PORT-AU-PRINCE, lundi 8 juillet 2024 – Le Conseil de Sécurité des Nations-Unies doit se prononcer vendredi 12 juillet sur un projet de résolution visant à renouveler le mandat du Bureau Intégré des Nations-Unies en Haïti (BINUH) avant son expiration le 15 juillet. Ce renouvellement s’inscrit dans un contexte de crise sécuritaire, humanitaire et des droits de l’homme exacerbée par la violence des gangs.
Le Conseil recevra également son briefing trimestriel de la Représentante spéciale et cheffe du BINUH, María Isabel Salvador, qui fera le point sur les développements politiques, sécuritaires et humanitaires récents en Haïti, ainsi que sur le dernier rapport du Secrétaire général concernant le BINUH.
Depuis la fin février, Haïti est confrontée à une intensification de la violence des gangs, marquée par une série d’attaques coordonnées visant les institutions étatiques et les infrastructures critiques. Les chefs de gangs avaient pour objectif de provoquer une “guerre civile” afin de forcer la démission du Premier ministre intérimaire Ariel Henry, qui était en voyage au Kenya pour signer un accord facilitant le déploiement d’une mission multinationale de soutien à la sécurité (MSS). Le Conseil avait autorisé cette mission sous la direction du Kenya par la résolution 2699 du 2 octobre 2023 pour aider Haïti à combattre l’activité des gangs et à rétablir la sécurité.
En réponse à la recrudescence de la violence, la Communauté des Caraïbes (CARICOM) a organisé une réunion de haut niveau avec les parties prenantes haïtiennes le 11 mars à Kingston, en Jamaïque. Cette rencontre a abouti à une déclaration annonçant deux engagements clés : la mise en place d’un Conseil présidentiel de transition (CPT) pour organiser des élections libres et équitables, et l’engagement d’Ariel Henry à démissionner dès la formation du CPT et la nomination d’un nouveau Premier ministre intérimaire.
Le CPT, installé le 25 avril, est composé de sept membres votants représentant les partis politiques et le secteur privé, ainsi que deux observateurs non votants issus de la société civile et de la communauté religieuse. Ce conseil a été chargé de sélectionner un nouveau Premier ministre intérimaire, avec lequel il a nommé un nouveau cabinet, d’établir un conseil électoral provisoire et un conseil national de sécurité, et de collaborer avec la communauté internationale pour accélérer le déploiement de la mission MSS. Un accord politique signé par les membres du conseil a mis en avant la sécurité, la réforme constitutionnelle et les élections comme priorités principales de la transition, fixant une période de transition de 22 mois aboutissant à l’investiture d’un nouveau président en février 2026.
Le 29 mai, après de longues négociations, le CPT a annoncé la nomination de Garry Conille comme Premier ministre intérimaire. Ancien médecin et fonctionnaire de l’ONU, Conille a précédemment été Premier ministre de 2011 à 2012 et était récemment directeur régional de l’UNICEF pour l’Amérique latine et les Caraïbes.
Le 12 juin, Conille et le CPT ont présenté un nouveau cabinet gouvernemental. Il comprend Carlos Hercule, ancien bâtonnier de Port-au-Prince, comme ministre de la Justice, Dominique Dupuy, ancienne ambassadrice de l’UNESCO, comme ministre des Affaires étrangères, et Ketleen Florestal, ancienne fonctionnaire de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international, comme ministre des Finances et de la Planification. Conille, tout comme Henry avant lui, supervisera le ministère de l’Intérieur, responsable de l’organisation des élections et de la préparation de la mission MSS.
Le 25 juin, le premier contingent de 200 policiers de la mission MSS est arrivé en Haïti en provenance du Kenya. Ces officiers, dont l’arrivée initiale était prévue en février, ont été retardés pour diverses raisons, notamment un recours judiciaire au Kenya, la transition politique en Haïti et un manque de financement. Lors d’une conférence de presse à Port-au-Prince après l’arrivée des officiers, Conille a déclaré qu’ils seraient déployés dans les prochains jours sans préciser leur mission initiale.
La mission MSS devrait compter jusqu’à 2 500 officiers, déployés par phases, à un coût annuel d’environ 600 millions de dollars. Selon les dernières informations disponibles, huit pays – les Bahamas, le Bangladesh, la Barbade, le Belize, le Bénin, le Tchad, la Jamaïque et le Kenya – ont officiellement notifié leur intention de contribuer en personnel à la mission MSS, tandis que d’autres pays ont exprimé leur intérêt sans notification officielle. Fin avril, le fonds d’affectation spéciale de l’ONU pour la mission avait reçu 18 millions de dollars de contributions du Canada, de la France et des États-Unis, principal bailleur de fonds de la mission avec une promesse de 300 millions de dollars de soutien financier, logistique et matériel. Cependant, la majeure partie de ces fonds était bloquée au Congrès américain ; le 19 juin, des médias ont rapporté que l’administration du président Joe Biden allait contourner le blocage et libérer 109 millions de dollars pour la mission.
Malgré un léger recul de la violence des gangs par rapport au début de l’année, la situation sécuritaire en Haïti reste critique. Selon le dernier rapport du Secrétaire général sur le BINUH, circulé aux membres du Conseil le 26 juin, la mission a enregistré 3 252 homicides entre janvier et mai, contre 2 453 au cours de la période précédente (août-décembre 2023), principalement perpétrés par des membres de gangs opérant à Port-au-Prince et dans le département de l’Artibonite. Le rapport note également que 20 policiers ont été tués depuis le début de l’année. Le 14 juin, le bureau de Conille a annoncé le licenciement du chef de la Police nationale d’Haïti, Frantz Elbé, critiqué par les syndicats de police pour une réponse jugée insuffisante à la violence des gangs. Il sera remplacé par Normil Rameau, ancien chef de la police de 2019 à 2020.
La crise sécuritaire a des conséquences humanitaires sévères. De mars à juin, le nombre de personnes déplacées en Haïti a augmenté de 60 %, passant de 362 000 à plus de 578 000, selon l’Organisation internationale pour les migrations. Dans leur dernier rapport couvrant la période de juin à octobre, le Programme alimentaire mondial et l’Organisation des Nations-Unies pour l’alimentation et l’agriculture ont désigné Haïti comme un “point chaud de famine de la plus haute préoccupation”, avec environ 1,6 million de personnes en situation d’insécurité alimentaire aiguë en raison de la violence des gangs, des déplacements, des restrictions d’accès humanitaire et des conditions météorologiques extrêmes. En outre, le rapport annuel du Secrétaire général sur les enfants et les conflits armés a enregistré 383 violations graves contre 307 enfants en Haïti en 2023.
Les femmes et les filles sont particulièrement vulnérables. Le rapport annuel du Secrétaire général sur la violence sexuelle liée aux conflits, distribué le 4 avril, indique qu’en 2023, les gangs armés en Haïti ont continué à consolider leur contrôle territorial “par l’utilisation délibérée de meurtres, d’enlèvements et de violences sexuelles, facilitée par un accès facile aux armes et munitions militaires de contrebande”. Les modèles de violence des gangs, y compris les viols en réunion, se sont étendus de Port-au-Prince à d’autres départements. Le Secrétaire général a appelé la communauté internationale à renforcer son soutien aux réponses humanitaires et de développement en Haïti, en mettant l’accent sur les besoins de protection, notamment des femmes et des filles déplacées par la violence des gangs, tout en s’attaquant aux causes profondes de l’instabilité.
Le Conseil de Sécurité, uni dans son inquiétude face à la crise multidimensionnelle en Haïti, devra également examiner les recommandations d’ajustement au mandat de la mission MSS et envisager de renforcer le mandat consultatif et de renforcement des capacités du BINUH pour aider les services de police, de justice et de correction haïtiens à se préparer à l’impact de la mission MSS.