiers étant contrôlés par des groupes armés ».
La Directrice exécutive du Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF), Catherine Russell, est de son côté revenue sur le recrutement d’enfants au sein des groupes armés. « Nous estimons que les enfants représentent 30 à 54 % des membres des groupes armés et que le nombre total d’enfants recrutés par les groupes armés a augmenté de 70 % au cours de l’année écoulée », a-t-elle souligné.
Elle a également évoqué l’effondrement des services essentiels, avec 1,5 million de jeunes qui n’ont plus accès à l’éducation et des établissements de santé qui ont fermé en raison de la violence et de l’insécurité.
Face à l’augmentation des déplacements et de l’insécurité alimentaire, le Programme alimentaire mondial (PAM) des Nations Unies a annoncé une réponse élargie, ciblant près de deux millions de personnes avec une aide d’urgence.
La nouvelle Directrice du PAM en Haïti, Wanja Kaaria, a fait valoir l’engagement de l’agence : « Nous avons fourni des quantités record d’aide alimentaire aux Haïtiens à Port-au-Prince et dans tout le pays ces derniers mois et nous ferons encore plus dans les semaines à venir ».
Le PAM soutient également les économies locales en se procurant 70 % des ingrédients des repas scolaires auprès des agriculteurs haïtiens, ce qui favorise la résilience et le développement à long terme. Pourtant, l’ampleur de la réponse est dérisoire par rapport aux besoins croissants.
Les intervenants de la session de l’ECOSOC ont souligné la nécessité d’une action internationale immédiate pour combler les déficits de financement, protéger les enfants de l’exploitation et reconstruire les services essentiels.
La Représentante spéciale du Secrétaire général pour Haïti, Maria Isabel Salvador, qui dirige également le Bureau intégré des Nations Unies en Haïti (BINUH), a exhorté la communauté internationale à s’attaquer aux causes profondes de la crise : « Les défis auxquels Haïti est confronté sont immenses, mais une vérité est indéniable : aucun progrès ne peut être réalisé sans s’attaquer à l’insécurité omniprésente causée par les gangs armés ».
L’UNICEF et d’autres responsables humanitaires ont demandé à la Mission multinationale d’appui à la sécurité (MSS), soutenue par le Conseil de sécurité des Nations Unies, et aux autorités haïtiennes de donner la priorité à la protection des enfants pendant les opérations, en assurant une réintégration en toute sécurité des enfants recrutés par les groupes armés