PORT-AU-PRINCE, jeudi décembre 2023- Le Bureau de Suivi de l’accord de Montana (BSA) souligne que le récent document émanant du Groupe des Personnalités Eminentes (GPE), intitulé “Projet de Cadre Transitionnel pour Haïti”, suscite des inquiétudes quant à sa conformité avec la mission initiale du GPE en tant que facilitateur des négociations entre les parties prenantes haïtiennes.
Dans une lecture critique du document, le BSA met en lumière plusieurs aspects jugés problématiques, soulignant des préoccupations majeures sur la transparence, l’objectivité, et l’efficacité de la proposition.
Déviation de la Mission du GPE :
‘‘Le document en question semble s’éloigner de la mission première du GPE en présentant une proposition fermée qui ne reflète que la position d’un acteur spécifique’’, écrit le BSA dans un communiqué dont RHINEWS a obtenu copie.
« En ignorant délibérément les positions divergentes des autres parties prenantes, le GPE compromet sa neutralité en tant que médiateur », ajoute le BSA.
Imposition du Premier Ministre de facto :
Selon le BSA, ‘‘la décision unilatérale d’imposer le renouvellement du mandat du Premier Ministre de facto pour 18 mois, en dépit de précédentes discussions sur sa démission, crée un point de blocage majeur. Cette démarche soulève des questions quant à la volonté réelle du GPE de faciliter une solution inclusive à la crise haïtienne’’, soutient le BSA.
Ignorance des Souffrances de la Population :
Le BSA estime que le document ignore délibérément les souffrances endurées par la population haïtienne, faisant abstraction des traumatismes subis par les familles, en particulier les femmes et les fillettes. Le silence sur la détresse générale de la population soulève des inquiétudes quant à la compréhension réelle des enjeux par le GPE.
Conseil de Transition Contournant la Constitution :
Le BSA souligne qu’en proposant un Conseil de Transition définissant lui-même ses attributions, le GPE semble contourner la Constitution haïtienne, élément clé pour une transition réussie. Cela risque de compromettre la légitimité du processus et d’entraver la mise en place d’institutions stables nécessaires aux élections futures.
Renforcement du Pouvoir du Premier Ministre de facto :
Selon le BSA, en amoindrissant les attributions présidentielles du Conseil de Transition, le GPE semble chercher à renforcer le pouvoir du Premier Ministre de facto, malgré les critiques et les douleurs subies par la population pendant son mandat.
Il estime qu’en vidant le Conseil de Transition de ses réelles attributions présidentielles et en réduisant à sa plus simple expression l’organe de contrôle de la transition, le GPE révèle sans ambiguïté son objectif de renforcer et d’essayer de légitimer les pouvoirs du Premier Ministre de facto et de ses alliés et de lui fournir ainsi un satisfecit pour ses 29 mois au pouvoir, au mépris des douleurs éprouvées par la population pendant cette période.
Le BSA souligne qu’alors que le GPE avait soumis un « Projet Révisé du Protocole des Discussions et des Négociations » dans lequel la démission du premier ministre de fait était formellement inscrite dans les débats au point 1- ii), de manière unilatérale, sans discussion pourtant sur son propre agenda, le GPE choisit d’imposer le premier ministre en place en renouvelant son mandat pour 18 mois.
« Le GPE, sans offrir d’autres options, renforce ainsi ce point de blocage que représente la présence du premier ministre de fait. En privant les parties prenantes haïtiennes de leur droit de débattre du rôle du premier ministre de fait dans la solution pour le déblocage de la crise, le GPE invite à douter de sa sincérité à faciliter une résolution de la crise haïtienne », déplore le BSA.
Décision Unilatérale pour la Constitution du Conseil de Transition :
D’après le BSA, la décision unilatérale de constituer un Conseil de Transition de 7 membres, sans consultation des parties prenantes, soulève des questions sur la représentativité et l’inclusivité du processus.
Le BSA indique que le GPE propose un Conseil de Transition auquel il ne fait qu’accoler le qualificatif présidentiel en définissant lui-même les attributions de ce Conseil, écartant ainsi ce qui doit être le guide de cette transition, à savoir la Constitution haïtienne de laquelle il convient de se rapprocher en vue d’instaurer un ordre institutionnel transitionnel, de rétablir les institutions de la République et de mettre fin au chaos dans l’appareil de l’Etat, conditions indispensables à la tenue d’élections non contestées
Partage de Gâteau Politique :
L’expression du consensus politique en pourcentages attribués au Premier Ministre de facto semble perpétuer un partage de gâteau caractéristique de la coalition au pouvoir depuis 2021. Cette approche risque de perpétuer la corruption et d’entraver le bon fonctionnement du gouvernement.
Réduction de la crise à une simple crise électorale :
La minimisation de la crise multidimensionnelle à une simple crise électorale néglige la nécessité de réformes transitionnelles et d’un système électoral révisé pour garantir des élections non contestées.
Selon le BSA, le document ignore la nécessité d’entreprendre des réformes transitionnelles pour créer les conditions d’une élection non contestée, encourageant la participation des électeurs et des électrices.
« Les quelques attributions dévolues au CEP, sans une révision du système électoral, sans prendre en compte la question des partis politiques, renseignent clairement sur la qualité des élections projetées et annoncent déjà une nouvelle ère d’instabilité et de renforcement de l’ingérence internationale », ajoute-t-il.
Exclusion des secteurs nationaux des décisions économiques :
En accordant au secteur privé l’exclusivité pour concevoir un plan économique, le GPE néglige l’importance de l’inclusion des différents secteurs nationaux dans les décisions économiques, risquant ainsi d’aggraver les problèmes existants.
Le BSA insiste sur la nécessité d’un changement de comportement, en particulier sur les questions douanières et fiscales, les pratiques de contrebande et de fausses facturations, les trafics illicites, les relations de plusieurs des membres de ce secteur avec les gangs ayant pourtant conduit aux sanctions internationales et enfin sans exprimer la reconnaissance de la nécessité d’un autre modèle économique et financier pour Haïti rompant avec ce système de reproduction de la pauvreté et de la misère de la majorité de la population.
« La question économique est une question nationale et non le privilège du seul secteur des affaires », déclare-t-il.
Manque de débat sur la Mission Internationale d’Appui :
L’appel à une adhésion totale à la mission internationale d’appui sans débat sur ses termes de référence et son mode d’opérationnalisation soulève des préoccupations quant à la transparence et à l’efficacité de cette mission.
Opacité sur la démarche méthodologique :
Le manque de clarté sur la démarche méthodologique et l’absence de débat sur les mécanismes proposés pour la mise en place consensuelle d’un autre Exécutif de Transition soulignent l’opacité entourant la genèse du document.
Le BSA estime donc que le “Projet de Cadre Transitionnel pour Haïti” du GPE soulève des préoccupations majeures qui remettent en question sa capacité à guider le pays vers une résolution de crise efficace et équitable.
‘‘Ce document se révèle inacceptable au regard de l’ampleur et de la complexité de la crise que subit le pays, déclare le BSA, ajoutant que la communauté internationale, dans l’une de ses composantes la plus proche d’Haïti en regard de l’histoire et de la géographie, a raté encore une fois l’occasion de faire montre de respect de la dignité du peuple haïtien, en se laissant aller à vouloir lui imposer les dirigeants et les solutions de son choix, selon son propre agenda inavoué et inavouable.’’
Le BSA appelle la communauté internationale est appelée à réévaluer son approche, à respecter la dignité du peuple haïtien et à œuvrer pour une solution respectueuse des besoins et aspirations de la population.
‘‘L’heure est à la mobilisation des forces progressistes, des citoyens et citoyennes, afin de faire échec à ce projet contestable et d’ouvrir la voie à un avenir plus digne pour Haïti’’, déclare le BSA.