La POHDH s’inquiète des ”dérives” de la gouvernance de la transition en Haïti…

Les membres du Conseils Presidentiels de Transition (CPT)....

PORT-AU-PRINCE, jeudi 22 août 2024– La Plateforme des Organisations Haïtiennes des Droits Humains (POHDH) exprime sa profonde inquiétude face à l’orientation actuelle de la gouvernance de la transition politique en Haïti. Dans un communiqué publié le 21 août 2024, l’organisation a observé avec gravité les comportements des autorités chargées de gérer cette période critique, soulignant que les attentes de la population sont loin d’être comblées.

Le Conseil Présidentiel de Transition (CPT) et le gouvernement de transition ont été mis en place dans un contexte particulièrement chaotique, à un moment où le pays était au bord de l’effondrement. La création de ces structures devait répondre à l’urgence de la situation, en apportant des solutions concrètes aux crises multiples que traverse le pays. Cependant, quatre mois après l’établissement du CPT et plus de deux mois après l’investiture du gouvernement, la POHDH déplore l’inefficacité de ces organes et s’interroge sur leur capacité à conduire le pays vers une sortie de crise.

L’accord du 3 avril 2024, qui sert de cadre à cette transition, mettait la question de la sécurité au premier plan, en en faisant une priorité absolue. Cet engagement se reflète notamment dans l’article 1.1 de l’accord, qui stipule que la transition doit se concentrer sur la restauration de la sécurité, en plus de mener les réformes constitutionnelles et institutionnelles nécessaires et de préparer des élections crédibles. Pourtant, la POHDH souligne que la situation sécuritaire reste alarmante. « Les gangs continuent de semer la terreur dans de nombreuses régions du pays, rendant la vie quotidienne des citoyens de plus en plus difficile », s’indigne la POHDH, tout en ajoutant que « des zones stratégiques, notamment les grands axes routiers reliant les principales régions du pays, restent sous le contrôle de ces groupes armés ».

Les attaques, les extorsions, et les prises d’otages sont monnaie courante, et aucune des initiatives du gouvernement n’a réussi à démanteler ces foyers de violence. La POHDH déplore également l’absence d’actions concrètes en faveur des déplacés internes, qui vivent encore dans des camps de fortune sans assistance de l’État.

L’insécurité a un impact dévastateur sur l’éducation en Haïti. De nombreux élèves n’ont pas pu passer leurs examens officiels pour l’année académique 2023-2024, notamment dans les communes de Gressier, Cabaret, et certaines zones de Carrefour et de Bon Repos. « Nous regrettons l’absence de dispositifs de sécurité pour protéger ces jeunes et permettre la tenue des examens dans des conditions adéquates », souligne la POHDH. Cette situation exacerbe les inégalités et hypothèque l’avenir de toute une génération.

La liberté de circulation est également sérieusement compromise. Les camions de marchandises, essentiels pour l’approvisionnement des différentes régions du pays, doivent circuler au gré des groupes armés, qui contrôlent plusieurs voies, y compris celles passant par le golfe de la Gonâve. « Les bandits pillent régulièrement les navires et rançonnent les passagers », dénonce la POHDH, renforçant un climat d’insécurité et d’impunité.

Dr. Garry Conille, Premier ministre, lors de son installation…

La POHDH s’inquiète également du manque de progrès dans les réformes constitutionnelles et institutionnelles, censées marquer une rupture avec les pratiques politiques antérieures. Au lieu de cela, l’organisation observe que le processus de formation du gouvernement et de nomination des directeurs généraux ne diffère guère des méthodes antérieures, souvent entachées de corruption. Des accusations de pots-de-vin, de détournements de fonds, et d’autres formes de malversations impliquent des personnalités de haut niveau au sein du CPT et du gouvernement.

Quatre cas particuliers ont retenu l’attention de la POHDH : « Le partage présumé de l’argent destiné au service de renseignement du Palais National entre les membres du CPT, les pots-de-vin supposés versés lors de la nomination du Premier Ministre et de la formation du gouvernement, les accusations portées par l’ancien Directeur Général de la Banque Nationale de Crédit (BNC) contre trois conseillers présidentiels, et les circonstances entourant la démission du Directeur de Cabinet d’une ministre, impliquant un conseiller présidentiel dans une affaire de corruption ». Ces scandales alimentent la perception que la transition politique est minée par la corruption et qu’elle risque de se perdre dans le spectre de l’impunité.

La POHDH regrette que ces allégations, si elles ne sont pas traitées avec rigueur et transparence, renforcent l’idée selon laquelle la transition n’est pas une rupture avec le passé, mais plutôt une continuité des pratiques politiques traditionnelles. « L’Organe de Contrôle de l’Action Gouvernementale, prévu par l’accord du 3 avril pour superviser et garantir l’intégrité de la transition, semble être relégué aux oubliettes », ce qui exacerbe les craintes d’une gouvernance peu transparente et peu redevable.

La tenue des élections est une autre source de préoccupation pour la POHDH. Bien que l’organisation encourage tout effort visant à renouveler le personnel politique à travers un processus électoral crédible et démocratique, elle s’inquiète de l’empressement apparent du gouvernement à organiser ces élections sans avoir mis en place les conditions nécessaires. « L’absence de sécurité, l’instabilité institutionnelle, et le manque de préparation adéquate risquent de compromettre la crédibilité du processus électoral, et donc de sa légitimité », avertit la POHDH.

Face à ces constats alarmants, la POHDH adresse plusieurs recommandations aux autorités en charge de la transition. Elle demande la publication de l’accord du 3 avril dans le journal officiel Le Moniteur afin de dissiper toute confusion et d’assurer la transparence du processus. Elle insiste sur la mise en place des organes prévus par cet accord, notamment l’Organe de Contrôle de l’Action Gouvernementale, pour garantir que les actions du gouvernement soient surveillées et évaluées de manière rigoureuse.

La POHDH appelle également à des actions renforcées pour lutter contre l’insécurité, à une communication responsable sur la Mission Multinationale de Soutien à la Sécurité, et à des mesures d’accompagnement en faveur des victimes de l’insécurité, en particulier les déplacés internes et les élèves ayant raté leurs examens. Elle insiste sur la nécessité de mener des enquêtes judiciaires pour faire la lumière sur les accusations de corruption qui pèsent sur certains membres du gouvernement et sur l’administration publique en général. Ces enquêtes doivent être accompagnées de mesures rigoureuses, comme le dépôt des certificats de déclaration de patrimoine par toutes les personnes concernées, conformément aux exigences de l’accord du 3 avril.

La POHDH rappelle que la réussite de la transition dépend de la capacité des autorités à rétablir la sécurité, à lutter contre la corruption et l’impunité, et à redresser les institutions du pays. Elle met en garde contre tout glissement vers une gouvernance au service d’intérêts particuliers, au détriment des aspirations légitimes de la population. « Il est crucial que les organes de la transition travaillent en étroite collaboration avec la société civile pour répondre aux revendications fondamentales du peuple haïtien et pour assurer une transition politique réussie et durable », insiste la POHDH.