WASHINGTON, mercredi 30 septembre 2024– selon un article de Jake Johnston, Jake Johnston, chercheur principal au Centre de recherche économique et politique (Center for Economic and Policy Research), fin septembre, le Premier ministre haïtien Gary Conille a discrètement conclu un accord avec Studebaker Defense Group, une entreprise de sécurité multinationale comptant parmi ses employés plusieurs anciens responsables du Pentagone et de la CIA. Cette société, qui cherchait à s’implanter en Haïti depuis plus d’un an, aurait enfin trouvé un point d’entrée. Comme l’explique Jake Johnston, spécialiste de la situation haïtienne, « la firme avait été en quête de contrats en Haïti depuis plus d’un an. »
En mars 2023, le général américain à la retraite Wesley Clark, membre du conseil d’administration de Studebaker, aurait tenté d’initier des pourparlers avec l’ancien Premier ministre Ariel Henry, se rendant même à Port-au-Prince pour rencontrer des représentants du gouvernement haïtien. Bien qu’un accord n’ait pas été conclu à cette époque, un porte-parole de Studebaker a récemment confirmé la présence actuelle de l’entreprise en Haïti. Dans une déclaration adressée à Haiti Relief & Reconstruction Watch (HRRW), Studebaker a affirmé avoir lancé une initiative de formation et de mentorat visant à renforcer la sécurité publique haïtienne en soutien à la Police Nationale d’Haïti (PNH), en précisant que le groupe agit « strictement dans un rôle consultatif » et rend compte « directement au directeur général de la PNH. »
Cependant, Johnston note que « le rôle exact de Studebaker en Haïti reste ambigu. » Trois sources, qui ont déclaré disposer d’informations directes sur la situation, affirment que le contrat aurait été signé directement par le Premier ministre Conille, contournant ainsi le Conseil présidentiel de transition (CPT). Selon une source proche du CPT, « le Conseil n’a pas été informé et, en fait, il l’a confronté à ce sujet. Nous n’avons toujours pas vu le contrat, donc nous ignorons les objectifs de cette mission, le nombre de personnels, s’ils sont armés ou non. Zéro information. »
Dans une lettre datée du 29 octobre et adressée au Secrétaire général du Premier ministre, le CPT a demandé une rencontre urgente pour discuter de la « présence d’une entreprise privée impliquée dans la sécurité publique, » sans mentionner explicitement Studebaker.
Le nombre exact de contractants de Studebaker déployés en Haïti reste flou, mais ils rejoignent déjà des dizaines d’instructeurs étrangers travaillant avec la PNH, ainsi que quelque 430 soldats déployés dans le cadre de la Mission de soutien sécuritaire multinationale (MSS) menée par le Kenya et financée par les États-Unis. Cependant, comme l’indique Johnston, le communiqué de Studebaker « n’a pas précisé si ses agents interagiraient avec la MSS ou d’autres gouvernements étrangers impliqués dans le secteur de la sécurité en Haïti. » Interrogée, la MSS n’a pas répondu à HRRW avant la publication de l’article.
Bien que Studebaker assure qu’elle agit strictement dans un rôle consultatif, des sources proches de la situation contestent cette affirmation et allèguent que les agents de la société ont participé directement à des opérations policières, soulevant des questions sur les règles d’engagement et la responsabilité en cas d’abus. Le 15 octobre, la police haïtienne a annoncé qu’une opération conjointe avait blessé un chef de gang de premier plan dans ce qu’elle a décrit comme une « première incursion majeure dans un territoire contrôlé par les gangs depuis le déploiement de la MSS en juin dernier. » Selon Johnston, des sources affirment que « l’opération avait en réalité été planifiée avec Studebaker et impliquait la participation directe des contractants. »
Les sources précisent que l’opération visait Vitel’homme Innocent, chef du gang Kraze Barye, pour lequel le FBI a offert une récompense de 2 millions de dollars. Toutefois, bien que la police ait déclaré avoir blessé l’un des adjoints d’Innocent, l’opération n’a pas réussi à capturer le chef de gang. Un véhicule blindé de la MSS a été abandonné et détruit. Innocent a ensuite publié une vidéo le montrant près du véhicule calciné. Johnston note qu’« un porte-parole de la MSS n’a pas répondu à la question de savoir si la MSS avait participé à la planification de cette opération policière. »
Lorsqu’HRRW a sollicité des commentaires de Studebaker, un représentant a répondu en mentionnant que la société avait « une opération significative sur le terrain impliquant des renseignements humains et des opérateurs sur place, » mais n’a fourni aucun détail, déclarant : « Nous ne voulons pas mettre en danger ces actifs critiques. »
Enfin, Johnston relève que le rôle du gouvernement américain dans ce contrat reste flou. En règle générale, une entreprise de sécurité américaine doit obtenir l’approbation du Département d’État pour fournir des services de défense dans un pays étranger ou, à tout le moins, en informer le gouvernement américain. Or, d’après les sources de Johnston, « l’ambassade américaine en Haïti n’était même pas initialement informée de ce contrat. »