PORT-AU-PRINCE, lundi 26 août 2024– Pierre Espérance, directeur exécutif du Réseau National de Défense des Droits Humains (RNDDH), appelle à une mobilisation massive et intense des organisations de la société civile haïtienne pour faire pression sur les autorités et l’appareil judiciaire en Haïti afin que Joseph Michel Martelly soit enfin jugé. Selon lui, cette mobilisation est cruciale, notamment dans le contexte des sanctions américaines contre Martelly, où plusieurs dossiers sensibles concernant le ‘‘Parti Haïtien Tèt Kale’’ (PHTK) doivent être traités, et son chef, l’ex-président, qui s’appuyait sur le soutien de ses contacts à Washington pour jouir indéfiniment de l’impunité avec l’espoir de revenir au pouvoir.
Espérance souligne que des accusations de corruption impliquant le PHTK et alliés, et particulièrement Martelly pour la dilapidation des fonds du programme PetroCaribe, sont toujours au cœur des préoccupations actuelles. Il dénonce le comportement du doyen du tribunal de première instance de Port-au-Prince, qui n’aurait pris aucune décision pour relancer l’instruction de l’affaire en confiant le dossier à un nouveau magistrat.
Il rappelle que récemment, le RNDDH a écrit officiellement au doyen Bernard Sainvil pour réclamer en vain la relance du dossier. Dans cette correspondance, le RNDDH a attiré l’attention du doyen sur l’importance de la relance de l’affaire PetroCaribe, un dossier qui concerne directement la gestion des fonds publics par l’État haïtien.
‘‘Le dossier PetroCaribe, qui avait initialement été porté devant le Cabinet d’instruction en mars 2019 sur la base d’un réquisitoire du Parquet de Port-au-Prince, a été suspendu par un réquisitoire définitif émis en juin 2021. Le magistrat instructeur en charge à l’époque, Me Ramoncite Accimé, avait adopté cette décision de suspension, marquant ainsi un coup d’arrêt à l’enquête qui avait pourtant déjà vu défiler de nombreuses personnalités devant la Chambre d’instruction criminelle’’, a souligné Espérance qui se réfère à la correspondance du RNDDH.
Selon le RNDDH, cette décision de suspension résulte d’un “arrangement malsain et éhonté” entre l’ex-commissaire du gouvernement Me Bed-Ford Claude et le magistrat instructeur Me Ramoncite Accimé, tous deux impliqués dans l’enterrement de cette affaire d’intérêt national. Cette manœuvre, dénoncée par de nombreux observateurs, s’inscrit dans un climat général d’impunité au sein de l’administration publique haïtienne, une situation qui mine la transparence et la bonne gouvernance.
Le RNDDH a rappelé dans sa lettre que les revendications des citoyens pour plus de transparence sur l’utilisation des fonds PetroCaribe ont été brutalement réprimées, notamment par le massacre de La Saline les 13 et 14 novembre 2018, un événement tragique visant à étouffer par la terreur la mobilisation populaire.
Selon lui, la justice haïtienne est toujours sous l’influence du PHTK et alliés et de Michel Martelly à travers le ministère de la Justice, ce qui empêche un jugement équitable des affaires de corruption.
Citant un rapport de la direction centrale de la police judiciaire (DCPJ), Pierre Espérance a indiqué qu’il existe des liens étroits entre Michel Martelly et les gangs armés qui opèrent en Haïti. Espérance insiste sur le fait que le rapport met en évidence des connexions troublantes entre Arnel Joseph et plusieurs personnalités politiques haïtiennes, notamment le sénateur Garcia Delva, dont le nom a été mentionné dans un premier rapport daté du 26 juillet 2019. Selon le supplément d’enquête, il est recommandé au magistrat d’auditionner Garcia Delva ainsi que l’ex-premier ministre Jean Henry Céant et Vladimir Jean Louis, alias Vlad, tous deux soupçonnés d’entretenir des relations privilégiées avec Arnel Joseph.
Il est spécifiquement noté qu’Arnel Joseph a mentionné lors de son interrogatoire des communications régulières avec Vlad, un agent de sécurité rapproché de l’ancien président Michel Martelly. Arnel Joseph a affirmé : « Pou nimewo telefòn 3854-9524 la, mwen konn pale ak plizyè otorite sou li tankou Senatè Gracia Delva, Vlad ki se ajan sekirite rapwoche ansyen prezidan Martelly. Vlad te konn vini nan Vilaj la kotem. Nimewo 3164-8888 la se pou Vlad li ye. »
Selon Arnel Joseph, Vlad serait venu le voir au Village de Dieu, et ce dernier numéro, le 3164-8888, appartenait à Vlad. Le rapport signale également que lors d’une opération de la police au Village de Dieu, Arnel Joseph aurait échappé à l’arrestation en fuyant à bord d’un Nissan Pathfinder noir, conduit par un certain Wòch, qui l’aurait transporté jusqu’à Grand Ravine.
Arnel Joseph a été abattu le 26 février 2021 à l’Estère, quelques heures après son évasion spectaculaire de la prison civile de Croix-des-Bouquets. L’ex-sénateur Garcia Delva a été blanchi par une décision du juge Petit Papa. L’ex-premier ministre Jean Henry Céant a toujours nié toute relation avec l’ancien caïd de Village de Dieu.
Pierre Espérance a fait référence également au rapport des experts de l’ONU qui ont enquêté sur la criminalité en Haïti, accusant l’ex-président de soutien présumé aux gangs criminels en Haïti.
Selon le rapport du Groupe d’Experts mandaté par le Conseil de Sécurité des Nations Unies, « Michel Martelly, qui a été président de 2011 à 2016, s’est servi des gangs pour étendre son influence dans les quartiers afin de faire avancer son agenda politique, contribuant ainsi à un héritage d’insécurité dont les effets se font encore sentir aujourd’hui. »
‘‘Le Groupe d’experts a reçu des informations selon lesquelles, pendant son mandat, M. Martelly a financé plusieurs gangs, tels que Base 257, Village de Dieu, Ti Bois et Grand Ravine, notamment en leur fournissant des fonds ou des armes à feu’’, souligne le rapport.
Le rapport des experts précise que, ‘‘d’après plusieurs sources, M. Martelly a créé la Base 257, qui a été financée et armée au fil du temps pour empêcher les manifestations contre le pouvoir à Pétion-Ville, notamment à partir de 2014. Ce gang est régulièrement mêlé à des meurtres, des enlèvements, des vols et au trafic de drogue.’’
« M. Martelly est également passé par des intermédiaires, notamment des fondations ou des membres de sa garde rapprochée, pour établir des relations et négocier avec d’autres gangs. Ainsi, Arnel Joseph, l’ancien chef du gang de Village de Dieu, a déclaré qu’il s’entretenait régulièrement avec un intermédiaire travaillant dans l’unité de protection rapprochée de M. Martelly, ajoutant que cet intermédiaire lui donnait des armes à feu et d’importantes sommes d’argent », selon le document.
Le rapport souligne également que ‘‘dans une vidéo, Ti Lapli, l’un des chefs actuels de Grand Ravine, explique que l’ancien Président a remis à Tèt Kale (ancien chef de Grand Ravine) un fusil Galil 5,56 mm appartenant à la police et un fusil de même type à Chrisla, chef du gang Ti Bois. Après l’assassinat de Tèt Kale, Ti Lapli a récupéré l’arme.’’
Espérance met également en avant l’impunité persistante pour les crimes graves, tels que les massacres, les viols, et les kidnappings. ‘‘Bien que la police ait procédé à des arrestations, les suspects sont souvent libérés sans poursuites judiciaires appropriées.’’ M. Espérance attribue cette situation au contrôle exercé par le PHTK sur le système judiciaire et au manque d’intérêt des autorités actuelles, y compris le ministère de la Justice, pour faire avancer ces dossiers.
Pierre Espérance appelle les acteurs internationaux, notamment la justice américaine, à prendre des mesures pour garantir que les dossiers impliquant Joseph Michel Martelly et les membres du PHTK soient traités avec rigueur. Parallèlement, il insiste sur la nécessité pour les organisations de la société civile haïtienne de renforcer leur mobilisation pour faire pression sur les autorités locales et internationales, afin d’assurer que justice soit rendue et que l’État de droit soit rétabli en Haïti.
Selon lui, les États-Unis ne doivent pas se contenter des sanctions, qui ont une portée administrative, mais doivent mettre la justice en branle afin de juger Martelly pour tous les crimes qui lui sont reprochés. Cependant, il a indiqué que la justice haïtienne doit, de son côté, se mobiliser également pour qu’il y ait procès en Haïti dans le cadre de l’ensemble des affaires dans lesquelles Martelly serait impliqué.