PORT-AU-PRINCE, jeudi 12 septembre 2024-Depuis quelques jours les Haïtiens vivant aux États-Unis font parler d’eux après que l’homme d’affaires Elon Musk, le candidat à la Vice-Présidence JD Vance et le candidat à la Présidence américaine Donald Trump ont relayé, sur les réseaux sociaux et dans le débat présidentiel attendu et suivi par le monde entier, de fausses informations tentantmaladroitement de faire croire que les immigrants haïtiens de Springfield auraient enlevé, tué et mangé des animaux domestiques des résidents de Springfield ou de la faune locale. Cette information, placée dans la catégorie de fakenews à finalité électoraliste, a été démentie par la police et le maire de Springfield. Dans le contexte électoral américain, des figures politiques font ouvertement la promotion d’intoxet des propos sulfureux tendant à faire porter et à identifierles migrants comme les responsables des difficultés économiques des groupes sociaux les plus faibles de la société américaine. Par ce mécanisme, ils essaient de soulever les catégoriques socio-économiques précaires contre les migrants, attiser leur haine et les porter à ravir les efforts déployés par les migrants pour leur intégration voire leur assimilation dans la société américaine.
Ce discours xénophobe prend à contre-pied les efforts déployés par le peuple américain depuis les luttes pour les droits civiques pour prendre ses distances d’avec un passé dominé par les politiques fondées « sur des attitudes et de comportements d’hostilité et de mépris axés sur des caractéristiques personnelles biologiques et immuables, des attributs raciaux comme la couleur de peau ou l’origine ethnique ». Les États-Unis qui soutiennent la démocratie à travers le monde peuvent-ils se permettre d’avoir parmi leurs élites des figures qui endossent les instruments de politique raciste et inhumaine ? Combattre le racisme systémique sur toutes ses formes dans nos sociétés est un acte de civilisation et un impératif primordial pour faire respecter les droits de l’homme.
Les porteurs des discours fondés sur la discrimination racialesont à l’antipode des instigateurs de la pensée démocratiques. Ils sont contre les valeurs universelles et les efforts déployés par les gens civilisés pour une humanité assurant la coexistence pacifique. Dans le contexte électoral américain de 2024, complotisme, racisme et xénophobie font bon ménage et constituent le terreau d’un anti-immigré outrancier qui trouve son fondement dans laméconnaissance profonde et surprenante de l’histoire de la formation sociale américaine.
La publicité négative faite contre les migrants haïtiens par les adeptes des discours racistes et xénophobes nuit à la réputation des femmes et des hommes de la diaspora qui font des efforts pour assurer leur intégration dans la société américaine. Au stade du développement intellectuel, scientifique et économique des États-Unis, les discours au relent raciste et xénophobe desservent les intérêts américains. L’Amérique qui se veut le chantre de la démocratie à l’échelle planétaire peut-elle se permettre de devenir le porte-étendard des protagonistes de la hiérarchisation raciale et l’apôtre des messages xénophobes ? Les discours racistes et xénophobes véhiculés par des politiques niant l’histoire de la formation sociale américaine sont socialement dangereux,humainement dégradants et sont contraires aux intérêts fondamentaux d’une grande démocratie. Ici, il faut saluer le courage des citoyens américains et leur dénonciation des attitudes et des comportements xénophobes et racistes dont sont victimes les migrants haïtiens de Springfield. Ce qui fait la force d’une grande démocratie, c’est sa capacité à avoir en son sein des personnalités emblématiques et des citoyens guidés par l’esprit de justice et des valeurs universellesd’humanisme pour se positionner contre les comportements racistes et xénophobes de leurs compatriotes. Bravo à ces américains qui ont dit non au racisme et à la xénophobie !
Les professionnels haïtiens vivant aux Etats-Unis et la première génération de boat people des années 1970-1980ont lutté vigoureusement contre la campagne anti-haïtienne faisant croire que les Haïtiens étaient les agents humains de propagation du SIDA. On se souvient encore de la marche des Haïtiens de l’époque sous le leadership des leaders communautaires. Ce mouvement héroïque de contestation est résumé dans la chanson d’Ansy Derose « FDA ou anraje ». Cette campagne méchante des années 1980 a détruit l’industrie touristique florissante qui créait des milliers d’emplois en Haïti. Plus tard, à 40 ans d’intervalle, les Haïtiens vivant aux États-Unis sont l’objet d’une campagne xénophobe sur fonds électoral exposant à la face du monde nos compatriotes évoluant à Springfield dans l’Etat de l’Ohio comme les sauvages redoutables qui détruisent la faunelocale. Le racisme et la xénophobie ont toujours de l’appétit pour attaquer et dégrader humainement les plus vénérables.
Ce qui s’est passé cette semaine dans la campagne électorale pour la présidence américaine doit interpeler les leaders de la communauté haïtienne de la diaspora et surtout le Ministère des Haïtiens Vivant à l’Étranger et le Ministère des Affaires Étrangères à travailler davantage pour avoir une politique de la diaspora. Globalement, cette situation demande à ce que le gouvernement élabore et met en œuvre une politique migratoire cohérente.
Contrairement à la communauté hispanophone établie aux États-Unis d’Amérique du Nord, les Haïtiens installés aux États-Unis ne sont pas suffisamment organisés pour constituer une force politique pouvant influencer les décisions politiques américaines en leur faveur. Après plus de 45 ans d’importants mouvements migratoires d’Haïtiensvers les États-Unis (boat people, réfugiés politiques, étudiants, regroupement familial, etc.), la communauté haïtienne aux États-Unis ne constitue pas une force économique correspondant à son ancienneté et à son poids démographique dans le paysage américain.
Aujourd’hui, il faut reconnaitre qu’Il y a un sérieux travail àfaire pour développer la conscience politique de la diasporapour son intégration aux États-Unis et surtout les outiller culturellement afin qu’elle puisse avoir une empreinte agissante sur les filières économiques qui sont à la portéedes Haïtiens de la diaspora. Pour compter sur l’échiquier politique américain, il faut représenter un groupe social qui a la capacité de négociation.
Dans la communauté haïtienne de la diaspora, les conflits entre les anciens et les nouveaux arrivants ne sont pas bons pour la cohésion des membres de la communauté. Ce comportement mesquin et imbécile nuit la visibilité de la communauté et empêche son rassemblement pour devenir une force politique. Que les bruits politiques de cette semaine ouvrent davantage les yeux des leaders de la diaspora sur l’important travail à faire pour que la communauté haïtienne aux États-Unis devienne une force politique afin d’influencer les décisions du gouvernement américain dans le sens de ses intérêts.
Guichard DORÉ
Fondation Nationale pour la Démocratie et les Études Stratégiques (FONADES)