Les conditions de vie dans les sites d’accueil des déplacés internes : un drame humanitaire ignoré, selon le RNDDH…

PORT-AU-PRINCE, dimanche 12 janvier 2025- Le Réseau National de Défense des Droits Humains (RNDDH) a publié un rapport accablant sur les conditions de vie des déplacés internes en Haïti. Menée entre le 6 et le 27 décembre 2024, l’enquête couvre 59 des 117 sites recensés dans les départements de l’Ouest et de l’Artibonite, représentant 50,5 % des espaces recensés. Ces sites, qui abritent plus de 150 000 personnes, témoignent d’un abandon systématique par les autorités publiques, plongeant les déplacés dans une pauvreté extrême, une insalubrité chronique, une promiscuité insoutenable et une exposition constante à la violence et aux maladies.

Le RNDDH souligne que ces camps, qui étaient initialement conçus pour abriter les victimes du séisme de 2010, sont désormais occupés à 95 % par des personnes ayant fui les violences des gangs armés. Ces violences, exacerbées par la montée en puissance de la fédération terroriste “Viv Ansanm”, ont entraîné un déplacement massif de populations. Ce phénomène est particulièrement frappant en 2024, année au cours de laquelle 54 % des sites actuels ont été créés. L’insécurité croissante, qui touche près de 90 % du département de l’Ouest, pousse les populations à chercher refuge dans des espaces inadéquats, souvent situés dans des écoles, des maisons abandonnées, des églises, des locaux étatiques ou des terrains vagues.

Les conditions de vie dans ces sites sont catastrophiques. L’insalubrité est omniprésente : seuls 20 % des sites sont régulièrement nettoyés, et dans 19 %, aucun nettoyage n’est effectué. Même dans les camps où un effort d’assainissement est consenti, la collecte des déchets reste irrégulière et insuffisante. Par exemple, seulement 20 % des sites bénéficient d’un ramassage quotidien des ordures, tandis que 17 % subissent des collectes sporadiques. Cette situation favorise la prolifération de rongeurs, d’insectes et de maladies contagieuses. La gestion des détritus est souvent improvisée, avec des pratiques telles que le brûlage des déchets ou leur accumulation près des sites. Ces dysfonctionnements amplifient la dégradation de l’environnement et menacent directement la santé des déplacés.

L’accès aux infrastructures sanitaires est également un défi majeur. Si 71 % des sites disposent de toilettes, celles-ci sont souvent sales et mal entretenues, et 29 % des sites en sont totalement dépourvus. Dans ces derniers cas, les déplacés doivent déféquer dans des canaux, sur des terrains vagues ou dans des sachets. Les espaces pour les bains sont tout aussi précaires : dans 37 % des sites, ils sont inexistants, et leur disposition, dans d’autres, expose les femmes et les filles à des risques de harcèlement et de violences. Cette insécurité est amplifiée par l’absence d’éclairage nocturne dans certains camps, où des hommes se regroupent près des douches pour intimider les utilisatrices.

L’accès à l’eau potable et de service est également problématique. Dans 39 % des sites, l’eau potable n’est pas disponible, et les déplacés doivent souvent parcourir de longues distances pour en trouver. Même là où l’eau est accessible, les quantités fournies par les organisations non gouvernementales et les institutions locales sont insuffisantes. Cette situation oblige les habitants des camps à recourir à des sources informelles, souvent insalubres, mettant leur santé en danger. Le rapport indique que cette carence en eau est le terreau d’une recrudescence des maladies telles que la diarrhée, les infections cutanées et respiratoires.

La santé des déplacés est un autre sujet de grande préoccupation. Dans 15 % des sites, aucun service médical n’est disponible. Lorsque des programmes de santé sont en place, ils sont souvent le fait d’organisations non gouvernementales, comme Médecins Sans Frontières ou l’Organisation Internationale pour les Migrations, plutôt que de l’État haïtien. Malgré leurs efforts, ces interventions restent limitées face à l’ampleur des besoins. Des pathologies telles que la fièvre, la grippe, les infections vaginales, le diabète et les troubles mentaux sont fréquemment signalées. La promiscuité et l’insalubrité des camps exacerbent ces problèmes, tandis que les déplacés souffrant de handicaps ou de déficiences sensorielles, qui représentent 1 % de la population, se trouvent encore plus marginalisés.

La sécurité dans les camps est un défi majeur que l’État haïtien n’a pas su relever. Dans 47,5 % des sites, la sécurité est laissée à la charge des comités locaux, souvent mal équipés et dépassés. Des brigades de sécurité improvisées ont été mises en place dans 20 % des camps, mais leur efficacité reste limitée. Pire, 8,5 % des sites ne bénéficient d’aucune forme de protection, exposant les déplacés à des violences quotidiennes, des vols et des agressions. Le rapport souligne que 73 % des camps sont le théâtre d’actes de violence, dont des violences sexuelles et sexistes. Dans plusieurs sites, comme le Camp Carradeux et le Lycée Anténor Firmin, des violences sexuelles à l’égard des femmes et des filles ont été signalées, soulignant l’urgence d’interventions pour assurer la protection des populations les plus vulnérables.

L’assistance humanitaire, bien que cruciale, est insuffisante pour répondre aux besoins criants des déplacés. Dans 39 % des sites, aucune aide n’est fournie. Lorsque des distributions ont lieu, elles sont souvent mal coordonnées, entraînant des désordres et des tensions. Les déplacés, confrontés à des besoins diversifiés, expriment une préférence pour des aides financières directes, leur permettant de répondre à leurs besoins spécifiques. Cependant, cette méthode reste marginale face aux pratiques actuelles, qui privilégient des distributions sporadiques de biens ou de nourriture.

Le rapport du RNDDH est un cri d’alarme face à une crise humanitaire qui s’aggrave. Il appelle les autorités haïtiennes à prendre des mesures immédiates pour améliorer les conditions de vie dans les camps, notamment en garantissant l’accès à l’eau, à des infrastructures sanitaires, à des soins de santé et à une sécurité adéquate. Le RNDDH insiste également sur la nécessité d’une meilleure coordination de l’aide humanitaire et d’une intervention urgente pour rétablir la sécurité dans les zones contrôlées par les gangs, permettant ainsi aux déplacés de retourner chez eux.

À l’occasion de la quinzième année de commémoration du séisme de 2010, le RNDDH souligne que les leçons du passé n’ont pas été tirées. Alors que la communauté internationale et les gouvernements successifs ont promis la reconstruction et le développement, le pays est aujourd’hui confronté à une crise humanitaire encore plus complexe. Le rapport conclut en appelant à une mobilisation collective pour mettre fin à l’abandon des déplacés internes et garantir leurs droits fondamentaux à une vie digne et sécurisée.