La restitution de la nationalité aux Dominicains d’origine haïtienne ne s’est toujours pas matérialisée, 9 ans après l’adoption de la loi 169-14…

Ana Maria Belique, Dirigeante du Mouvement Reconocido et quelques manifestants...

SAINT-DOMINGUE, mardi 23 mai 2023- Des militants du Mouvement Reconocido et d’organisations alliées se sont rassemblés mardi devant le Congrès national (Parlement) pour interpeller les législateurs dominicains sur la situation de plusieurs centaines de milliers de Dominicains d’origine haïtienne frappés d’apatridie.

Arborant des affiches colorées, les manifestants ont exigé la fin de la situation d’apatridie et de discrimination raciste dans le pays qui touche des centaines de milliers de personnes.

À l’occasion du neuvième anniversaire de l’adoption de la loi 169-14, une lettre adressée au président de la Chambre des députés, Alfredo Pacheco, et au président du Sénat, Eduardo Estrella, a été remise, avec copie au président de la Commission permanente des droits de l’homme de la Chambre des députés, Juan Dionicio Rodríguez, adressant une série de demandes pour faire face à cette situation dramatique, informent les organisateurs.

Selon les protestataires, la communication présentée par le Mouvement reconocido indique que la loi 169-14 a validé et consolidé la dénationalisation de milliers de personnes par l’arrêt 168-13, tout en établissant une voie pour restaurer les documents et la nationalité de ceux qui ont été saisis.

Cependant, soulignent-ils, ‘‘une série d’obstacles ont été mis en place pour empêcher que cela ne se produise. “Avec la naissance au cours de ces neuf années d’enfants sous-enregistrés et sans papiers de Dominicains d’origine haïtienne, le problème de l’apatridie s’étend et englobe une nouvelle génération”, selon la lettre.’’

« La conception et la mise en œuvre de la loi ont généré ce résultat qui affecte des milliers de Dominicains d’origine haïtienne qui vivent aujourd’hui dans l’incertitude et sans accès à leurs droits. D’innombrables obstacles ont été créés pour empêcher les victimes de cette politique raciste et discriminatoire d’avoir accès à la restitution de leur nationalité, notamment le manque d’informations, le manque de ressources, le manque de transparence et l’inexistence de mécanismes de plainte et d’appel pour les cas ; au point que le gouvernement actuel refuse d’exécuter lui-même les décrets de naturalisation, qui bénéficient à quelque huit cents personnes, une petite minorité de moins de 1% des personnes concernées par la dénationalisation”, ajoute la lettre.

Ils soulignent que “l’absence d’état civil et de documents d’identité représente une privation des droits fondamentaux, dans tous les domaines de la vie, limitant l’accès aux droits fondamentaux tels que la santé, l’éducation, l’emploi formel, la protection sociale, le droit au patrimoine, entre autres, l’aggravation de la vulnérabilité et des inégalités sociales ».

Le Mouvement Reconocido a documenté ces dernières années des dizaines de détentions arbitraires lors d’opérations d’interdiction des migrations. Dans ces opérations, un profilage racial est pratiqué et les personnes à la peau foncée sont tenues de présenter des pièces d’identité prouvant leur nationalité, déclarent les manifestants.

« Comme de nombreux Dominicains d’origine haïtienne n’ont pas ces documents ou qu’ils ont expiré, en raison des politiques de discrimination raciale de l’État dominicain, ils subissent fréquemment des détentions arbitraires et des extorsions par la police, l’armée et les agents de l’immigration. Ni les nourrissons, ni les personnes âgées, ni les femmes enceintes ne sont épargnés par cette politique », selon la lettre arguant qu’avec l’apatridie et la discrimination raciale, il n’y a pas de démocratie.

Le Mouvement Reconocido souligne que le pays a été interpellé devant les institutions de protection des droits de l’homme, tant au sein de la Commission interaméricaine des droits de l’homme que dans les instances de l’Examen périodique universel du Conseil des droits de l’homme des Nation-Unies, où il a été exhorté à prendre des mesures pour veiller à ce qu’il n’y ait plus d’apatrides.

Les protestataires exigent que l’État dominicain signe la Convention des Nations-Unies de 1961 pour réduire les cas d’apatridie. « Les barrières politico-administratives qui empêchent l’apatridie d’être surmontée doivent être éliminées et des procédures raisonnables et réalisables doivent être établies pour permettre aux Dominicains d’origine haïtienne de recouvrer leur nationalité ».

« Nul ne devrait être contraint de vivre dans une sorte d’ostracisme et de menace permanente de bannissement là où il est né, a grandi et a vécu toute sa vie », explique le document de l’organisation.

Ils exhortent les autorités dominicaines à reconnaître la grande contribution que la communauté d’origine haïtienne, malgré les persécutions qu’elle subit, a apportée dans tous les domaines de la vie nationale, tels que les domaines sportif, culturel, économique, universitaire et artistique.

Ils exigent de garantir que toutes les personnes en situation ou à risque d’apatridie aient la possibilité de recouvrer leur nationalité et d’accéder pleinement à leurs droits de citoyens.

Selon le document, le Congrès dominicain est tenu de surveiller la mise en œuvre de la loi 169-14, de créer une résolution ordonnant la simplification des conditions d’accès à la naturalisation pour les personnes dominicains d’origine haïtienne dénationalisés, ordonner la non-discrimination et l’élimination des obstacles bureaucratiques pour le renouvellement des documents, légiférer contre la discrimination raciale garantissant l’égalité des chances d’obtenir la nationalité, et superviser la garantie des droits humains des apatrides, y compris l’accès à l’éducation, aux soins de santé, emploi et protection juridique. Par exemple, mettre fin à la détention des femmes enceintes dans et autour des hôpitaux.

Ils obligent également le Congrès à interroger les ministres de l’Éducation, de la Santé, du Travail et de l’Intérieur, ainsi que la police. Dans ces interpellations, le Congrès doit exiger que ces ministres mettent en œuvre des programmes de sensibilisation et d’éducation sur l’apatridie et les droits des personnes concernées.

Ils exigent la réouverture immédiate du bureau administratif du Ministère de l’Intérieur et de la Police chargé de surveiller et de mener à bien les démarches des personnes qui se sont prévalues de la loi 169-14. Et ils exigent également la réouverture de la table de dialogue sur les droits de l’homme, la documentation et l’intégration des Dominicains d’origine haïtienne, en particulier ceux qui sont apatrides.

Ils demandent aux législateurs une nouvelle extension de la loi 169-14 pour enregistrer les personnes sans état civil nées avant 2010, qui n’ont pas pu bénéficier de ladite loi et qui vivent aujourd’hui dans les pires ‘‘marginalisations et discriminations.’’

Ils demandent à la Commission des droits de l’homme de la Chambre des députés d’interroger le directeur de la direction générale de la migration (DGM) pour ‘‘violation systématique des droits de l’homme, mettant en lumière la violation de la libre circulation, les rafles illégales, les détentions arbitraires, l’extorsion, la torture et le meurtre de personnes migrants haïtiens, dominicains d’origine haïtienne et dominicains noirs.’’

Le Mouvement Reconocido a appelle tout le peuple dominicain à unir ses efforts pour construire une nation prospère et égalitaire, exempte d’apatridie et de discrimination raciale, garantissant tous les droits pour tous.