“Le massacre de l’Artibonite: Un tournant pour Haïti ?” Analyse de Global Initiative Against Organized Crime…

photop:PNH/Armes et motocyclettes saisies par la police

PONT-SONDÉ, samedi 12 octobre 2024– Selon une analyse de Global Initiative Against Organized Crime, le massacre survenu dans la localité de Pont-Sondé, dans la nuit du 2 au 3 octobre 2024, représente une nouvelle étape tragique dans l’escalade de la violence en Haïti. Le gang “Gran Grif,” dirigé par Luckson Elan, a semé la  terreur en exécutant des hommes, des femmes et des enfants, en pillant et en détruisant des maisons, et en forçant plus de 6 000 habitants à fuir la région. Cet événement, qualifié de l’un des pires massacres de ces dernières décennies, a causé la mort d’au moins 115  personnes, un chiffre susceptible de s’alourdir.

Global Initiative rappelle que cet événement intervient dans un contexte de sanctions récentes. Le 27 septembre 2024, le Conseil de sécurité des Nations Unies avait ajouté les noms de Luckson Elan et de Prophane Victor, un ancien député accusé de trafic d’armes et de soutien à des groupes criminels dans la région de l’Artibonite, à la liste des Haïtiens sanctionnés. Ces sanctions faisaient suite à celles imposées par le département du Trésor américain deux jours auparavant.

Cependant, malgré ces efforts internationaux, Global Initiative observe que les gangs continuent de prospérer, comme l’a illustré la violence de Gran Grif.

L’analyse de Global Initiative souligne que la Police Nationale d’Haïti (PNH), pourtant stationnée à seulement 20 kilomètres de Pont-Sondé, n’est pas intervenue lors de l’attaque, ce qui témoigne de l’incapacité des forces de l’ordre à faire face à la violence des gangs.

Les tensions dans l’Artibonite, notamment autour de Pont-Sondé, ont été exacerbées par des affrontements constants entre Gran Grif et d’autres gangs, ainsi qu’avec les groupes d’autodéfense locaux qui tentent de résister à leur emprise. La situation s’est particulièrement dégradée ces dernières semaines après que Gran Grif a accusé les habitants de la région de collaborer avec un groupe d’autodéfense visant à s’opposer à leurs activités d’extorsion.

Global Initiative documente depuis 2022 l’expansion des gangs dans l’Artibonite et leurs affrontements avec les groupes d’autodéfense.

Les deux camps bénéficient du soutien de personnalités politiques et d’entrepreneurs influents de la région, ce qui plonge les habitants dans une spirale de violence incessante. Les habitants, pris entre les gangs et les groupes d’autodéfense, payent un lourd tribut, et le massacre de Pont-Sondé en est une illustration tragique.

Les rapports des Nations Unies, cités par Global Initiative, confirment également cette escalade de la violence. Un rapport d’octobre 2023 du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH) souligne la détérioration rapide de la situation dans le bas-Artibonite, dominé par plus de 20 groupes criminels, parmi lesquels Gran Grif est particulièrement influent.

En 2024, entre janvier et juin, l’Artibonite a été le théâtre de 65 % des enlèvements recensés dans le pays, contre 35 % dans le département de l’Ouest, où se trouve Port-au-Prince. Cette violence est accompagnée d’une crise alimentaire grandissante, en raison de l’extorsion et des déplacements forcés orchestrés par les gangs, qui ont contraint les agriculteurs à abandonner plus de 3 000 hectares de terres dans la région.

Global Initiative note que les gangs, en particulier Gran Grif, imposent un véritable régime d’extorsion sur les agriculteurs et les réseaux logistiques.

Ils utilisent la violence non seulement pour maintenir leur emprise sur les populations locales, mais aussi pour contrôler les ressources économiques, ce qui leur permet de renforcer leur pouvoir et d’asseoir leur autorité dans une région où l’État est quasiment absent. Ce modèle de “gouvernance criminelle”, comme l’appelle Global Initiative, est particulièrement visible dans le contrôle exercé par les gangs sur les marchés, les commerçants et les réseaux de transport.

L’analyse de Global Initiative met également en lumière les liens entre ces gangs et des personnalités politiques locales, comme le montrent les sanctions imposées à Prophane Victor.

L’implication des gangs dans la violence politique est un autre aspect clé du contrôle qu’ils exercent sur la région, comme en témoignent l’assassinat de plusieurs juges et avocats en avril et mai 2024, qui visait à influencer directement la vie institutionnelle.

Pour Global Initiative, le massacre de Pont-Sondé est non seulement une tragédie humanitaire, mais aussi un défi majeur pour les autorités haïtiennes et la communauté internationale. Le Conseil présidentiel de transition et le gouvernement du premier ministre Gary Conille, bien qu’ayant condamné les atrocités et annoncé un déploiement de forces de police, sont eux-mêmes englués dans des scandales de corruption et des conflits internes.

Face à une telle impunité, Global Initiative estime que l’avenir d’Haïti dépendra en grande partie de la capacité des autorités à restaurer l’ordre et à poursuivre en justice les auteurs des violences, qu’ils soient gangs ou leurs soutiens politiques.

Global Initiative insiste sur l’urgence pour la communauté internationale de soutenir financièrement la Mission multinationale de soutien à la sécurité (MSS) et de répondre aux besoins humanitaires croissants dans le pays.

Le Plan de réponse humanitaire pour 2024, qui nécessite 674 millions de dollars, est actuellement financé à moins de 40 %, ce qui compromet sérieusement les efforts de stabilisation. Sans une réponse à la hauteur des enjeux, Global Initiative avertit que le massacre de Pont-Sondé risque de ne pas être le dernier.