PETITE-RIVIERE DE L’ARTIBONITE, mercredi 30 novembre 2023– La région du Bas-Artibonite en Haïti est plongée dans une crise humanitaire sans précédent, comme en témoigne le récent rapport alarmant mettant en lumière les souffrances et les violences endurées par la population locale.
Selon le rapport, entre janvier 2022 et octobre 2023, plus de 1 690 personnes ont été victimes de meurtres, enlèvements, viols, attaques contre des biens agricoles et des véhicules de transport public. Ces atrocités, devenues monnaie courante, ont considérablement augmenté depuis juillet 2022, touchant directement la vie quotidienne des habitants.
La violence s’étend au-delà de la capitale, Port-au-Prince, avec au moins 20 groupes criminels actifs dans la région, y compris des gangs et des groupes d’auto-défense.
‘‘Ces entités extrêmement violentes n’hésitent pas à attaquer des villages rivaux, exécutant des membres de la population locale et brûlant des otages pour contraindre leurs familles à payer des rançons. Les femmes, voire les jeunes enfants, sont spécifiquement ciblés par des actes de violence sexuelle’’, souligne le document du BINUH.
Le rapport indique que les agriculteurs et leurs propriétés sont également la cible de ces groupes criminels, entraînant plus de 22 000 personnes à fuir leurs villages, cherchant refuge dans les centres urbains de la région. Ces déplacements massifs ont déjà engendré une réduction des terres cultivées et plongé de nombreux agriculteurs et commerçants dans l’endettement, incapables de rembourser leurs prêts.
En septembre 2023, plus de 45 % de la population locale se trouvait dans une situation d’insécurité alimentaire aiguë.
Les plus grands et les plus violents groupes criminels bénéficient du soutien de gangs appartenant à la coalition G-Pèp, en particulier le Village de Dieu. Cette alliance a réussi à isoler la route nationale n°1 et les principales villes riveraines sur une distance de plus de 80 kilomètres au nord de la zone métropolitaine, tout en contrôlant les points de passage vers et depuis les régions du nord, favorisant ainsi la circulation illicite d’armes et de drogues.
‘‘Le récent rapport du panel d’experts des Nations unies, ainsi que les sanctions financières imposées par plusieurs pays contre 39 personnalités haïtiennes, dont trois hommes politiquement actifs en Artibonite, soulignent la possible protection accordée à ces groupes criminels.’’
« Face à cette montée de la violence et aux abus croissants des droits de l’homme, la réponse des autorités policières et judiciaires a été jugée inadéquate et incohérente. Les opérations de police menées à la fin de 2022 et en octobre 2023 dans certaines communes de Bas-Artibonite ont échoué à contenir les groupes criminels à moyen et long terme », selon ce que rapporte le BINUH.
Le rapport note que des agents de la Police nationale haïtienne (PNH) dans l’Artibonite citent un manque de ressources opérationnelles, se sentant incapables d’empêcher l’expansion de ces gangs. Certains se tournent même vers des groupes d’auto-défense, aggravant ainsi la violence dans les zones sous l’influence de ces gangs.
Le secteur de la justice n’a pas non plus obtenu de résultats satisfaisants, avec des enquêtes ouvertes et des arrestations, mais sans jugements significatifs ou affaiblissement des capacités des gangs. Symptomatiquement, l’un des chefs de gang les plus connus, Kokorat San Ras, a été libéré illégalement en mars 2023 par l’ancien commissaire du gouvernement de Gonaïves, demeurant en fuite depuis.
Outre les difficultés structurelles, souligne le document, les responsables de la police et de la justice sont également devenus des cibles des gangs, adoptant une posture attentiste. Les attaques contre les postes de police, les agents et les tribunaux ont augmenté en 2022 et 2023, entraînant la mort d’au moins huit policiers, dont ceux de Liancourt en janvier 2023.
Les acteurs humanitaires et les prestataires de services sont également confrontés à d’énormes défis pour répondre aux besoins des populations touchées par la violence.
En raison de problèmes d’accès et de sécurité, les agences humanitaires ne peuvent fournir qu’une assistance extrêmement minimale à Bas-Artibonite. Les associations communautaires et rurales, malgré leur manque de ressources, tentent de défendre les droits des femmes victimes de violence sexuelle et facilitent leur orientation vers les prestataires de services, déplore le BINUH.
Selon le rapport du BINUH, ‘‘des groupes criminels dans l’Artibonite bénéficient du soutien d’acteurs politiques et économiques extrêmement influents. Ces derniers utilisent ces gangs pour créer de l’instabilité, satisfaire leurs ambitions politiques, contrôler des secteurs de l’économie et faciliter le trafic illicite en contrôlant les routes principales.’’
D’après le BINUH, le rapport du Panel d’experts de l’ONU, créé par la résolution 2653 (2022) du Conseil de sécurité, révèle des liens spécifiques entre certains politiciens et/ou acteurs financiers haïtiens et les gangs, notamment le financement et l’armement de gangs par des personnalités telles que Prophane Victor et Youri Latortue.
Le document souligne également que ‘‘ces politiciens ont également été sanctionnés financièrement par des pays comme les États-Unis et le Canada.’’
La situation dans l’Artibonite est marquée par un climat de peur, avec des crimes tels que meurtres, violences sexuelles, vols et destructions de biens commis quotidiennement. Les données recueillies indiquent une détérioration importante des droits de l’homme depuis le début de 2022, avec au moins 1 694 personnes tuées, blessées ou enlevées dans le département d’Artibonite entre janvier 2022 et octobre 2023, poursuit le rapport.
Le BINUH indique que les attaques des gangs se produisent principalement dans les villages rivaux et sur les routes, avec des conséquences dramatiques.
Le rapport précise que les enlèvements sont devenus une méthode privilégiée pour certains gangs, avec plus de 1 118 personnes enlevées entre janvier 2022 et octobre 2023.
‘‘Les victimes, souvent retenues pendant des semaines, subissent des violences physiques et psychologiques, et les familles sont contraintes de payer des rançons. Les conséquences psychosociales et financières sont désastreuses, avec des victimes souffrant de traumatismes profonds et des familles plongeant dans la dette’’, indique le rapport.
Les groupes criminels utilisent également la violence sexuelle, y compris le viol, comme une arme pour répandre la peur. Les attaques contre les villages et les véhicules de transport en public impliquent des actes de violence sexuelle, généralement sous-signalés en raison de la peur des représailles et de la stigmatisation sociale.
Les attaques contre les biens agricoles et les infrastructures judiciaires et policières contribuent à la crise humanitaire en Artibonite. Les agriculteurs sont contraints de quitter leurs terres, les déplacements forcés augmentent, et la sécurité alimentaire est gravement menacée. Les attaques contre les institutions judiciaires et policières affaiblissent davantage l’appareil d’État.
En réponse à cette violence, des lynchages et des meurtres perpétrés par des membres du public ont augmenté dans la région d’Artibonite, alimentés par une police et un système judiciaire dysfonctionnels ainsi que par l’impunité dont bénéficient les groupes criminels.