Lancement de la CUTRASEPH : “Une nouvelle centrale syndicale pour défendre les travailleurs haïtiens et lutter pour une Haïti souveraine”…

Des dirigeants de la CUTRASEPH ...

PORT-AU-PRINCE, mercredi 29 janvier 2025La Centrale Unitaire des Travailleurs (euses) des Secteurs Public et Privé d’Haïti (CUTRASEPH) a été officiellement lancée à Delmas, le 24 janvier 2025, à l’occasion de la Journée Internationale de l’Éducation. Dans un contexte de crise profonde marquée par une insécurité galopante, une précarité généralisée et une instabilité politique chronique, cette initiative apparaît comme une lueur d’espoir pour les travailleurs et travailleuses haïtiens. Elle se donne pour mission d’unifier et de renforcer le mouvement syndical en Haïti, tout en participant activement à la lutte pour une transformation réelle du pays sur les plans politique, économique, social et culturel.

Josué Mérilien, dirigeant de l’Union Nationale des Normaliens d’Haïti (UNNOH) et Secrétaire Général de la nouvelle centrale syndicale, a affirmé que la CUTRASEPH est conçue comme un « outil de lutte privilégié des travailleurs et du peuple haïtien ». Il a insisté sur l’importance d’une organisation syndicale forte, capable d’accompagner les travailleurs de tous les secteurs dans leurs revendications légitimes et de lutter pour des conditions de vie et de travail dignes. « Nous devons nous organiser pour défendre nos droits et mettre fin à l’exploitation qui condamne nos travailleurs à la misère », a-t-il déclaré.

Cette nouvelle centrale syndicale regroupe plusieurs organisations professionnelles issues de divers secteurs, notamment l’éducation, la justice, les transports, la formation professionnelle et l’administration publique. Parmi elles figurent l’UNNOH, le Syndicat National des Huissiers de la République d’Haïti (SNHRH), l’Association Nationale Syndicale des Transporteurs Visionnaires d’Haïti (ANSTVH), l’Association Nationale des Greffiers Haïtiens (ANAGH), le Collectif des Enseignants pour la Nouveauté de l’Éducation en Haïti (CENEH), le Syndicat des Employés du Système National de la Formation Professionnelle (SESNF/INFP), l’Association des Motocyclistes pour le Bien-être de la Communauté (AMOBIC), le Syndicat des Consommateurs Haïtiens (SYNCOH), le Syndicat des Employés du Bureau de Monétisation des Programmes d’Aide au Développement (SE-BMPAD), le Syndicat pour la Défense des Employés de l’OAVCT (SDE-OAVCT) et le Syndicat du Personnel du Ministère de l’Éducation Nationale (SPMENFP). Cette diversité témoigne d’une volonté claire de structurer un front syndical unifié pour mieux défendre les travailleurs et participer activement à la refondation du pays.

L’événement de lancement a été marqué par un débat animé autour du thème : « Haïti, crise éducative et crise sécuritaire : quelle solution ? ». Plusieurs personnalités issues du monde académique et syndical ont pris la parole pour exposer les enjeux et proposer des pistes de réflexion. Jean Marie Léveillé, syndicaliste de longue date, a souligné l’importance de cette initiative et le rôle essentiel que la CUTRASEPH est appelée à jouer dans la lutte pour l’amélioration des conditions de vie et de travail des travailleurs haïtiens. « Cette centrale n’est pas seulement un outil de revendication salariale. Elle doit s’inscrire dans une perspective plus large de transformation sociale et politique en Haïti », a-t-il affirmé. Il a également rappelé l’histoire de résistance du peuple haïtien et sa contribution à la lutte mondiale contre l’oppression, tout en dénonçant le rôle néfaste des puissances impérialistes, en particulier les États-Unis et leurs alliés locaux, dans la situation chaotique actuelle du pays.

Camille Chalmers, économiste et représentant de la Plateforme Haïtienne de Plaidoyer pour un Développement Alternatif (PAPDA), a mis en garde contre les dangers d’une éducation coloniale qui aliène la jeunesse haïtienne et perpétue les inégalités sociales. Il a salué la création de la CUTRASEPH et encouragé ses membres à s’engager activement dans la lutte contre ce système éducatif qui, selon lui, « empêche les Haïtiens d’être eux-mêmes et de s’approprier leur histoire et leur culture ». Pour Chalmers, l’éducation haïtienne doit être repensée afin de reconnecter les Haïtiens avec leur identité et de favoriser l’émergence d’une société plus juste et plus équitable. « Il faut sortir de cette logique où l’école est un instrument de domination au service des élites locales et des puissances étrangères », a-t-il déclaré.

Marc Exavier, professeur et écrivain, auteur de la série de livres pour enfants Nayou, a également insisté sur la nécessité de repenser l’éducation haïtienne. Il a dénoncé le mépris dont souffre encore la langue créole dans le système éducatif, alors qu’elle est la langue maternelle de la grande majorité des Haïtiens. Il a plaidé pour une école qui valorise la culture haïtienne et qui mette à la disposition des enfants des ouvrages adaptés à leur réalité. « Une éducation déconnectée de notre culture est une éducation qui nous appauvrit et nous aliène », a-t-il martelé.

Sur le plan de la sécurité, le criminologue Eddy Fleurant a dressé un tableau sombre de la situation et dénoncé l’impunité dont bénéficient les criminels en Haïti. Il a rejeté l’appellation de « gangs armés » pour désigner les groupes qui terrorisent la population et a affirmé qu’il s’agit plutôt de « terroristes en mission commandée, protégés par leurs patrons ». Il a pointé du doigt les responsabilités des autorités et appelé à une stratégie de lutte plus cohérente et efficace contre l’insécurité. « On ne peut pas éradiquer un problème si on refuse de le nommer correctement », a-t-il souligné.

Josué Mérilien, qui assurait la modération du débat, a profité de l’occasion pour dénoncer les conditions précaires des enseignants haïtiens et exiger une revalorisation salariale immédiate. Il a condamné le mépris dont sont victimes les enseignants du premier et du second cycle de l’enseignement fondamental et a réaffirmé son soutien aux mouvements de grève en cours dans le secteur éducatif. « Il est inconcevable que ceux qui forment l’avenir du pays soient traités avec autant de mépris et d’indifférence », a-t-il lancé.

Les débats se sont poursuivis tard dans la journée, témoignant de l’intérêt et de l’engagement des participants pour les enjeux abordés. Les interventions des différents panélistes ont été largement relayées sur les réseaux sociaux et devraient faire l’objet d’une publication intégrale dans les jours à venir.

En lançant officiellement la CUTRASEPH, ses membres affichent leur ambition de structurer un mouvement syndical fort, capable de peser sur les décisions politiques et économiques du pays. Loin d’être une simple addition d’organisations syndicales, cette centrale se veut un acteur incontournable du combat pour la justice sociale et la souveraineté nationale. Comme l’a souligné Camille Chalmers, « la CUTRASEPH est appelée à produire des réflexions essentielles pour reconnecter les Haïtiens avec eux-mêmes et déconstruire la vision coloniale qui nous étouffe depuis trop longtemps ». Il reste à voir si cette nouvelle organisation parviendra à relever le défi et à inscrire son action dans la durée.