Par Guichard Doré,
Fondation Nationale pour la Démocratie et les Études Stratégiques
PORT-AU-PRINCE, jeudi 21 novembre 2024– La désorganisation des services de renseignement, l’inefficacité des structures disparates mises en place faute de courage politique pour rendre opérationnelle une agence centrale de renseignement, l’absence d’un plan national de sécurité et l’incohérence des stratégies suivies avec la démobilisation de l’Armée ont conduit à l’éclatement du système national de sécurité. Ce qui a eu pour conséquence pour l’État, la perte du contrôle du territoire et l’insécurité vécue et ressentie par la population en permanence. L’absence remarquable de la volonté politique pour mettre en place une véritable politique de sécurité et surtout le refus systématique de la prise en charge institutionnelle du dossier du renseignement privent l’Etat les moyens pour exercer les attributs de souveraineté et hypothèquent ipso facto les droits fondamentaux et les privilèges reconnus à État indépendant.
La fonction de connaissance et d’anticipation est consubstantielle à l’exercice des fonctions régaliennes de l’État, elle garantit aux citoyens les moyens leur permettant d’exercer leurs droits fondamentaux imprescriptibles et inaliénables.
Aujourd’hui, le renseignement est dispersé, les services spécialisés ne sont pas connectés à un service central ayant à sa tête un directeur national de renseignement connu, identifiable et responsable. Quand on écoute les médias, l’on se rend compte que le pilotage stratégique du dispositif de renseignement est une attente de la population. On sait très bien que les missions liées à la sécurité nationale exigent de la connaissance et de l’anticipation. Dans cette perspective, les services de renseignement méritent d’être renforcés, professionnalisés et contrôlés parce qu’ils sont indispensables à la sécurité des citoyens. Les actions secrètes des services secrets sont importantes pour la stabilité du pays et le bon fonctionnement de l’économie. Pour cela, les acteurs de la politique de renseignement doivent travailler et suivre une feuille de route claire avec des objectifs précis.
Depuis trois décennies, Haïti fait face à une évolution permanente de la menace en provenance des groupes criminels divers aux ramifications nationales et internationales. Durant cette période, les observateurs ont constaté la désorganisation et l’inefficacité des services des renseignement. Les services n’arrivent pas à adapter leurs modes opératoires aux nouvelles menaces et utiliser les techniques modernes de renseignement pour détecter et entraver les initiatives et les manœuvres des organisations qui nuisent aux intérêts fondamentaux de la nation. Les organisations criminelles qui déstabilisent le pays pénètrent tous les segments de la société, cette situation était impensable avant 1994.
Aujourd’hui, face aux menaces et risques qui pèsent sur la nation , il est nécessaire pour les pouvoirs publics de recourir aux nouvelles technologies et adopter de nouvelles règles de droit afin de permettre aux services de faire leur travail efficacement. La capacité d’action des services de renseignement s’appréciera au fur et à mesure que les agents se professionnalisent et qu’une politique nationale de renseignement est clairement définie et minutieusement exécutée.
Dans le contexte actuel, le niveau élevé des menaces plaide pour une meilleure synergie entre les différents services qui doivent travailler dans une logique de communauté de renseignement. La coordination et le croisement des informations collectées par les différents services par un directeur national de renseignement connu peut-être un meilleur moyen pour conduire une politique de portée stratégique afin de protéger la population des menaces grandissantes pesant sur le pays et aider Haïti à préparer son avenir.
Il y a lieu de noter que depuis la fin de la dictature des Duvalier, il y a une peur bleue et un blocage idéologique systématique contre toute tentative visant à doter le pays d’un service central de renseignement digne d’un État souverain. Or, l’on ne peut pas sécuriser le pays et développer l’économie nationale avec une attitude exprimant soit de la méfiance permanente, soit de l’indifférence aveugle à l’égard de toute volonté pour doter la nation d’un service central de renseignement digne d’un État démocratique.
Aujourd’hui, l’ampleur des risques et des menaces exige que le pays prenne les dispositions pour avoir une politique de renseignement efficace au service de la nation. Détecter les menaces, surveiller les individus dangereux, contrôler les organisations criminelles, suivre en permanence les activités des criminels et entraver leurs menées destructrices sont essentiels pour redonner à l’État les moyens de sa puissance et à la population la confiance et la quiétude d’esprit qu’elle recherche. Ainsi, la coordination des services de renseignement par une agence spécialisée est la voie obligée afin de permettre au pays d’avoir une véritable culture de renseignement et assurer le retour à l’ordre public.
Actuellement, l’appareil public de renseignement est faible, désorganisé et incapable d’aider les pouvoirs publics à préserver les droits fondamentaux des citoyens. Les tentatives de réforme de ces dernières années pour doter la Nation d’un service de renseignement digne d’un régime démocratique était inachevée. Aujourd’hui, face aux actes récurrents d’insécurité et aux menaces grandissantes que font peser les organisations criminelles sur les libertés publiques, les activités de renseignement sont devenues essentielles à la souveraineté nationale et à la protection des citoyens. La réorganisation des services de renseignement participe aux efforts pour garantir les droits des citoyens et les libertés individuelles dans un contexte national et international mouvementé. L’État est le garant de la sauvegarde de la paix et de la sécurité nationale. Il a pour obligation de protéger les personnes, les biens et les institutions. Il est fondé à prendre toutes les dispositions nécessaires pour assurer la pérennité des intérêts fondamentaux, géopolitiques et stratégiques de la Nation.
Dans un État de droit, le gouvernement démocratique a besoin de bonnes informations pour agir. Il fait de la fonction de connaissance et d’anticipation un élément fondamental de la stratégie de sécurité. La connaissance et l’anticipation ne sont-elles pas les conditions pour la prise des décisions libres et souveraines dans un État républicain et démocratique ? Comment un État subissant des attaques systématiques peut-il se permettre de se priver d’une politique nationale de renseignement claire et comprise ? Il est important de définir les principes et les finalités de la politique du renseignement et de reconnaître sa contribution à la sécurité nationale et à la défense des intérêts fondamentaux de la Nation.
Pour la vitalité et le progrès d’Haïti, il est impératif que le gouvernement ait une vue d’ensemble sur les informations stratégiques intéressant la sécurité nationale, la paix sociale et la protection des intérêts fondamentaux de la Nation. Aujourd’hui, ces informations sont dispersées faute de structure pour les centraliser et les traiter. L’insécurité, les crimes en bande organisée et les attaques des organisations criminelles sont nuisibles au bon fonctionnement de la société et sont attentatoire aux intérêts fondamentaux de la Nation. L’une des finalités du renseignement est de permettre aux autorités de connaître et de prévenir les risques et les menaces pesant sur le pays. Le renseignement efficace a pour objectif de contribuer à une meilleure appréhension des grands enjeux auxquels est confrontée la population.
Pour faire face à la sécurité, il est impératif de procéder à la modernisation et au renforcement des services de renseignement. Aussi, n’a-t-on pas intérêt à sensibiliser, faire prendre conscience et stimuler l’esprit de défense, participer au renforcement de la cohésion nationale, soutenir le développement d’une pensée stratégique relative aux enjeux de défense et de sécurité et fédérer la nation autour d’une politique de renseignement sciemment bien définie ? N’est-il pas nécessaire pour Haïti d’organiser des échanges et des débats réguliers portant sur les enjeux globaux de renseignement, les questions stratégiques et les thématiques de sécurité au regard de l’actualité nationale, régionale ou internationale et voir comment l’appareil de renseignement peut-il contribuer à protéger le pays ? N’est-il pas urgent pour le pays d’assurer, par la formation, le développement de l’esprit de sécurité globale chez les hauts fonctionnaires et cadres supérieurs de l’État ? La population aura-t-elle la sécurité sans un effort pour affiner, à l’aide des programmes de formation, la compréhension des enjeux de défense et de sécurité et faciliter le développement d’une réflexion stratégique relative aux enjeux complexes ? N’est-il pas important de décloisonner les champs du savoir en faisant travailler ensemble des spécialistes haïtiens venant d’horizons intellectuels différents afin de faciliter le dialogue stratégique, les porter à réfléchir et à faire la lumière sur les enjeux économiques, environnementaux, sociaux et sociétaux qui sont susceptibles d’avoir des impacts sur la sécurité nationale ?
La présence des individus lourdement armés et les organisations criminelles constituent une menace grave à la sécurité nationale, à la stabilité politique et à la mise en œuvre des programmes nationaux de développement. Il est impérieux de procéder au démantèlement des groupes illégalement armés et des organisations criminelles afin d’offrir plus de possibilités aux autorités judiciaires pour entendre les auteurs des actes punis par la loi. Mais peut-on vraiment faire ce travail et assurer le retour à la paix et à la sécurité sans une politique de renseignement efficace et sans des services de renseignements professionnels, outillés et mieux organisés ? Quelle politique de renseignement pour Haïti ? comment doit-on s’y prendre pour mieux organiser les services de renseignement afin de garantir la sécurité nationale ? Comment encadrer l’utilisation des techniques de recueil d’informations afin de renforcer la protection des libertés individuelles tout en sécurisant l’action des services spécialisés ? Quelles sont les mesures à prendre pour protéger les agents des services de renseignement et prévenir les possibilités d’atteintes aux libertés fondamentales des citoyens garanties par la Constitution ? Quel est le meilleur mécanisme pour former et professionnaliser les agents de renseignement ? Quel devrait-être le rôle d’un organisme central matière de renseignement ? Répondre à ces questions demande aux autorités d’avoir le courage politique de mettre en place une agence centrale de renseignement et compléter le dispositif institutionnel de sécurité pour redonner à l’État haïtien ses moyens de puissance publique. Urgent !