Le Ministère Public demande la nullité de l’appel de Léon Charles et le rejet des recours des Joverlein et de Martine Moisie, tout en reconnaissant la recevabilité d’autres appels,,,

Leon Charles, ex--directeur interimaire de la Police Nationale d'Haiti (PNH), Martine Moise, ex-premiere dame de la Republique et Joverlein Moise, fils de l'ex-president Jovenel Moise...

PORT-AU-PRINCE, mercredi 23 octobre 2024– Le réquisitoire du Ministère Public concernant l’appel interjeté par Joverlein Moise, fils de l’ancien Président Jovenel Moise, ainsi que de plusieurs inculpés, dans l’affaire de l’assassinat du Président survenu dans la nuit du 6 au 7 juillet 2021, révèle les complexités et les rebondissements d’une affaire judiciaire qui a marqué Haïti. Le Président Jovenel Moise a été assassiné à son domicile privé, situé à Pèlerin 5, Impasse Lespérance, n°5, et sa femme, Martine Moise, a été grièvement blessée au cours de cette attaque brutale. Cet acte a secoué la nation et déclenché une enquête de grande envergure, qui a permis l’arrestation et l’identification de nombreux suspects, tant au niveau national qu’international.

Après les premières investigations, le dossier de l’enquête, incluant les suspects appréhendés, a été transféré au Parquet près du Tribunal de Première Instance de Port-au-Prince le 2 août 2021. Le Commissaire du Gouvernement a alors émis un réquisitoire d’informer le 4 août 2021, engageant le Cabinet d’Instruction à mener une investigation plus approfondie. Près de trois ans plus tard, le 25 janvier 2024, une ordonnance de clôture a été rendue par le Cabinet d’Instruction. Ce document, fondamental dans la procédure, adoptait partiellement les conclusions du Commissaire du Gouvernement contenues dans son réquisitoire final, daté du 17 janvier 2024. Il déclarait l’extinction des poursuites pénales contre plusieurs inculpés en raison de leur décès, tout en annulant les mandats d’amener initialement émis à leur encontre.

Parmi les personnes contre lesquelles la procédure pénale a été annulée figurent Marie Jude Gilbert Dragon, Mauricio Javier Romero Medina, Duberney Capador Giraldo, Miguel Guillermo Garson et Joseph Gérald Bataille, tous décédés avant le dénouement de l’affaire. Le Cabinet d’Instruction a également jugé opportun de mettre fin aux poursuites contre plusieurs autres accusés, tels que John Joël Joseph, James Solage, Joseph Vincent, Roodolph Jaar, et d’autres, en application du principe juridique “non bis in idem”, signifiant qu’une personne ne peut être jugée deux fois pour les mêmes faits.

L’ordonnance a par ailleurs décidé qu’il n’y avait pas lieu de poursuivre contre certains suspects pour lesquels les charges étaient insuffisantes. Ainsi, Reynaldo Corvington, Dominick Cauvin, Antonio Cheramy, Paul Eddy Amazan, Renor Fontus, Pierre Osman Léandre, Prevot Mozart, et Conrad Bastien ont été renvoyés hors des liens de l’inculpation. Les preuves et indices recueillis n’étaient pas jugés assez probants pour justifier leur implication dans l’assassinat du Président Moise. Le Cabinet a alors ordonné leur mise en liberté immédiate, sous réserve qu’ils ne soient pas retenus pour d’autres causes.

En revanche, pour d’autres inculpés, des éléments probants ont été retenus, ce qui a conduit à leur renvoi devant le Tribunal criminel. Cette liste inclut, entre autres, Victor Albeiro Pineda Cardona, Alejandro Giraldo Zapata, Manuel Antonio Groso Guarin, John Jairo Ramirez Gomez, et Neil Caceres Duran. Les charges portées contre eux sont graves : association de malfaiteurs, vol à mains armées, terrorisme, assassinat et complicité d’assassinat, commis à l’encontre du Président Moise. Le Ministère Public, dans cette ordonnance, s’appuie sur plusieurs articles du Code Pénal haïtien et du Décret du 4 mai 2023 pour justifier ces poursuites. En conséquence, le Tribunal criminel sera chargé de juger ces accusés pour les crimes retenus contre eux, sans l’assistance d’un jury. La décision stipule également que les inculpés doivent être immédiatement arrêtés et incarcérés à la prison civile de Port-au-Prince, s’ils ne sont pas déjà en détention.

L’affaire ne s’arrête pas là. En plus des poursuites déjà engagées, des mesures conservatoires ont été prises pour maintenir les scellés apposés sur la résidence privée du Président assassiné, située à Pèlerin 5. Cette décision vise à préserver l’intégrité des preuves et éléments matériels qui pourraient encore jouer un rôle crucial dans la suite de l’affaire. Le Ministère Public a ordonné la transmission de toutes les pièces du dossier, y compris l’ordonnance de clôture, au Commissaire du Gouvernement compétent pour que les mesures de droit soient prises.

Apres la publication de cette ordonnance, plusieurs inculpés et Joverlein Moise, fils du Président assassiné, ont choisi d’interjeter appel. Pour Joverlein Moise, cet appel a été introduit par l’intermédiaire de son mandataire, Jems Gédéon, le 21 mars 2024. La déclaration a été enregistrée au greffe du Tribunal de Première Instance de Port-au-Prince, suivie d’une signification en bonne et due forme le 22 mars 2024 par l’huissier Simon Josué. Dans son appel, Joverlein Moise se désigne en tant que plaignant, et bien que ce terme soit utilisé, sa constitution comme partie civile au début de la procédure le qualifie juridiquement pour ce rôle. Conformément aux dispositions de la loi du 26 juillet 1979 sur l’appel pénal, le Ministère Public demande à la cour de déclarer recevable en la forme cet appel, sous

L’appel du sieur Claude Joseph, signifié le 1er mars 2024, a été interjeté le 6 du même mois, respectant ainsi le délai légal imparti pour faire appel. Cette recevabilité est sans équivoque, permettant de poursuivre l’examen des faits dans le cadre de cette procédure judiciaire. De même, l’appel du sieur Hubert Jeanty, signifié le 28 février 2024 et interjeté le 8 mars, est également déclaré recevable, soulignant l’importance du respect des délais dans les procédures judiciaires.

Concernant l’appel du sieur Joverlein Moise, il convient de noter qu’il a interjeté appel par une déclaration faite au greffe, mais qu’il n’a présenté aucun moyen pour soutenir sa prétention. Il a été établi dans une jurisprudence antérieure, plus précisément dans l’arrêt de la Cassation du 17 décembre 1974 (Joseph Derac/Ernest Lamothe), que « la seule déclaration qu’on veut appeler n’est pas suffisante pour constituer ce recours, étant donné qu’elle donne naissance à une instance nouvelle et c’est elle qui saisit le juge du deuxième degré de juridiction ». En d’autres termes, l’absence de griefs substantiels rend cet appel infondé. En conséquence, il y a lieu de requérir le rejet de l’appel du sieur Joverlein Moise pour faute de griefs.

En ce qui concerne l’appel du sieur Marky Kessa, celui-ci soutient que le juge a violé le code d’instruction criminelle, qui impose l’obligation d’instruire à charge et à décharge. Il argue que le juge n’a pas pris en compte les déclarations qu’il avait fournies. Cependant, le devoir du juge d’instruction d’évaluer à la fois les éléments à charge et à décharge est crucial. Dans cette affaire, il a été noté que le juge s’est contenté de considérer les liens entre l’inculpé et d’autres inculpés, qui ont avoué leur implication dans le crime, sans suffisamment s’intéresser aux déclarations de Marky Kessa. Celui-ci fait état de deux rencontres organisées avec l’organisation CTU, les 5 et 6 avril 2021, et souligne qu’il était impératif d’être confronté à ceux qui avaient participé à ces discussions. L’absence de cette confrontation pourrait constituer une violation du principe d’instruction à charge et à décharge, justifiant ainsi l’infirmation de l’ordonnance.

Dans le dispositif de son acte d’appel, le sieur Kessa demande à la cour d’infirmer l’ordonnance en raison d’une mésinterprétation de la notion de complicité. Cependant, il n’a fourni aucun moyen tangible pour soutenir cette demande, qui doit donc être écartée. La cour sera alors requise d’infirmer l’ordonnance querellée en ce qui concerne l’inculpé Marky Kessa et d’ordonner un supplément d’information pour confronter ses déclarations à celles d’autres inculpés.

Passant à l’appel du sieur Louis Gonzague Day, il a interjeté appel contre l’ordonnance du juge d’instruction du 25 janvier 2024. Toutefois, dans ses griefs, notifiés le 9 septembre 2024, il conteste l’ordonnance en affirmant qu’il n’existe aucun indice établissant sa complicité. Selon l’appelant, son statut de ministre de l’intérieur aurait dû lui permettre d’avoir accès à des renseignements. Il se base également sur les déclarations de l’inculpé Félix Badio, qui évoque des réunions concernant l’arrestation du président assassiné. Néanmoins, il a été établi que le juge instructeur est, par nature, un juge indiciel. L’inaction du ministre, jointe aux déclarations de Félix Badio, constitue des indices suffisants pour justifier le renvoi de Louis Gonzague Day. Ainsi, les fins, moyens et conclusions de l’appelant doivent être rejetés, et l’œuvre du premier juge doit être confirmée en ce qui le concerne.

Concernant l’appel du sieur Jeantel Joseph, celui-ci soulève deux exceptions de nullité concernant l’acte de signification de l’ordonnance. La première fait état de l’absence de lien clair entre la personne signifiée et celle ayant reçu l’acte, tandis que la deuxième vise l’absence de timbre sur l’acte. Bien que ces irrégularités puissent entacher la signification, leur impact sur l’ordonnance elle-même est jugé négligeable. En effet, cette nullité est sans intérêt car elle n’affecte pas l’ordonnance ni la capacité de la partie à interjeter appel. En conséquence, cette exception sera rejetée.

Jeantel Joseph avance également une demande de récusation du premier juge, arguant qu’il a été récusé par plusieurs parties dans cette affaire. Toutefois, le dossier ne présente aucun acte de récusation formel de la part des parties concernées. Ainsi, ce moyen doit également être rejeté. En outre, l’appelant soulève la nullité de l’ordonnance en raison de la violation des délais procéduraux. L’article 7 de la loi sur l’appel pénal stipule les délais pour instruire un dossier, mais la sanction du non-respect de ces délais est limitée à la prise à partie et ne conduit pas à la nullité de l’ordonnance. Il évoque aussi l’absence de motifs dans l’ordonnance, alors que le juge a articulé quatre motifs suffisants justifiant sa décision de renvoi. Ces arguments doivent également être écartés par la cour. Enfin, Jeantel Joseph soutient avoir été confus lors de son audition, mais ces allégations ne peuvent affecter la validité de l’ordonnance, si bien que ses fins, moyens et conclusions doivent être considérés comme non fondés.

L’appel du sieur Jean Laguel Civil présente un point de droit pertinent : la violation de la règle de procédure selon laquelle le juge d’instruction doit agir à charge et à décharge. Jean Laguel Civil se défend en affirmant qu’il a agi promptement suite à un appel du président de la République en détresse, tout en contestant les allégations du témoin Pierre Esperance. Les rapports téléphoniques prouvent une réaction rapide de sa part, et les allégations concernant une somme de cent mille dollars qu’il aurait reçue ne constituent pas un indice suffisant pour justifier son renvoi. Le juge ne peut fonder son renvoi sur des suppositions, et l’utilisation d’un exemple biblique pour étayer sa décision est jugée inappropriée. De ce fait, la cour pourrait être amenée à infirmer l’ordonnance concernant Jean Laguel Civil. Il a également demandé une liberté provisoire, mais il est établi qu’aucune liberté provisoire ne peut être accordée pour des faits passibles de peines afflictives et infamantes, selon l’article 95 du Code d’instruction criminelle. La nécessité d’approfondir l’allégation de pot-de-vin émise par Pierre Esperance justifie la requête d’un supplément d’information.