Le Conseil de Sécurité de l’ONU se penche cette semaine sur le renouvellement du régime de sanctions pour Haïti…

Salle de reunion du Conseil de Securite de l'ONU...

NEW-YORK, lundi 14 octobre 2024 – Cette semaine, le Conseil de sécurité des Nations Unies doit renouveler le régime de sanctions pour Haïti, établi par la résolution 2653 du 21 octobre 2022. Le mandat actuel de ces sanctions expire le 19 octobre. En parallèle, le Conseil tiendra son briefing de 90 jours sur la situation en Haïti. María Isabel Salvador, Représentante spéciale et Cheffe du Bureau intégré des Nations Unies en Haïti (BINUH), présentera au Conseil les derniers développements politiques, sécuritaires et humanitaires du pays, en plus du dernier rapport du Secrétaire général concernant la BINUH. Un représentant du Kenya, pays à la tête de la mission de soutien à la sécurité multinationale (MSS) autorisée par la résolution 2699 du 2 octobre 2023, pourrait également faire le point sur le déploiement de cette mission, chargée d’aider Haïti à lutter contre l’activité des gangs. Cette autorisation a été récemment prolongée pour un an par la résolution 2751 du 30 septembre.

Après l’assassinat du Président Jovenel Moïse en juillet 2021, Haïti a sombré dans une crise multidimensionnelle, marquée par une impasse politique, une violence extrême et des conditions humanitaires désastreuses. Les gangs criminels dominent environ 80 % de Port-au-Prince, utilisant des tactiques brutales telles que l’enlèvement, la violence sexuelle et le meurtre pour assujettir la population civile. Cette instabilité a engendré un déplacement massif et une insécurité alimentaire aiguë, exacerbant une crise de gouvernance qui a empêché la tenue d’élections dans le pays depuis 2016.

Une nouvelle recrudescence de la violence des gangs, débutant en février, a poussé la Communauté caribéenne (CARICOM) à faciliter un accord entre les acteurs haïtiens en vue d’une transition politique destinée à stabiliser la situation sécuritaire et à restaurer la gouvernance démocratique. Cet accord a donné naissance à un Conseil présidentiel de transition (CPT), officiellement installé en avril. Ce dernier est composé de sept membres votants représentant divers partis politiques et le secteur privé, ainsi que deux observateurs non votants issus de la société civile et de la communauté religieuse. Le CPT a pour mission de sélectionner un nouveau Premier ministre intérimaire, d’établir un conseil électoral provisoire et un conseil de sécurité nationale, tout en collaborant avec la communauté internationale pour accélérer le déploiement de la mission MSS. Selon un accord politique signé par les membres du CPT, la période de transition devrait culminer avec la tenue d’élections présidentielles d’ici février 2026.

“Le CPT a accompli certains progrès, notamment la nomination de Garry Conille, ancien fonctionnaire de l’ONU, en tant que Premier ministre intérimaire et la formation d’un cabinet de transition, en plus de la réception des premiers contingents de la MSS en provenance du Kenya en juin et juillet. Cependant, d’autres aspects de son travail, comme la formation d’un conseil électoral provisoire, ont stagné, en partie en raison de désaccords internes parmi les secteurs de la société civile devant siéger dans cet organe. De plus, le CPT a été entaché de controverses, trois de ses membres votants étant impliqués dans un scandale de corruption très médiatisé, ce qui complique son travail et remet en question sa légitimité perçue.”

Parallèlement, la situation sécuritaire et humanitaire en Haïti demeure catastrophique. Selon les chiffres trimestriels les plus récents de la BINUH, la mission a enregistré 1 379 victimes de meurtres et de blessures liés aux gangs entre le 1er avril et le 30 juin, représentant une diminution de 45 % par rapport au trimestre précédent, bien que ce chiffre reste élevé selon les normes historiques. La violence a également des conséquences humanitaires graves : l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) a constaté que le nombre de personnes déplacées internes a augmenté de 22 %, passant de 578 000 à plus de 700 000 entre juin et septembre (après une augmentation de près de 60 % entre mars et juin). Le Programme alimentaire mondial (PAM) et l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) ont désigné Haïti comme un “point chaud de famine de la plus haute préoccupation” dans leur dernier rapport prévisionnel couvrant la période de juin à octobre. Lors d’une conférence de presse le 18 septembre, le Secrétaire général António Guterres a qualifié Haïti d’“une des situations humanitaires les plus désastreuses du monde”.

Le 30 septembre, le Conseil de sécurité a adopté à l’unanimité la résolution 2751, renouvelant pour un an l’autorisation de la mission MSS sous la direction du Kenya. Cette mission a pour mandat de fournir un soutien opérationnel à la Police nationale haïtienne (PNH) pour lutter contre les gangs, dans le but de créer des conditions sécuritaires propices à la tenue d’élections libres et équitables. Bien que la mission ait permis à la PNH de réaliser certains succès, notamment en reprenant des infrastructures critiques à Port-au-Prince qui étaient précédemment sous le contrôle des gangs, elle demeure sous-dotée et fait face à des lacunes de financement et d’équipement limitant sa capacité à étendre sa présence et à prendre le contrôle d’autres territoires.

La résolution 2653 a imposé un régime de sanctions à Haïti, incluant des mesures de gel des avoirs ciblés, d’interdiction de voyager et d’embargo sur les armes. La résolution 2699 a élargi cet embargo en le transformant d’un régime ciblé s’appliquant à des individus désignés à un embargo territorial couvrant l’ensemble du pays. La résolution 2700 du 19 octobre 2023 a renouvelé l’ensemble du régime de sanctions pour un an. Les critères de désignation de ce régime incluent l’engagement dans ou le soutien à des activités criminelles et à la violence impliquant des groupes armés et des réseaux criminels ; le soutien au trafic illicite et à la diversion d’armes et de matériel connexe ; l’obstruction à la livraison d’une aide humanitaire à Haïti ; et les attaques contre le personnel ou les locaux des missions et opérations de l’ONU ou le soutien à de telles attaques. Le 27 septembre, le Comité des sanctions 2653 du Conseil de sécurité a approuvé la désignation de deux individus supplémentaires : Elan Luckson, leader du gang “Gran Grif”, et Victor Prophane, ancien membre du parlement haïtien, prétendument impliqué dans le trafic d’armes. Il est à noter que le gang “Gran Grif”, dirigé par Luckson Elan, a récemment perpétré un massacre à Pont-Sondé, dans l’Artibonite, faisant plus d’une centaine de morts, des dizaines de blessés et des milliers de déplacés, ce qui souligne la gravité de la violence qui sévit dans le pays. Bien que le comité des sanctions ait précédemment inscrit cinq autres chefs de gangs sous le régime, Prophane est le premier individu désigné issu de la classe politique haïtienne.

Le comité des sanctions s’est récemment réuni le 11 septembre pour discuter du rapport final de son groupe d’experts. Bien que le rapport n’ait pas encore été rendu public au moment de la rédaction, il semblerait qu’il ait évalué que l’embargo sur les armes reste largement inefficace pour prévenir l’entrée d’armes illicites en Haïti. Le Bureau des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC) a précédemment publié des rapports en octobre 2023 et janvier 2024, soumis au Conseil de sécurité conformément à la résolution 2692, décrivant les principales routes de contrebande pour le trafic d’armes vers Haïti, ainsi que les dynamiques régionales du commerce illicite et les caractéristiques internes du commerce des armes en Haïti.

Le 20 septembre, l’Expert désigné par l’ONU sur les droits de l’homme en Haïti, William O’Neill, a terminé une visite de 12 jours dans le pays. Lors d’une conférence de presse concluant son voyage, il a déclaré que “tous les indicateurs restent extrêmement préoccupants”, soulignant la situation sécuritaire comme étant la plus alarmante. O’Neill a rapporté que la violence sexuelle, utilisée par les gangs comme arme de contrôle de la population, a “drastiquement” augmenté ces derniers mois, tout comme le recrutement forcé d’enfants pour mener des attaques contre des institutions publiques et la police. De plus, il a noté que seulement 28 % des services de santé du pays fonctionnent normalement, que les prisons sont sévèrement surpeuplées et que près de cinq millions de personnes souffrent d’insécurité alimentaire aiguë. Concernant les sanctions de l’ONU, O’Neill a souligné que “malgré un embargo international, des armes et des munitions continuent d’être introduites dans le pays, permettant aux gangs de mener des attaques à grande échelle et d’étendre leur contrôle et leur influence sur de nouveaux territoires”.