“Le CPT a-t-il le droit de convoquer la ministre des Affaires étrangères ?”-l’analyse de Me Sonet Saint-Louis…

Ambassadrice Dominique Dupuy, ministre des affaires étrangères et des cultes

PORT-AU-PRINCE, jeudi 3 octobre 2024-Dans une analyse, Me Sonet Saint-Louis, professeur de droit constitutionnel à la Faculté de droit de l’Université d’État d’Haïti, s’est exprimé sur la question de la convocation de Madame Dominique Dupuy, ministre des Affaires étrangères, par le Conseil présidentiel de transition (CPT). Selon lui, cette démarche pose de sérieux problèmes constitutionnels.

« Madame Dominique Dupuy doit-elle se plier à la convocation du Conseil présidentiel de transition (CPT) ? » s’interroge Me Saint-Louis. La question soulevée par cette situation est centrale dans l’application des principes constitutionnels en Haïti. Pour l’expert en droit, la simple utilisation du terme « convocation » est juridiquement inappropriée, car elle suggère une relation hiérarchique entre le président de la République et les ministres qui n’existe pas dans le cadre constitutionnel haïtien. « Le Président de la République n’est pas le supérieur hiérarchique de la ministre, et en conséquence, ne peut pas la convoquer », précise-t-il.

Les ministres, selon lui, ne sont pas des fonctionnaires subordonnés, mais des membres du gouvernement, au même titre que le président et le Premier ministre. « Les gouvernants n’ont pas de supérieur hiérarchique. En cas de désaccord sur une question politique fondamentale ou sur l’orientation de la politique gouvernementale, le ministre doit donner, ou être invitée à donner sa démission. Il n’existe pas d’autre alternative », poursuit Me Sonet Saint-Louis, tout en insistant sur le fait que le contrôle des actions gouvernementales appartient exclusivement au Parlement.

Dans ce contexte où toutes les institutions chargées de l’application de la Constitution sont dysfonctionnelles, Me Saint-Louis dénonce ce qu’il appelle une “indécence constitutionnelle”. « Ce qui est surprenant avec les Haïtiens, c’est qu’ils veulent appliquer la Constitution alors que toutes les institutions chargées de sa mise en œuvre n’existent pas. C’est indécent ! » affirme-t-il.

L’absence de relation institutionnelle entre le CPT et la Constitution constitue, selon le professeur, une source de confusion majeure. « Quelle est donc la relation entre le CPT et la Constitution ? Aucune ! Quelle est donc la relation entre le gouvernement et la Constitution de 1987 ? Aucune ! » s’exclame-t-il, soulignant que le dysfonctionnement du pouvoir législatif est un obstacle à toute transition légitime basée sur les fondements constitutionnels.

Me Saint-Louis va plus loin en critiquant l’idée même d’une transition politique dans ce cadre. « Notre loi fondamentale, qui établit les principes démocratiques, ne peut légitimement prévoir une transition politique. Ce serait comme admettre que notre Constitution autorise les conditions de sa propre annulation », argumente-t-il. La charte de 1987, continue-t-il, est une véritable Constitution démocratique qui fonde le pouvoir sur le suffrage universel, non sur des mécanismes transitoires sans ancrage légal.

Le professeur rappelle également que dans le système haïtien, la relation entre le président et le Premier ministre est une collaboration d’égal à égal. « Il n’existe pas de hiérarchie entre le président et le gouvernement », déclare-t-il, ajoutant que la Constitution de 1987 a prévu des mécanismes de contre-pouvoir pour éviter la concentration de l’autorité au sommet de l’exécutif.

Concernant le rôle de contrôle exercé sur les ministres, Me Sonet Saint-Louis précise que seul le Parlement est habilité à sanctionner un membre du gouvernement pour des manquements, que ce soit par la supervision de ses actions ou via un jugement par la Haute Cour de justice. « En cas de désaccord politique profond et persistant, c’est le ministre qui doit démissionner », réitère-t-il, avant de rappeler que le président n’a aucune autorité directe pour révoquer un ministre.

Le Conseil présidentiel de transition, en cherchant à convoquer Madame Dupuy, empiète donc sur des prérogatives qui ne lui reviennent pas. Me Saint-Louis voit dans cette action un signe d’autoritarisme croissant. « Nous sommes en train de glisser vers une forme d’autoritarisme, où les gouvernants ne rendent des comptes qu’à eux-mêmes », prévient-il.

Il met en garde contre les dérives que pourrait provoquer cette situation, dénonçant le fait que les acteurs de la transition semblent chercher à contourner les règles établies pour s’octroyer un pouvoir sans limites. « Nous avons engendré un véritable monstre qui, tôt ou tard, finira par nous dévorer tous », conclut-il avec gravité.

Le débat soulevé par la convocation de la ministre des Affaires étrangères révèle, selon Me Sonet Saint-Louis, une crise plus profonde dans la gestion des affaires publiques et la déformation des principes constitutionnels en Haïti.