PORT-AU-PRINCE, mardi 17 septembre 2024– Dans une analyse de conjoncture, Me Camille Leblanc, ancien ministre de la Justice et de la Sécurité publique d’Haïti, a mis en garde les dirigeants de la transition contre l’isolement politique dans la gestion des affaires publiques. Pour lui, « les dirigeants de la transition doivent éviter l’erreur fatale d’agir en vase clos ». Ce commentaire intervient dans un contexte de dilemme politique, marqué par la promulgation du décret du 17 juillet 2024, qui a instauré la Conférence nationale.
Le décret, censé ouvrir un dialogue national, n’a pas rencontré l’enthousiasme attendu. En effet, il a suscité peu de réactions de la part des partis politiques non impliqués dans l’administration actuelle, des juristes et des organisations de la société civile. Plus alarmant encore, la presse haïtienne, généralement proactive face aux grands événements politiques, semble avoir détourné son attention, laissant cette initiative sans l’analyse et le débat public nécessaires. Selon Me Leblanc, cela révèle un problème fondamental : la gouvernance actuelle risque de se cloisonner et de se priver de la légitimité populaire nécessaire pour mener des réformes durables.
L’indifférence constatée face à ce décret, pourtant d’une importance cruciale, met en lumière un manque de mobilisation autour de cette initiative. Pour Me Leblanc, cette situation est préoccupante, car elle compromet la possibilité d’un véritable renouvellement politique. Il souligne que les précédents historiques d’Haïti, notamment le Congrès de Bois Caïman en 1791 ou le Congrès de l’Arcahaie en 1803, sont des exemples d’engagement collectif ayant permis de transformer le pays. “Si la Conférence nationale d’aujourd’hui ne parvient pas à rassembler toutes les forces vives de la nation, elle risque de n’être qu’une simple formalité sans véritable impact”, insiste-t-il.
L’ancien ministre estime qu’il est impératif que cette Conférence nationale soit inclusive et rassemble les acteurs politiques, les organisations de la société civile, les intellectuels, ainsi que les élites économiques du pays. “L’avenir de notre démocratie repose sur l’inclusion, et non sur l’exclusion”, affirme-t-il. Il met en garde contre les dangers d’un processus précipité ou mal préparé, comme cela a déjà été le cas dans le passé. Il rappelle les occasions manquées entre 1986 et 1990, où Haïti a raté le train politique, et entre 2008 et 2011, avec le train économique.
La création d’un comité de pilotage pour superviser la Conférence nationale a également soulevé des interrogations. Pour Me Leblanc, “si cette structure est mise en place sans une consultation préalable des forces politiques et sociales, elle pourrait très bien reproduire les erreurs du passé”. Il appelle à un accord politique qui réunirait tous les acteurs politiques, sans exclusion, pour garantir que cette initiative puisse déboucher sur des réformes substantielles et inclusives.
Me Leblanc ne manque pas de souligner que le décret du 17 juillet 2024, bien qu’il émane du pouvoir en place, doit être vu dans une perspective plus large. “Nous devons nous assurer que cette Conférence ne devienne pas un outil exclusif au service du pouvoir actuel, mais plutôt un véritable instrument de gouvernance partagée”, précise-t-il. En outre, il avertit que la Conférence nationale, telle qu’elle est actuellement envisagée, pourrait déboucher sur des révisions constitutionnelles non consensuelles, ce qui provoquerait des tensions juridiques et politiques. “Une telle révision nécessite un large consensus national, sans quoi elle serait perçue comme illégitime”, ajoute-t-il.
En conclusion, Me Camille Leblanc exhorte les dirigeants à engager un dialogue national ouvert et inclusif, condition essentielle pour assurer le succès de cette initiative. “Le risque de marginaliser des groupes clés, comme cela a souvent été le cas, pourrait fragiliser le processus et entacher la légitimité des décisions qui en découleront”, avertit-il. Pour lui, seule une adhésion massive des principaux acteurs de la société permettra d’éviter que cette Conférence nationale ne devienne un simple exercice formel sans véritable portée pour l’avenir de la démocratie haïtienne.