PORT-AU-PRINCE, mercredi 5 février 2025–Le Réseau National de Défense des Droits Humains (RNDDH) et Ensemble Contre la Corruption (ECC) ont rencontré le ministre de la Justice et de la Sécurité publique, Patrick Pélissier, le 28 janvier dernier, pour discuter des engagements du gouvernement en matière de lutte contre la corruption et des violations des droits humains en Haïti.
Pendant plus d’une heure et demie, les échanges ont porté sur cinq grands dossiers, notamment l’établissement de pôles judiciaires spécialisés, la transparence dans l’attribution des marchés publics, l’implication de conseillers du Conseil Présidentiel de Transition (CPT) dans un scandale de corruption, la situation alarmante au Centre de Rééducation des Mineurs en Conflit avec la Loi (CERMICOL) et le traitement des affaires de corruption transférées au Parquet par l’Unité de Lutte Contre la Corruption (ULCC) et l’Unité Centrale de Renseignements Financiers (UCREF).
Le RNDDH et ECC rappellent que l’établissement des pôles judiciaires spécialisés à Port-au-Prince, consacré par le protocole d’accord du 19 septembre 2024 entre le Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire (CSPJ), le ministère de la Justice et le Haut-Commissariat des Nations Unies aux Droits de l’Homme, est une nécessité pressante pour combattre la corruption et les crimes de masse. « Il est inacceptable que ces pôles tardent à voir le jour alors que leur mise en place est une exigence de l’accord politique du 3 avril 2024 », insistent les deux organisations, soulignant que le dysfonctionnement du Tribunal de première instance de Port-au-Prince ne saurait être une excuse pour retarder leur opérationnalisation.
Le ministre Patrick Pélissier a confirmé que des mesures ont été prises pour relancer le fonctionnement du tribunal, notamment la location d’un immeuble pour relocaliser cette juridiction. Il a également affirmé qu’un projet de décret a été élaboré pour encadrer légalement la mise en place des pôles judiciaires spécialisés. Cependant, RNDDH et ECC attendent des actions concrètes et non de simples déclarations d’intention.
Par ailleurs, les irrégularités entourant l’attribution du marché PNHOO-2425-TF-AOON-S-1/01/11 pour la restauration des agents de la Police nationale d’Haïti (PNH) suscitent des préoccupations majeures. Plusieurs prestataires ont dénoncé des actes de corruption, de népotisme et de trafic d’influence, affirmant que huit des onze lots du marché ont été attribués à des entreprises appartenant à une seule personne, en violation des principes de la concurrence. Une commission ad hoc a remis, le 24 décembre 2024, un rapport confirmant ces soupçons, mais aucune action concrète n’a encore été entreprise.
« Nous avons interpellé le ministre pour qu’une enquête sérieuse soit menée et que des mesures immédiates soient prises afin d’assurer la transparence et l’équité dans l’attribution des marchés publics », insistent RNDDH et ECC. Lors de la réunion du 28 janvier, le ministre a reconnu que le rapport était accablant et a promis d’organiser des rencontres avec les parties concernées. Les deux organisations attendent que ces discussions aient lieu sans plus tarder, afin d’éviter une interruption des services tout en garantissant l’application des règles de bonne gouvernance.
Le RNDDH et ECC dénoncent également le blocage du dossier impliquant les conseillers du CPT Smith Augustin, Emmanuel Vertilaire et Louis Gérald Gilles, accusés de corruption dans le cadre d’un scandale touchant la Banque Nationale de Crédit (BNC). L’ULCC a transmis un rapport accablant au Parquet de Port-au-Prince le 2 octobre 2024, et une instruction judiciaire a été ouverte, mais après plusieurs mois d’enquête, le dossier est toujours au point mort.
« Comment expliquer que le juge instructeur Benjamin Félismé ait remis son ordonnance au Parquet depuis le 17 janvier 2025 et qu’aucune décision ne soit encore prise ? », questionnent les deux organisations, qui dénoncent par ailleurs les rencontres privées entre le commissaire du gouvernement près de la Cour d’Appel, maître Claude Jean, et les conseillers impliqués, ce qui jette un doute sur l’indépendance de la procédure. Face à ces inquiétudes, le ministre de la Justice s’est engagé à examiner les raisons du blocage du dossier. Toutefois, RNDDH et ECC estiment que des actes concrets doivent suivre ces engagements verbaux afin de garantir l’indépendance de la justice.
La situation désastreuse au Centre de Rééducation des Mineurs en Conflit avec la Loi (CERMICOL) constitue une autre préoccupation majeure soulevée lors de cette rencontre. Depuis la fermeture de la prison civile de Cabaret en 2022 et l’attaque contre la prison civile de Port-au-Prince en 2024, le CERMICOL a été transformé en centre de détention pour hommes, femmes et enfants.
« Nous dénonçons cette situation qui constitue une grave violation des droits humains », insistent RNDDH et ECC, soulignant que le mélange des catégories de détenus expose les mineurs à des abus et des violences. Le ministre de la Justice a assuré que des démarches étaient en cours pour transférer les femmes et les filles à la prison civile de Pétion-Ville et pour organiser des audiences correctionnelles afin de réduire la surpopulation carcérale. Cependant, pour les deux organisations, ces mesures doivent être appliquées sans délai afin de mettre fin à une situation intolérable.
Le RNDDH et ECC dénoncent le blocage de nombreux dossiers de corruption transmis au Parquet par l’ULCC et l’UCREF, notamment celui de Rosemila Petit-Frère, accusée de blanchiment d’argent. « Ce dossier, déposé en septembre 2024, n’a jamais été transféré au Décanat pour être traité par un juge d’instruction, ce qui démontre une volonté manifeste de ne pas faire avancer la lutte contre la corruption », s’indignent les deux organisations. Le ministre de la Justice a affirmé que ces blocages ne proviennent pas du gouvernement, mais du Parquet lui-même, et a promis d’enquêter sur cette situation. Toutefois, le RNDDH et ECC exigent des résultats concrets et non des promesses sans lendemain.
Si le ministre de la Justice a pris plusieurs engagements lors de cette rencontre, le RNDDH et ECC restent prudents et attendent des actions concrètes. « L’État haïtien doit impérativement restaurer la confiance des citoyens en garantissant l’indépendance de la justice et en mettant fin aux pratiques de corruption qui gangrènent nos institutions », rappellent-ils, insistant sur le fait que l’opinion publique, les organisations de la société civile et les partenaires internationaux suivront de près l’évolution de ces dossiers.
Pour RNDDH et ECC, il est impératif que les promesses du ministre soient suivies d’effets afin d’instaurer un véritable État de droit en Haïti.