PORT-AU-PRINCE, mercredi 28 août 2024 – Trente ans se sont écoulés depuis ce funeste soir du 28 août 1994, lorsque le père Jean-Marie Vincent, prêtre montfortain et fervent défenseur des droits des paysans haïtiens, a été lâchement assassiné alors qu’il rentrait à la résidence de sa congrégation à Port-au-Prince. Malgré trois décennies passées, les responsables intellectuels et matériels de ce crime restent impunis, un silence coupable enveloppant une affaire qui a profondément marqué l’histoire contemporaine d’Haïti.
Le père Jean-Marie Vincent, affectueusement surnommé « JeanBoul », était une figure emblématique du courant progressiste au sein de l’Église catholique haïtienne. Ses sermons retentissaient avec force dans les communautés rurales, mettant l’accent sur les conditions sociales déplorables des couches les plus défavorisées, en particulier les paysans. Vincent s’était notamment illustré par son engagement inlassable dans la défense des droits des paysans, ce qui lui avait valu le respect et l’admiration de nombreux Haïtiens, mais aussi l’animosité de certains secteurs hostiles aux changements sociaux.
Ordonné prêtre le 8 janvier 1971, Vincent a rapidement gravi les échelons au sein de l’Église. Nommé vicaire en 1975, puis administrateur de la paroisse de Jean-Rabel de 1977 à 1983, il a également dirigé la Caritas au Cap-Haïtien de 1983 à 1991. Sous sa direction, plusieurs mouvements paysans ont vu le jour dans le Nord-Ouest, parmi lesquels ‘‘Tèt ansanm’’, qui évolua plus tard en ‘‘Tèt kole ti peyizan’’. Son obsession pour la question de l’accès à l’eau pour les cultures paysannes lui a valu d’être comparé à « un manuel des temps modernes en Haïti ».
Malgré son influence et son dévouement, le père Vincent a été assassiné à l’âge de 48 ans, devant la maison des Pères Montfortains, à la rue Baussan, par des hommes armés et des militaires. Ce meurtre s’inscrit dans une longue série d’attaques contre des figures engagées pour la justice sociale en Haïti, perpétrées dans un climat d’impunité persistant.
Depuis l’assassinat de Jean-Marie Vincent, l’enquête sur ce crime n’a connu aucun avancement notable, reflet du dysfonctionnement chronique du système judiciaire haïtien. Les rapports initiaux suggéraient l’implication de militaires et de groupes paramilitaires, alors actifs sous le régime de facto de Raoul Cédras, mais aucune accusation formelle n’a été retenue contre les suspects. La Commission Interaméricaine des Droits de l’Homme (CIDH) avait pourtant demandé à plusieurs reprises à l’État haïtien de mener une enquête impartiale et approfondie, sans succès.
En dépit des nombreuses promesses des gouvernements successifs de relancer l’enquête, la mémoire de Jean-Marie Vincent continue de hanter un pays où l’impunité reste la norme. La disparition d’un homme aussi engagé que le père Vincent souligne la vulnérabilité des défenseurs des droits humains en Haïti, et le besoin urgent de réformes profondes pour garantir que justice soit faite, non seulement pour lui, mais aussi pour toutes les victimes d’assassinats politiques dans le pays.