PORT-AU-PRINCE, jeudi 16 janvier 2025- Depuis l’arrivée de la Mission multinationale de soutien à la sécurité (MSS) en juin 2024, menée par le Kenya, Haïti reste confronté à une crise sécuritaire sans précédent. Selon Kirk Randolph, analyste au United States Institute of Peace, cette mission, composée de moins de 1 000 membres issus de pays contributeurs, fait face à des défis colossaux dans un pays où la domination des gangs et la fragilité institutionnelle ont plongé la population dans un désespoir profond. Randolph souligne que « la communauté internationale est restée largement en retrait tandis qu’Haïti s’enfonce dans la crise », obligeant la MSS à intervenir dans un environnement où les chances de succès sont limitées.
Pour que le pays puisse surmonter ses crises politiques, économiques et humanitaires, la sécurité doit être rétablie. Selon Randolph, les États-Unis ont un intérêt direct à soutenir cet effort, non seulement pour alléger les souffrances de millions d’Haïtiens, mais aussi pour freiner l’exode massif vers des pays comme la République dominicaine, le Canada, le Chili et les États-Unis. « Chaque départ prive Haïti de ses forces vives, indispensables à sa reconstruction, et prolonge la crise », explique-t-il. Stabiliser Haïti est également crucial pour éviter que le pays ne devienne un sanctuaire pour des réseaux criminels transnationaux, menaçant la sécurité régionale.
Les gangs contrôlent aujourd’hui plus de 85 % de Port-au-Prince, provoquant le déplacement de plus d’un million de personnes, dont la moitié sont des enfants. La violence des gangs atteint des sommets dramatiques, comme le massacre de 184 personnes à Cité Soleil en décembre 2024. Randolph décrit cet événement comme « une descente calculée dans l’horreur ». Les organisations humanitaires, dont Médecins Sans Frontières, peinent à opérer en raison des attaques répétées sur leur personnel et des violences visant même les patients. La destruction du couvent des Missionnaires de la Charité, fondé par Mère Teresa, symbolise la dégradation du tissu social haïtien.
Selon Randolph, bien que la MSS ait réalisé quelques gains tactiques, notamment la capture de la résidence de Jimmy “Barbecue” Chérizier, un chef de gang notoire, ces victoires restent éphémères. Il affirme que « sans effectifs suffisants pour consolider ses gains, la mission reste souvent réactive plutôt que transformatrice ».
Face à cette situation, Randolph identifie trois pistes principales pour l’avenir : renforcer la Police nationale haïtienne (PNH) par des réformes structurelles, déployer une mission onusienne de maintien de la paix ou élargir les capacités de la MSS. Il insiste sur le fait que « toute réponse efficace doit soutenir les institutions haïtiennes pour qu’elles puissent, à terme, bâtir un avenir stable de manière autonome ».
Randolph considère la PNH comme centrale dans toute solution viable, mais il note que cette institution a été affaiblie par des années de sous-financement, d’infiltration des gangs et de corruption. Il estime que la réforme de la PNH nécessite une lutte rigoureuse contre la corruption et l’infiltration, notamment par un plan de vérification des agents. « Les liens entre les gangs et les élites politiques doivent être démantelés pour restaurer la confiance publique », affirme-t-il, ajoutant que le soutien des partenaires internationaux sera crucial dans les premières étapes. Cependant, il insiste sur le fait que ce soutien doit évoluer pour renforcer les institutions haïtiennes, afin qu’elles puissent mener ces efforts de manière autonome.
Par ailleurs, Randolph met l’accent sur l’importance d’un plan de sécurité national adapté aux réalités haïtiennes. Bien que l’établissement du Conseil national de sécurité soit un pas important, il souligne que ce plan doit être aligné sur les priorités spécifiques d’Haïti et recevoir une assistance internationale coordonnée. Il rappelle que « des réformes fragmentées ou mal alignées risquent de s’effondrer une fois le soutien externe diminué ».
En ce qui concerne une éventuelle mission de maintien de la paix de l’ONU, Randolph admet que cette option offre les moyens et le mandat nécessaires pour sécuriser les zones critiques et protéger les civils, mais il reconnaît également les cicatrices laissées par les précédentes interventions onusiennes en Haïti. L’épidémie de choléra et les scandales d’abus sexuels ont profondément entamé la confiance des Haïtiens envers ces missions. Malgré cela, Randolph affirme que « l’absence d’intervention ne ferait qu’aggraver la crise », citant les massacres récents dans la vallée de l’Artibonite comme preuve que la violence déborde déjà de Port-au-Prince.
Une alternative serait d’élargir le mandat de la MSS, qui, bien que limitée en effectifs, a réalisé des progrès notables, tels que la réouverture de l’Académie de police haïtienne et la formation de 739 nouveaux agents. Randolph considère que l’ajout de forces contractuelles, bien encadrées et alignées sur les priorités haïtiennes, pourrait également combler les lacunes opérationnelles sans nécessiter un déploiement massif de troupes. Toutefois, il met en garde contre les risques liés à une mauvaise gestion de ces forces, citant des exemples d’autres zones de conflit où des abus ont exacerbé les tensions.
Enfin, Randolph conclut que « le chemin vers la stabilité en Haïti dépend d’un engagement international immédiat et soutenu ». Il avertit que l’inaction prolongerait la souffrance et minerait davantage les efforts pour reconstruire le pays. Selon lui, il est impératif que la communauté internationale aide Haïti à restaurer ses institutions, à rétablir la sécurité et à offrir à son peuple une lueur d’espoir pour un avenir meilleur.
Le texte d’analyse a été écrit par Kirk Randolph et publié initialement sur: https://www.usip.org/publications/2025/01/haitis-security-crisis-multinational-missions-role-and-what-comes-next