PORT-AU-PRINCE, samedi 2 novembre 2024– L’accréditation de l’Office du Protecteur du Citoyen (OPC) en Haïti a été suspendue jusqu’à la première session de 2026 par le Sous-Comité d’Accréditation (SCA) de la Global Alliance of National Human Rights Institutions (GANHRI). Cette décision intervient dans un contexte où l’OPC fait face à des défis institutionnels, opérationnels et financiers qui compromettent son mandat de défense et de promotion des droits humains en Haïti. Le SCA, en charge de l’évaluation des institutions nationales des droits de l’homme, a conclu que l’OPC ne satisfait plus pleinement aux Principes de Paris, les normes internationales définissant l’indépendance, la transparence et l’efficacité des institutions de droits humains.
Ce report d’accréditation jusqu’en 2026 résulte d’un examen approfondi du fonctionnement de l’OPC, qui a révélé des lacunes graves dans plusieurs domaines clés. Le SCA s’est notamment penché sur les capacités de l’OPC à préserver son indépendance, à opérer de manière transparente et à maintenir des relations solides avec la société civile. Les défis structurels et conjoncturels auxquels l’OPC est confronté, associés à l’instabilité politique en Haïti, ont ainsi conduit le SCA à mettre en pause l’accréditation de cette institution jusqu’à ce qu’elle mette en œuvre des réformes substantielles. Cette décision place l’OPC dans une situation délicate, où elle devra démontrer des progrès significatifs pour restaurer la confiance de la communauté internationale d’ici 2026.
L’un des points de préoccupation soulevés par le SCA concerne la sécurité du mandat du Protecteur du Citoyen et de ses adjoints. Le mandat actuel du Protecteur du Citoyen, qui arrivera à terme en octobre 2024, pose des défis considérables en raison de l’absence de Parlement en Haïti, responsable de l’initiation du processus de nomination de son successeur. Cette situation suscite des incertitudes sur la continuité du leadership de l’OPC, un élément jugé essentiel par le SCA pour assurer la stabilité et l’indépendance de l’institution. Le SCA recommande que la loi habilitante de l’OPC soit amendée pour renforcer la protection des mandats de ses dirigeants, en particulier en ce qui concerne les conditions de nomination et de révocation du Protecteur et de ses adjoints. Cette sécurité de mandat est considérée comme une condition sine qua non pour garantir l’indépendance de l’institution vis-à-vis des pressions politiques et assurer son efficacité à long terme.
Un autre aspect critique mis en lumière par le SCA est le processus de traitement des plaintes des citoyens par l’OPC. Dans son rapport, le SCA exprime des réserves sur la manière dont l’OPC reçoit, enregistre et enquête sur les plaintes, et souligne que des améliorations substantielles sont nécessaires pour assurer un traitement équitable et efficace des dossiers de violation des droits humains. Le SCA insiste pour que l’OPC mette en place des mécanismes de suivi plus rigoureux, afin de garantir la transparence dans le traitement des plaintes et de renforcer la confiance des citoyens dans l’institution.
La publication et la diffusion des rapports annuels de l’OPC, qui font état de la situation des droits humains dans le pays, sont également des sujets de préoccupation pour le SCA. Selon la loi, l’OPC est tenu de soumettre un rapport annuel au Président de la République et au Parlement, mais en raison de la situation politique actuelle et de l’absence de Parlement, les rapports de 2022 et 2023 n’ont pas été dûment pris en compte par les autorités. Le SCA recommande à l’OPC de développer des moyens alternatifs pour assurer la diffusion de ses rapports, de sorte que les conclusions et recommandations puissent atteindre un public large, y compris les organisations internationales et la société civile. La visibilité de ces rapports est cruciale pour sensibiliser sur les violations des droits humains en Haïti et mobiliser l’opinion publique.
La coopération de l’OPC avec les organisations de la société civile a également été jugée insuffisante par le SCA, qui insiste sur l’importance de renforcer les relations avec ces acteurs pour accroître la crédibilité et l’efficacité de l’institution. En vertu de l’article 13 de sa loi habilitante, l’OPC dispose d’une capacité de nommer un représentant de la société civile au sein d’instances stratégiques comme le Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire. Toutefois, le SCA a noté des plaintes de groupes de la société civile concernant le manque de transparence dans ces nominations. Le SCA recommande ainsi que l’OPC adopte des procédures transparentes, impliquant une consultation plus étroite avec les acteurs de la société civile, pour garantir que leurs voix soient prises en compte dans les décisions et nominations importantes.
Le financement insuffisant de l’OPC représente une entrave majeure à son efficacité, comme le souligne également le rapport du SCA. En 2023, le budget de l’OPC a été réduit de 26 millions de gourdes, limitant sa capacité à remplir son mandat et à mener des interventions essentielles. Le SCA exhorte l’OPC à trouver des moyens d’obtenir un financement adéquat, y compris par la recherche de partenariats avec des organismes internationaux ou des donateurs, afin d’assurer son autonomie financière. Le SCA estime qu’une institution nationale des droits de l’homme ne peut être efficace que si elle dispose des ressources financières nécessaires pour opérer de manière indépendante et sans dépendre des allocations budgétaires fluctuantes de l’État.
Les préoccupations du SCA s’étendent également aux critères de nomination des cadres de l’OPC, notamment du Protecteur du Citoyen et de ses adjoints. Actuellement, la loi ne définit pas des critères suffisamment clairs pour ces nominations, ce qui ouvre la porte à des risques d’influence politique. Le SCA recommande que l’OPC adopte des procédures de sélection transparentes et objectives pour garantir la compétence et l’intégrité de ses responsables. Cette recommandation vise à prévenir les risques de favoritisme et d’influence politique, afin de maintenir la neutralité de l’institution.
En suspendant l’accréditation de l’OPC jusqu’à 2026, le SCA envoie un message fort pour l’indépendance des institutions de droits de l’homme. Cette suspension est un appel à l’OPC pour qu’il entame des réformes significatives en matière de gouvernance, de transparence, de traitement des plaintes et de coopération avec la société civile. Le SCA espère qu’au cours des trois prochaines années, l’OPC mettra en œuvre les changements nécessaires pour aligner son fonctionnement sur les normes internationales et retrouver la confiance de la communauté internationale et des citoyens haïtiens.
En réaction, Renan Hédouville, Protecteur du Citoyen haïtien, a répondu en affirmant que les informations circulant à propos de l’Office de la Protection du Citoyen (OPC) sont fausses. Il a précisé que, conformément à l’article 14.1 des Statuts de la GANHRI (Alliance Mondiale des Institutions Nationales des Droits de l’Homme), le secrétariat de cette institution internationale a simplement décidé de reporter l’examen de l’OPC à la première session de 2026. Ce report est dû aux défis posés par l’insécurité croissante et l’absence d’un Parlement en Haïti, qui rendent difficile le travail des institutions nationales de droits humains (INDH) dans le pays.
Renan Hédouville a souligné que cette décision s’inscrit dans un processus normal et régulier au sein du système de protection des droits de l’homme des Nations Unies, ajoutant que les reports sont courants dans le cadre de l’Examen Périodique Universel (EPU), notamment pour des pays comme Haïti, confrontés à des situations exceptionnelles et à des obstacles majeurs. Il a rappelé que l’OPC reste accrédité avec un statut A auprès du Conseil des droits de l’homme de l’ONU, un niveau d’accréditation qui lui confère la pleine indépendance pour intervenir dans les discussions onusiennes sur les droits humains.
Enfin, Hédouville a indiqué que l’OPC transmettra, en octobre 2025, des informations relatives aux efforts et aux mesures prises par l’État haïtien pour renforcer l’Office, en particulier sur le plan financier, afin de garantir la pérennité de ses actions et son indépendance. Le report de l’examen, a-t-il conclu, ne remet en rien en cause la crédibilité ni la légitimité de l’OPC au sein du système international de protection des droits de l’homme.