PORT-AU-PRINCE, mercredi 6 décembre 2023– Alors que la situation sécuritaire en Haïti se détériore, le Kenya s’est proposé de diriger une nouvelle mission de l’ONU dans le pays à partir de 2024. Début octobre, le Conseil de sécurité de l’ONU a autorisé une mission de soutien à la sécurité multinationale dirigée par le Kenya pour faire face aux gangs de style paramilitaire qui contrôlent la capitale Port-au-Prince et d’autres parties du pays des Caraïbes. Jennifer Greenburg, spécialiste de la recherche sur les effets des interventions de maintien de la paix en Haïti, répond à certaines de nos questions :
Quel est le contexte en Haïti ?
La mission de soutien à la sécurité multinationale est une nouvelle forme d’intervention internationale autorisée en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies. Cependant, elle n’est pas formellement une mission de maintien de la paix, qui serait composée de forces de maintien de la paix et (théoriquement) réglementée selon les normes de conduite de l’ONU.
La réticence à appeler cette intervention une mission de maintien de la paix est le résultat de l’histoire récente. La dernière grande mission de maintien de la paix de l’ONU en Haïti, connue sous son acronyme français Minustah et qui s’est déroulée de 2004 à 2017, était responsable de la mort de civils. Des soldats de la paix ont tiré des mitrailleuses depuis des hélicoptères au nom de la lutte contre les gangs en 2005.
De plus, après le séisme dévastateur de 2010 en Haïti, des pratiques sanitaires défectueuses dans une base de soldats de la paix de l’ONU ont introduit une souche de choléra dans le pays, tuant au moins 10 000 personnes.
Les soldats de la paix ont également violé et abusé sexuellement des Haïtiens. Il n’est pas surprenant que personne ne veuille voir à nouveau des casques bleus arriver en Haïti. La nouvelle mission sera dirigée par le Kenya, avec la participation de troupes d’autres pays des Caraïbes, tels que la Jamaïque, les Bahamas, Antigua-et-Barbuda. Les États-Unis ont promis 100 millions de dollars.
Plus de 2 700 personnes en Haïti ont été signalées assassinées et 1 472 enlevées au cours des huit mois jusqu’en juin 2023, selon l’ONU. Les chiffres sont probablement plus élevés. Ils n’incluent pas les décès indirects causés par un accès insuffisant aux soins de santé et à la nutrition, aggravés par l’insécurité.
Que devra affronter la police kényane en Haïti ?
La question de savoir s’ils y iront n’est toujours pas décidée. Le Parlement a approuvé la mission, mais une audience sur sa constitutionnalité est prévue pour le 26 janvier 2024.
Si le Kenya déploie des forces en Haïti, ses policiers devront affronter un réseau complexe de plus de 200 gangs criminels de style paramilitaire. Ils contrôlent des territoires à travers la capitale Port-au-Prince et de nombreuses autres régions du pays.
L’insécurité et la pauvreté en Haïti trouvent leurs racines dans la punition infligée pour avoir conquis la liberté de l’esclavage racial en 1804. La France a forcé Haïti à rembourser les propriétaires d’esclaves français.
Cela a déclenché un cycle d’endettement et a fait d’Haïti, selon les mots du poète haïtien Jean-Claude Martineau, le seul pays avec un nom de famille : “le pays le plus pauvre de l’hémisphère occidental”.
La sécurité était déjà en crise avant l’assassinat en 2021 du président de facto Jovenel Moïse. Aujourd’hui, les gangs contrôlent environ les deux tiers du pays, qui compte une population de 11,6 millions d’habitants.
Quels sont les problèmes concernant la police kényane ?
La mission de soutien à la sécurité en Haïti sera principalement composée de policiers kényans, que les civils kényans ont décrits comme les traitant “comme des distributeurs automatiques”. Les exécutions extrajudiciaires, l’extorsion et les abus sont des pratiques bien documentées de la force de police chargée de rétablir un maintien de l’ordre légitime en Haïti.
Qu’y a-t-il pour le Kenya ?
Le Kenya bénéficiera économiquement de la direction de la mission. En septembre, les États-Unis et le Kenya ont signé un accord de défense donnant au Kenya des ressources et un soutien pour lutter contre Al-Shabaab.
Le ministère de la Défense du Kenya a également déclaré publiquement que les missions de l’ONU offrent une rare opportunité d’obtenir des allocations de l’ONU qui ne sont généralement pas proposées par les Forces de défense kényanes (KDF).
Les missions de maintien de la paix ont également été une opportunité d’acquérir une crédibilité internationale, comme le montre ma recherche en Haïti.
Si ce n’est pas par la police, quelle est la meilleure approche pour résoudre la crise en Haïti ?
Le changement en Haïti ne viendra pas par une autre intervention de l’ONU ou externalisée des États-Unis.
Après l’approbation de la mission en Haïti par l’ONU, le président kényan William Ruto a déclaré que les Haïtiens étaient punis pour “choisir d’être des êtres humains libres”. Il faisait référence à l’indépendance du pays en 1804.
En 2013, la Grande-Bretagne a accepté d’indemniser 5 228 Kényans torturés lors de l’insurrection ‘‘Mau Mau’’ contre le régime colonial dans les années 1950. Bien que l’argent restaure à peine la dignité et les moyens de subsistance perdus à travers le colonialisme, la décision de régler et d’attribuer environ 4 000 dollars à chaque demandeur est historique.
Un véritable changement pour Haïti commencerait par des réparations. Si les organismes internationaux voulaient seulement écouter, les groupes haïtiens représentant de larges pans de la société civile ont exprimé clairement ce qu’ils veulent et leur opposition à une intervention dirigée par le Kenya. L’argent dû et le respect mérité seraient une première étape plus productive que de recycler les pages du livre de jeu de la communauté internationale. Il suffit de regarder Haïti aujourd’hui pour voir quelle violence ce livre de jeu a engendrée.
Texte mis à jour le mercredi 6 decembre 2023 à 3 :05 pm